La Cour d’appel rejette l’obligation élargie des employeurs de signaler les blessures graves et mortelles en vertu de la LSST

Les employeurs qui traitent régulierement avec le public dans leur milieu de travail seront ravis d’une décision rendue récemment par la Cour d’appel de l’Ontario. Dans Blue Mountain Resorts Limited c. Ontario (Travail) (7 février 2013), la Cour d’appel a infirmé une décision rendue par la Cour divisionnaire, qui avait grandement élargi les circonstances dans lesquelles les employeurs doivent signaler les déces ou les blessures graves survenus dans le lieu de travail en vertu du par. 51(1) de la Loi sur la santé et la sécurité au travail (LSST). La Cour divisionnaire soutenait que les employeurs doivent donner avis de toutes les blessures graves ou mortelles survenues, que la personne blessée soit un travailleur ou un membre du public. La Cour d’appel a rejeté cette interprétation et rendu une décision qui précise clairement qu’en vertu du par. 51(1) de la LSST, un employeur n’est tenu de signaler ces blessures que s’il y a un lien raisonnable entre le risque ayant entraîné le déces ou la blessure et un risque réaliste pour la sécurité des travailleurs dans un lieu de travail.

Nos lecteurs se souviendront peut-etre de la décision de la Cour divisionnaire dans Blue Mountain Resorts Limited c. Ontario (juillet 2011) (consultez « Une décision de la Cour divisionnaire confirme l’obligation élargie d’avis des employeurs en vertu de la LSST »). L’affaire Blue Mountain a pris naissance lorsqu’un client du Blue Mountain Resort s’est noyé dans une piscine non supervisée du centre de villégiature. Un inspecteur nommé en vertu de la LSST a ordonné a Blue Mountain d’aviser le ministere du Travail du déces du client en vertu du par. 51(1) de la LSST, qui stipule ce qui suit :

51.(1) Si une personne est tuée ou gravement blessée de quelque façon que ce soit dans le lieu de travail, le constructeur, le cas échéant, et l’employeur en avisent immédiatement un inspecteur et le comité, le délégué a la santé et a la sécurité et le syndicat, le cas échéant, par téléphone ou par un autre moyen de communication directe. Au cours des quarante-huit heures qui suivent, l’employeur envoie a un directeur un rapport écrit sur l’événement et lui fournit dans ce rapport les renseignements et les détails que prescrivent les reglements.

Blue Mountain était d’avis qu’il n’y avait pas lieu de signaler les déces ou les blessures graves des clients dans ses installations récréatives, puisque ces dernieres n’étaient pas utilisées principalement comme un lieu de travail, et qu’un travailleur ne se trouvait pas sur place au moment ou l’incident est survenu. L’interprétation de Blue Mountain a été rejetée devant la Commission des relations de travail de l’Ontario et la Cour divisionnaire. Comme susmentionné, la Cour divisionnaire maintenait qu’en vertu du par. 51(1), un employeur doit donner avis de tous les accidents graves et mortels dans le lieu de travail, que la personne blessée soit un travailleur ou un membre du public. Cette décision a fait couler beaucoup d’encre en raison de l’ampleur de ses conséquences. Blue Mountain a interjeté appel aupres de Conservation Ontario et de l’Association de l’industrie touristique de l’Ontario.

JUGEMENT EN APPEL

Dans sa décision, la Cour d’appel s’est empressée de rejeter l’interprétation de la Cour divisionnaire de la LSST :

[Traduction]
D’apres l’interprétation donnée au par. 51(1) de la Loi, pratiquement n’importe quel endroit dans la province d’Ontario (commercial, industriel, privé ou domestique) serait un « lieu de travail », parce qu’un travailleur peut, a un moment donné, se trouver a cet endroit. On en vient donc a la conclusion absurde que tous les déces et toutes les blessures graves a qui que ce soit, ou que ce soit, peu importe la cause, doivent etre signalés. Cette interprétation dépasse largement la portée normale de la Loi et le rôle d’examen du Ministere raisonnablement nécessaire pour réaliser l’objectif certes important visant a protéger la santé et la sécurité des travailleurs dans le lieu de travail. Elle est donc déraisonnable et ne tient pas.

La Cour d’appel a accepté le fait que la législation sur le bien-etre public, comme la LSST, doit etre interprétée libéralement de maniere a rendre exécutoire son intention et son objectif généraux. La Cour a néanmoins averti que ce genre d’interprétation généreuse peut dépasser largement l’intention initiale.

A son avis, c’est le probleme qui est survenu avec l’interprétation approuvée par la Cour divisionnaire. En vertu de cette interprétation, le par. 51(1) s’appliquerait chaque fois qu’un non-travailleur mourrait ou serait grievement blessé a un endroit ou travaille, passe ou pourrait travailler un travailleur a un moment donné, ou a proximité d’un tel endroit, quelle que soit la cause de l’incident. Bien que cette interprétation puisse sembler raisonnable a premiere vue, la Cour d’appel a souligné les absurdités que suscite cette interprétation lorsqu’on la lit en parallele avec le par. 51(2) de la LSST. Le paragraphe 51(2) exige que la scene d’un accident soit protégée tant qu’un inspecteur du Ministere n’a pas donné son autorisation de réoccupation. Il stipule ce qui suit :

Interdiction de toucher aux débris
51(2) Si une personne est tuée ou gravement blessée dans le lieu de travail, nul ne doit manier, déranger, détruire, modifier ni enlever des débris, un article ou un objet qui se trouvent sur la scene de l’accident ou qui se rapportent a l’accident tant qu’un inspecteur n’a pas donné son autorisation. Cette interdiction ne s’applique pas s’il s’agit :
(a) de sauver quelqu’un ou de soulager ses souffrances;
(b) de maintenir le fonctionnement d’une entreprise de services publics jugés
     essentiels ou d’un réseau de transport public;
(c) d’empecher des dommages inutiles au matériel ou a un autre bien. 

La Cour a donné de nombreux exemples pour illustrer l’effet combiné de l’interprétation de la Cour divisionnaire du par. 51(1) et de l’exigence en vertu du par. 51(2). En cas de blessure grave d’un joueur de hockey ou d’un spectateur pendant un match des Maple Leafs de Toronto au Centre Air Canada, il faudrait que l’incident soit signalé au Ministere et que le match de hockey soit interrompu jusqu’a ce que la réoccupation des lieux soit autorisée par un inspecteur du Ministere. Le cas serait le meme pour les blessures de clients chez des détaillants, les blessures subies par le public sur des autoroutes surveillées, et meme lorsqu’un fidele est victime d’une crise cardiaque dans un établissement a vocation religieuse. En pareils cas, la blessure serait signalée au Ministere, et le lieu de travail serait sécurisé jusqu’a ce qu’un inspecteur autorise la réoccupation des lieux. La Cour d’appel a rejeté l’idée que la législature visait ces résultats dans la LSST.

L’INTERPRÉTATION CORRECTE

Pour déterminer la bonne interprétation a preter au par. 51(1), la Cour d’appel a considéré le paragraphe dans son sens ordinaire dans le contexte de la LSST dans son ensemble, en gardant a l’esprit l’objet axé sur le bien-etre public de la LSST. La Cour d’appel a convenu que l’intention de la législature en ce qui concerne l’exigence d’avis dépassait les blessures subies par les travailleurs et englobait les risques physiques susceptibles de blesser tant les travailleurs que les non-travailleurs. Néanmoins, elle a rejeté l’idée que tout déces ou toute blessure grave mettant en cause quiconque se trouve dans un lieu fréquenté ou parfois fréquenté par des travailleurs est assujetti au par. 51(1). Pour qu’un incident doive etre signalé, il faut plutôt qu’il y ait un lien raisonnable entre le risque ayant entraîné le déces ou la blessure grave et un risque réaliste pour la sécurité du travailleur sur la scene de l’incident. La scene de l’incident doit etre un endroit ou un travailleur s’acquitte de ses fonctions professionnelles au moment ou l’incident se produit, ou un endroit ou l’on pourrait raisonnablement s’attendre a ce qu’un travailleur s’acquitte de ses fonctions dans l’exercice normal de son travail. La Cour d’appel a résumé son interprétation du par. 51(1) en précisant l’orientation claire qui suit :

[Traduction]
En résumé, les exigences d’avis et de rapport du par. 51(1) de la Loi s’appliquent dans les cas suivants :

    (a) un travailleur ou un non-travailleur (« quiconque ») est tué ou
         gravement blessé;
    (b) le déces ou la blessure grave survient a un endroit ou (i) un
         travailleur exécute ses fonctions au moment ou l’incident se produit,
         ou, (ii) un endroit ou l’on pourrait raisonnablement s’attendre a ce
         qu’un travailleur exécute ses fonctions dans l’exercice normal de son
         travail (« lieu de travail »);
    (c) il y a un lien raisonnable entre le risque ayant donné lieu au déces
         ou a la blessure grave et un risque réaliste pour la sécurité du
         travailleur dans ce lieu de travail (« peu importe la cause »).

En appliquant cette interprétation aux incidents de Blue Mountain Resorts, la Cour d’appel a souligné que rien n’indiquait que le déces du client dans la piscine avait été causé par un risque qui aurait entravé la sécurité d’un travailleur. Le client s’est noyé pendant qu’il nageait ou a subi une crise cardiaque. L’objet de la LSST est d’accroître la sécurité des travailleurs, et non pas d’enregistrer les morts naturelles. La Cour d’appel a également fait remarquer que la protection des non-travailleurs ne fait pas partie de l’intention et de l’objectif de la LSST, qui se concentre plutôt sur le travailleur, l’employeur et le lieu de travail, ainsi que les blessures qui comportent un risque a la lumiere de ce lien. La Cour d’appel a accueilli l’appel de Blue Mountain et annulé la décision de la Cour divisionnaire.

A notre avis

Un des problemes liés a l’interprétation adoptée par la Cour divisionnaire était qu’elle avait pour effet de faire passer la LSST d’une loi portant exclusivement sur la santé et la sécurité au travail, a une loi de sécurité publique générale. Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel, ce n’était pas l’intention de la législature. Non seulement ce résultat imposerait-il aux employeurs une obligation d’avis accrue, mais l’exigence de préserver la scene d’un accident jusqu’a ce que l’autorisation de réoccupation ait été accordée par le Ministere serait inapplicable pour bien des organismes, comme Blue Mountain. En outre, le ministere du Travail ne serait pas en mesure de répondre a l’augmentation accablante du nombre de rapports qu’il recevrait inévitablement. Les employeurs, en particulier ceux qui traitent avec le public, peuvent se réjouir de la décision de la Cour d’appel. L’obligation d’avis prévue au par. 51(1) ne s’appliquera que s’il existe un lien raisonnable entre le risque ayant donné lieu au déces ou a la blessure et un risque réaliste pour la sécurité des travailleurs dans un lieu de travail.

Pour en savoir plus, veuillez communiquer avec Sébastien Huard au 613-940-2744 ou Diane Lazenby au 613-940-2743.

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