Le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario rejette le critère de l’arrêt Johnstone concernant la discrimination fondée sur la situation de famille – « le critère de discrimination est le même dans tous les cas »

Le débat relatif au critère juridique à appliquer pour établir la discrimination fondée sur la situation de famille a été rouvert par une décision récemment rendue par le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (« TDPO »). Dans Misetich c. Value Village Stores Inc. (septembre 2016), le TDPO a rejeté le récent courant jurisprudentiel pour plutôt appliquer ce qu’il a appelé les [TRADUCTION] « principes bien établis en droits de la personne » pour établir le critère relatif à la discrimination fondée sur la situation de famille. Ce faisant, le TDPO a rejeté explicitement le critère élaboré par la Cour d’appel fédérale.

Dans Misetich c. Value Village Stores Inc., la demanderesse a affirmé que son employeur avait fait preuve de discrimination à son endroit en fonction de sa situation de famille en l’obligeant à travailler pendant des quarts de soirée, de fin de semaine et sur appel. L’employeur avait introduit un changement de quarts afin d’accommoder les restrictions physiques de la demanderesse. Elle a cependant soutenu que ses obligations de soins envers sa mère âgée, plus particulièrement la nécessité qu’elle prépare le souper de sa mère, étaient en conflit avec l’obligation de travailler le soir. À plusieurs reprises, l’employeur a demandé des renseignements justificatifs relatifs aux besoins de santé de la mère de la demanderesse et a demandé s’il y avait d’autres moyens de fournir les soins nécessaires. La demanderesse a refusé de fournir les renseignements nécessaires au motif que son employeur n’avait pas le droit d’obtenir des renseignements personnels au sujet de sa mère. La demanderesse ne s’est pas présentée à ses quarts de travail prévus, de sorte que l’employeur l’a congédiée pour abandon de poste.

Pour déterminer si l’employeur a fait preuve de discrimination contre la demanderesse en raison de sa situation de famille, le TDPO a recensé la jurisprudence existante concernant la discrimination fondée sur la situation de famille, notamment la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Johnstone (2014) (« Johnstone »). Les lecteurs d’Au point se souviendront que le critère Johnstone (élaboré dans le contexte des obligations liées à la garde d’enfants d’une employée) exige qu’un demandeur démontre les éléments suivants pour établir la discrimination fondée sur la situation de famille :

  • l’enfant est sous sa garde et sa supervision;
  • les obligations liées à sa garde engagent la responsabilité légale de la personne pour cet enfant, par opposition à un choix personnel;
  • la personne a fait des efforts raisonnables pour satisfaire à ces obligations au moyen d’autres solutions raisonnables et ces autres solutions ne sont pas raisonnablement applicables;
  • la règle contestée du milieu de travail nuit d’une manière non mineure et non insignifiante à la réalisation de ces obligations.

Le TDPO a rejeté le critère de Johnstone de même que les autres critères émanant de différents tribunaux et arbitres au pays, au motif que le critère applicable à la discrimination fondée sur la situation de famille doit être le même que pour les autres formes de discrimination. Le TDPO a exposé les motifs suivants à l’appui de cette conclusion :

  1. Aucune raison de principe ne justifie l’élaboration d’un critère différent selon le motif interdit de discrimination allégué.
  2. Les différents critères applicables à la discrimination fondée sur la situation de famille ont engendré incohérence et incertitude dans l’état du droit.
  3. Les différents critères relatifs à la discrimination fondée sur la situation de famille sont plus rigoureux que pour les autres genres de discrimination. (Le TDPO a souligné que selon Johnstone, l’obligation liée à la garde d’enfants en cause doit entraîner une responsabilité légale, nonobstant le fait que de nombreuses obligations des gardiens sont essentielles à la relation parents-enfants sans entraîner d’obligation légale).
  4. Le critère de la responsabilité légale est difficile à appliquer dans le contexte du soin des personnes âgées puisque la responsabilité légale de l’enfant adulte de prendre soin d’un parent n’est pas aussi claire que la responsabilité légale d’un parent de prendre soin d’un enfant mineur.
  5. Le critère de discrimination a été fusionné au critère d’accommodement, de sorte que les demandeurs doivent établir que l’auto-accommodement n’était pas possible afin de démontrer la discrimination.

À la lumière des questions découlant de l’état actuel du droit, le TDPO a énoncé l’approche suivante de la discrimination fondée sur la situation de famille :

[TRADUCTION]
Afin d’établir la discrimination fondée sur la situation de famille dans le contexte de l’emploi, l’employé ne peut pas se contenter d’établir un effet négatif sur un besoin familial. L’effet négatif doit entraîner un véritable désavantage pour la relation parent-enfant et pour les responsabilités qui découlent de cette relation ainsi que pour le travail de l’employé.

Pour évaluer l’effet négatif sur le besoin familial, le TDPO a donné la ligne directrice suivante :

[TRADUCTION]
L’évaluation de l’effet de la règle contestée doit être effectuée dans son contexte et peut comporter l’examen des autres mesures de soutien dont peut se prévaloir la demanderesse. Ces mesures de soutien sont pertinentes pour l’évaluation du besoin lié à la famille et de l’effet de la règle contestée sur ce besoin. Par exemple, si la demanderesse est un parent seul, le besoin lié à la famille et l’effet de la règle contestée sur ce besoin peuvent être accrus.

La prise en considération d’autres mesures de soutien dont peut se prévaloir un demandeur a été distinguée de l’obligation de s’accommoder soi-même qui est issue des divers autres critères applicables à la discrimination fondée sur la situation de famille. Le TDPO a souligné qu’obliger un demandeur à s’accommoder lui-même dans le cadre du critère relatif à la discrimination signifie qu’il doit trouver une solution au conflit famille/travail et que c’est seulement lorsqu’il ne le peut pas que la discrimination est établie.

Comme c’est toujours le cas, une fois que la discrimination est établie, il incombe à l’employeur de démontrer que l’employé ne peut pas être accommodé sans imposer à l’employeur une contrainte excessive. Ce stade de l’analyse comporte la question de savoir si l’employé a collaboré dans le processus d’accommodement, notamment en fournissant à l’employeur suffisamment de renseignements relativement aux besoins liés à sa famille et en travaillant avec l’employeur pour cerner les solutions possibles.

En appliquant l’approche susmentionnée à l’affaire en cause, le TDPO a conclu que le changement d’horaire de la demanderesse ne l’empêchait pas de fournir le souper à sa mère. Le TDPO a déclaré que la demanderesse aurait pu travailler de jour, de soir et en fin de semaine tout en fournissant le souper à sa mère de la même façon qu’elle a pu fournir un repas au milieu de la journée. Par conséquent, le TDPO a estimé que la demanderesse n’avait pas démontré la discrimination et a rejeté la demande.

Il faut souligner que le TDPO a rendu sa décision dans le contexte des renseignements dont disposait l’employeur au moment pertinent, ceux-ci étant limités parce que la demanderesse avait refusé de lui fournir des renseignements relatifs à ses obligations en matière de soins d’une personne âgée. À cet égard, le TDPO a formulé les commentaires suivants :

[TRADUCTION]
La demanderesse a adopté une position intransigeante concernant ses droits de la personne. Lorsque la défenderesse a tenté d’affecter la demanderesse à un travail moins exigeant physiquement dans le commerce de détail et lui attribuer divers quarts de travail, la demanderesse a indiqué qu’elle ne pouvait pas le faire en raison de sa situation de famille. La demanderesse croyait qu’elle n’avait qu’à invoquer sa situation de famille et que cela suffirait. La demanderesse se trompait. La demanderesse devait fournir suffisamment de renseignements pour étayer ses obligations de soins d’une personne âgée. Elle ne l’a pas fait.

Le critère de l’arrêt Johnstone représente l’état du droit pour les employeurs régit par la Loi canadienne sur les droits de la personne, sauf si la Cour suprême en décide autrement. Mais la décision rendue dans Misetich sème l’incertitude à l’égard du critère applicable à la discrimination fondée sur la situation de famille pour les employeurs de réglementation provinciale. Il est néanmoins clair que les employeurs doivent faire preuve de souplesse lorsqu’ils déterminent des façons d’accommoder les besoins familiaux de leurs employés. Par ailleurs, cette dernière décision du TDPO confirme que les employés doivent collaborer pleinement au processus d’accommodement et doivent fournir les renseignements pertinents à l’employeur afin de recenser les solutions potentielles.

Si vous voulez davantage d’information, veuillez communiquer avec Mélissa Lacroix au 613-940-2741.

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