Les menaces au travail et la loi 168 ? Une arbitre confirme le congédiement

La loi 168 a modifié la Loi sur la santé et la sécurité au travail de l’Ontario de manière à exiger des employeurs qu’ils prennent de nombreuses mesures afin de prévenir la violence au travail. On ne connaît pas tous les effets qu’aura la loi 168, principalement parce que les modifications, en vigueur depuis le 15 juin 2010, n’ont pas encore fait l’objet de nombreuses décisions des tribunaux judiciaires ou quasi-judiciaires. Toutefois, l’arbitre Newman a récemment examiné en détail les modifications apportées par la loi 168 à l’état du droit. Sa décision indique que les modifications ont touché profondément le droit du milieu de travail en Ontario, particulièrement en ce qui a trait à la façon dont les employeurs, les superviseurs, les travailleurs, les arbitres de grief, les arbitres de différends et les juges doivent considérer les menaces de violence au travail.

L’affaire The Corporation of the City of Kingston and Canadian Union of Public Employees, local 109 (août 2011) portait sur le grief d’une employée qui avait été congédiée après 28 ans de service pour avoir proféré une menace de mort à un collègue de travail. La relation d’emploi avait toujours été tendue. Il y avait un historique de querelles entre la plaignante de 47 ans et ses superviseurs et collègues. Elle a admis éprouver des difficultés à gérer sa colère et a bénéficié de thérapie par le passé.

L’événement culminant s’est produit en juillet 2010, lorsque la plaignante aurait menacé la vie du président de la section locale du syndicat. Il n’y avait aucun témoin et la plaignante a nié avoir proféré la menace, mais l’employeur a conclu après enquête que tel était le cas. L’employeur a adopté la position selon laquelle la conduite violente a irrémédiablement rompu le lien d’emploi et qu’à la lumière des modifications apportées par la loi 168 et de la gravité de l’incident, il n’avait d’autre choix que de mettre fin à son emploi.

Le syndicat a déposé un grief contre le congédiement au motif que la loi 168 ne prescrivait pas une tolérance nulle pour l’inconduite ni ne remplaçait les exigences en common law de mesures disciplinaires progressives et de proportionnalité dans la réponse à l’inconduite. Selon le syndicat, la décision de congédier était prématurée et était fondée sur une perception non prouvée de danger.

L’EFFET DE LA LOI 168 DANS LES AFFAIRES COMPORTANT DES MENACES AU TRAVAIL

L’arbitre Newman a entamé son analyse en exposant l’objectif de la loi 168. Les réformes étaient fondées sur les connaissances tirées des enquêtes sur les décès de victimes de violence au travail. La législation avait pour but de sensibiliser les parties à la violence au travail et d’y réagir de façon appropriée afin d’améliorer globalement la sécurité au travail. L’arbitre a souligné que la sécurité au travail est si cruciale qu’elle l’emporte même sur la protection des renseignements personnels. Selon les modifications apportées par la loi 168, l’employeur est tenu de procurer des renseignements, notamment personnels, à un travailleur si celui?ci côtoiera vraisemblablement une personne ayant un historique de violence et risquera vraisemblablement de subir des lésions corporelles.

L’arbitre s’est demandée si le congédiement constituait une mesure disciplinaire appropriée et proportionnelle à l’égard de l’inconduite de la plaignante. Elle a analysé l’effet des modifications apportées par la loi 168 dans les affaires comportant des menaces de violence au travail. Selon elle, la loi 168 a quatre incidences fondamentales sur de telles affaires.

LES MENACES VERBALES CONSTITUENT DE « LA VIOLENCE AU TRAVAIL »

Premièrement, la loi 168 précise que l’emploi de menaces verbales au travail tombe dans la nouvelle catégorie de violence au travail pour l’application de la Loi sur la santé et la sécurité au travail de l’Ontario (la « LSST »). Lorsqu’il y a une allégation de menace au travail, les parties doivent considérer que l’allégation porte sur une inconduite de violence. L’arbitre Newman a souligné que n’est pas nécessaire la preuve d’une capacité immédiate d’infliger des lésions corporelles ni même la preuve d’intention de ce faire. La violence au travail dans de tels cas consiste en la profération de termes menaçants.

LES EMPLOYEURS SONT TENUS DE FAIRE UNE ENQUÊTE COMPLÈTE ET DE RÉAGIR DE FAÇON APPROPRIÉE

Deuxièmement, la loi 168 a changé la façon dont les parties doivent répondre à une allégation de menace au travail. Les travailleurs et les superviseurs sont tenus de signaler les incidences de violence au travail. L’employeur est tenu de faire enquête sur l’incident de façon complète et équitable. La réponse de l’employeur doit être éclairée, raisonnable et proportionnelle. L’arbitre a précisé que cette obligation ne doit pas être interprétée comme exigeant le congédiement automatique pour cause d’inconduite. À cet égard, l’arbitre était d’accord avec la position du syndicat, déclarant que :

[Traduction]
Rien dans la Loi sur la santé et la sécurité au travail n’exige qu’un employé jugé avoir commis un acte de violence au travail soit automatiquement congédié […]. Il ne s’agit pas d’une loi qui restreint expressément le pouvoir discrétionnaire de l’arbitre d’évaluer le caractère approprié de la sanction.

Toutefois, l’employeur ne peut pas être passif ou indifférent devant des signalements de violence au travail. Une telle inaction constituerait [Traduction] « un déni des obligations imposées à l’employeur par la LSST et exposerait cet employeur aux sanctions prévues dans cette Loi. »

DAVANTAGE DE POIDS EST ACCORDÉ À « LA GRAVITÉ DE L’INCIDENT »

Troisièmement, la loi 168 touche la manière dont un arbitre pourrait évaluer la raisonabilité du congédiement lorsqu’il conclut qu’une menace a été proférée. L’arbitre doit évaluer la raisonabilité du congédiement dans les circonstances à la lumière des facteurs énoncés dans Dominion Glass Co. and United Glass and Ceramic Workers, local 203 (1975) :

Qui a été menacé ou attaqué?
S’agissait?il d’un accès de colère ou d’un acte prémédité?
Quelle est la gravité de la menace ou de l’attaque?
Une arme a?t-elle été utilisée?
Y a?t?il eu provocation?
Quelle est la durée de service du plaignant?
Quelles sont les conséquences économiques d’un licenciement sur le plaignant?
Le plaignant éprouve?t?il sincèrement des remords?
Des excuses ont-elle été sincèrement faites?
Le plaignant a?t?il accepté la responsabilité de ses actes?

L’arbitre a déclaré que ces facteurs continuent de s’appliquer, quoique la gravité de l’incident est susceptible de se faire attribuer plus de poids en raison de la loi 168. L’arbitre estimait que les modifications apportées par la loi 168 avaient élevé la gravité des menaces de violence au niveau de la violence réelle, ce qui signifie qu’un arbitre pourrait être enclin à accorder plus de poids à la gravité de l’incident qu’aux autres facteurs.

LA « SÉCURITÉ AU TRAVAIL » CONSTITUE UN FACTEUR ADDITIONNEL

Enfin, les modifications apportées par la loi 168 ajoutent un facteur à ceux qui sont normalement examinés dans l’évaluation de la raisonabilité et de la proportionnalité des mesures disciplinaires. L’arbitre Newman a qualifié ce facteur additionnel de « sécurité au travail ». Elle a déclaré qu’il faut déterminer si l’inconduite est susceptible de se répéter. L’arbitre Newman a expliqué ce qui suit :

[Traduction]              
Cet élément d’enquête est requis, à la lumière des modifications, parce que le lien d’emploi ne peut être renoué si l’employé en faute rendra vraisemblablement l’employeur incapable de remplir son obligation de procurer un milieu de travail sécuritaire en vertu de la LSST.

Appliquant le cadre postérieur à la loi 168 aux faits dont elle était saisie, l’arbitre Newman a accordé un poids considérable aux 28 ans de service de la plaignante. Elle a déclaré qu’il s’agissait du facteur le plus convaincant militant contre le congédiement. Toutefois, la durée de service importante de la plaignante était minée par sa conduite et la preuve à l’audience. La plaignante n’a jamais semblé accepter la responsabilité de son inconduite. Elle n’a pas manifesté de prise de conscience de la gravité de ses actes ni de remords. De plus, elle n’a fourni aucune preuve indiquant qu’elle aurait tenté de modifier son comportement. L’arbitre estimait que cela rendait impossible un lien d’emploi puisque la récidive semblait possible.

En ce qui a trait à la conduite de l’employeur, l’arbitre Newman a jugé que l’employeur avait réagi en faisant preuve de la célérité appropriée requise dans les circonstances. L’employeur a fait enquête sur l’incident et a fait participer les cadres supérieurs afin de déterminer la réponse appropriée. L’arbitre a rejeté le grief après avoir conclu que le congédiement était approprié et proportionnel dans les circonstances.

À notre avis

Cette décision, l’une des premières, interprétant et appliquant les modifications apportées par la loi 168 démontre clairement que les employeurs doivent réagir rapidement et de façon appropriée en cas d’allégation de violence au travail, y compris les menaces de violence. Les employeurs doivent enquêter de façon exhaustive et équitable sur de telles allégations. Les exigences en common law de raisonabilité et de proportionnalité de la réponse à l’inconduite continuent de s’appliquer. Toutefois, cette décision indique que des mesures disciplinaires sévères, y compris le congédiement, seront souvent considérées appropriées dans les situations comportant des menaces au travail.

Si vous voulez davantage d’information, communiquez avec André Champagne au 613?940?2735.

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