La Cour d’appel de l’Ontario confirme un jugement accordant près de 200 000 $ en dommages-intérêts pour perte de prestations d’invalidité pendant un délai de préavis en common law

La common law oblige les employeurs qui renvoient un salarié à lui donner un préavis raisonnable ou à lui verser une indemnité tenant lieu d’un préavis. Cette compensation doit être versée pour toute la durée du préavis raisonnable en common law afin de mettre l’employé dans la même situation que s’il avait travaillé durant la période de préavis. Une décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Brito c. Canac Kitchens (janvier 2012) démontre l’étendue des obligations de l’employeur envers les salariés qu’il renvoie pendant ce délai de préavis raisonnable. Dans cette cause, la Cour d’appel a confirmé un jugement octroyant près de 200 000 $ en dommages-intérêts pour perte de prestations d’invalidité de longue durée pendant le préavis en vertu de la common law. Cette affaire met en évidence le risque que court un employeur lorsque, en situation de renvoi non motivé, il n’accorde que le préavis minimal prévu par la loi.

En juillet 2003, dans le cadre d’une restructuration, Canac a mis fin à l’emploi du plaignant à titre de menuisier en portes et armoires de cuisine et chef d’équipe de l’atelier de bois. L’intéressé, âgé de 55 ans, comptait alors 24 ans de service dans l’entreprise. Canac lui a versé l’indemnité minimale prévue par la loi comme paiement tenant lieu du préavis de licenciement ainsi que l’indemnité de cessation d’emploi. La somme correspondait à près de 32 semaines de salaire. La couverture d’assurance invalidité du plaignant en vertu du régime de l’employeur a été résiliée après huit semaines.

À la suite de son renvoi, le plaignant a rapidement « minimizé ses pertes » en se trouvant un nouvel emploi en août 2003, bien que moins bien rémunéré et sans prestations d’invalidité. En novembre 2004, soit 16 mois après son renvoi, on a diagnostiqué chez lui un cancer du larynx. Il a alors subi la première d’une série d’opérations et traitement afin d’éliminer le cancer.

Il en est venu à poursuivre Canac pour renvoi injustifié et perte consécutive d’avantages sociaux, dont des prestations d’invalidité de courte et de longue durée. Il a allégué que, sans ce renvoi injustifié, il aurait eu droit à ces prestations d’invalidité par le régime de son employeur.

RENVOI INJUSTIFIÉ ET PRÉAVIS RAISONNABLE

Au procès, le juge Randall Echlin, de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, a statué qu’il y avait bel et bien eu renvoi injustifié. Pour le calcul de ce qui aurait été un délai de préavis approprié, il a appliqué les facteurs tirés de la décision souvent citée dans l’affaire Bardal c. Globe and Mail Ltd. (1960) :

[Traduction]  Il est impossible de préciser ce qui constitue un préavis raisonnable dans des catégories particulières de cas. Le caractère raisonnable du préavis est à déterminer au cas par cas, eu égard à la nature de l’emploi, à l’ancienneté de l’employé, à l’âge de celui?ci et à la possibilité d’obtenir un poste similaire, compte tenu de l’expérience, de la formation et des compétences de l’employé. 

À la lumière de ces facteurs, il a établi un prévis de 22 mois. Il a accordé au plaignant une compensation pécuniaire d’emploi correspondant à la période comprise entre la date de renvoi et novembre 2004, date à laquelle le plaignant est devenu invalide. Il a déduit de cette somme l’indemnité versée par Canac et la rémunération effective du plaignant dans son nouvel emploi.

INVALIDITÉ ET DOMMAGES-INTÉRÊTS POUR LE DÉLAI DE PRÉAVIS

Le juge a déclaré que, pour le laps de temps écoulé entre la date de début de l’invalidité et la fin du préavis de 22 mois, le but était de remettre le plaignant dans la situation où il se serait trouvé si Canac lui avait accordé le préavis nécessaire. Ainsi, le plaignant aurait à recevoir le salaire de son emploi, plus tous les avantages liés pour toute cette période de 22 mois.

Au vu des informations données par le plaignant sur son état médical, le juge a conclu que celui-ci était « totalement invalide » aux fins du régime d’invalidité de l’employeur. Cette invalidité totale avait duré de novembre 2004 à la date du procès. Le juge a accordé en conséquence environ 9 000 $ en dommages-intérêts pour la perte des prestations d’invalidité de courte durée du régime de l’employeur. Il a également conclu que l’intéressé avait droit à des dommages-intérêts pour la perte de prestations d’invalidité de longue durée entre la fin des prestations de courte durée et son 65e anniversaire. Cela représentait une somme de presque 200 000 $. Enfin, le juge a octroyé 125 000 $ en dépens et 15 000 $ en dommages-intérêts punitifs pour sanctionner Canac et son dur traitement du plaignant.

JUGEMENT EN APPEL

Canac a appelé du jugement en première instance accordant des dommages-intérêts à la fois accessoires (pour perte de prestations d’invalidité de longue durée) et punitifs. Elle a fait valoir que le plaignant n’était pas « totalement invalide » au sens du régime d’invalidité. Elle soutenait également que celui?ci avait négligé de « minimiser ses pertes » en ne trouvant pas un autre emploi après mars 2005 pendant qu’il recevait un traitement postchirurgical.

La Cour d’appel a marqué son désaccord. À ses yeux, les éléments de preuve étayaient suffisamment la conclusion tirée en première instance que l’intéressé était totalement invalide au sens du régime d’invalidité. À la lumière de ce fait, elle a aussi écarté l’allégation selon laquelle le plaignant avait négligé de limiter le préjudice. À son avis, le travailleur n’avait pas l’obligation, s’il était totalement incapable de travailler, de minimiser ses pertes en trouvant un nouvel emploi.

Canac a cependant eu gain de cause pour les dommages-intérêts punitifs. La Cour d’appel a annulé les 15 000 $, indiquant que le plaignant n’avait pas demandé de dommages-intérêts punitifs dans sa demande introductive, ce qui aurait dû empêcher de lui en accorder en première instance.

À notre avis

Pour la plupart, les employeurs recourent à des assureurs externes pour la prestation de régime d’invalidité à leurs salariés. Nombreux sont les assureurs qui n’accorderont pas de prestations d’invalidité au?delà de la période de préavis minimale prévu par la loi. Comme on peut le constater dans l’affaire Canac, il peut donc y avoir une interruption de prestation entre la fin du préavis statutaire minimal et celle du délai plus long de préavis en common law. Durant cette période d’interruption, les employeurs s’assurent eux-mêmes contre le risque de demandes d’indemnisation de salariés pour perte de prestations d’invalidité en situation de renvoi. Ce risque peut être atténué par divers moyens. Avant le renvoi, l’employeur peut demander une extension de la couverture d’invalidité de longue durée à son assureur. Si cette garantie coûte trop cher, il peut adresser la même demande à un autre assureur. S’il ne peut obtenir la couverture recherchée, l’employeur peut tenter de se prémunir contre ce risque dans l’offre d’une indemnité de cessation d’emploi aux salariés qu’il renvoie. Il pourrait ainsi obtenir une quittance où les intéressés accepteraient la fin du régime d’invalidité de l’employeur pour eux et renonceraient à toute compensation future à cet égard. L’employeur devrait être prêt à majorer l’indemnité de départ en échange d’une telle quittance.

Si vous voulez davantage d’information, veuillez communiquer avec Sébastien Huard au (613) 940?2744.

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