Courriel au travail : pas d’attente raisonnable de respect de la vie privée

Dans une décision récente, une arbitre de la Colombie-Britannique a affirmé ce que bon nombre d’employés savent déja : le courriel n’est pas confidentiel. L’affaire CUPE v. Camosun College (15 novembre 1999) traitait le grief d’un technicien de laboratoire congédié pour avoir fait un certain nombres d’allégations non justifiées contre d’autres employés et l’administration. Les allégations étaient contenues dans un long courriel diffusés a une centaine d’employés qui faisaient partie d’un forum syndical installé sur le réseau informatique de l’employeur.

Dans son courriel, le plaignant alléguait qu’il était victime de [TRADUCTION] « harcelement soutenu par la direction » et qu’on retrouvait dans son département des cas d’incompétence grossiere et de favoritisme. Ce qui est plus grave, il prétendait que trois professeurs avaient détourné, au profit d’une entreprise personnelle, des ressources d’une valeur de [TRADUCTION] « dizaines de milliers de dollars » appartenant au College, entraînant ainsi [TRADUCTION] « la corruption d’une institution financée par des fonds publics ».

Le message s’est rapidement rendu aux professeurs visés par l’allégation et le plaignant a été suspendu avec rémunération jusqu’au terme d’une enquete indépendante sur les faits allégués. Par la suite, le plaignant a été renvoyé, le premier renvoi dans les annales du College.

LE DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE N’EST PAS EN CAUSE

Lors de l’arbitrage, le College a soutenu que le message violait l’obligation de fidélité que le plaignant devait a l’employeur et constituait de l’insubordination. Le syndicat a répliqué que le contenu du courriel ne pouvait fournir de motif de renvoi, le message étant a la fois confidentiel et privilégié.

Abordant en premier lieu la question de la confidentialité, l’arbitre a fait observer que le forum faisait partie du réseau du College, ce qui aurait du alerter les usagers que leurs messages électroniques étaient susceptibles d’etre contrôlés par le College. De plus, n’importe quel destinataire muni d’une imprimante était en mesure d’imprimer des copies et les distribuer. Plus importants encore étaient certains autres aspects du courriel, et la connaissance de ces aspects par le plaignant :

[TRADUCTION] « [N]’importe quel abonné pouvait transmettre le message a des non-abonnés. Tout abonné aurait pu communiquer un message reçu a chacun de ses correspondants électroniques, ces derniers, pouvant, a leur tour, faire de meme. La seule limite de l’aire de diffusion d’un message électronique est l’internet meme. …

La nature meme du courrier électronique n’étaye donc pas l’argument de la confidentialité : au contraire, elle s’y oppose. De plus, le syndicat et le plaignant étaient tous deux au courant des caractéristiques du courrier électronique ».

L’arbitre a ensuite cité des autorités jurisprudentielles affirmant que l’attente de confidentialité a l’égard de la correspondance écrite ne pouvait s’appliquer au courriel. Le droit au respect de la vie privée n’était donc pas en cause.

COMMUNICATION NON PRIVILÉGIÉE

Le syndicat a également soutenu que le message était semblable aux déclarations verbales faites par les syndiqués lors d’assemblées syndicales et devrait, par conséquent, etre considéré une communication privilégiée. Aucune autorité n’a été citée a l’appui de cet énoncé. L’arbitre a rejeté l’argument, en affirmant qu’il refusait d’assimiler les messages par courriel a des déclarations verbales lors d’une assemblée. A la différence des paroles prononcées en assemblée, les messages de courriel peuvent facilement etre copiés et transmis intégralement a d’autres. Meme si ces déclarations verbales sont privilégiées, il n’y a aucune raison d’étendre cette protection aux messages par courriel transmis par le réseau informatique de l’employeur.

Le plaignant ne pouvait non plus invoquer le privilege reconnu aux déclarations faites par des dirigeants syndicaux dans l’exécution de leurs fonctions, puisqu’il avait agi a titre personnel.

VIOLATION DE L’OBLIGATION DE FIDÉLITÉ

Apres avoir jugé que le message pouvait servir de motif de renvoi, l’arbitre s’est alors penché sur la véracité de son contenu. Il a conclu, a l’égard de toutes les allégations, que le plaignant les avait faites alors qu’il les savait fausses, ou qu’il avait été insouciant quant a leur fausseté.

La question devenait alors celle de savoir si le plaignant avait violé son obligation de fidélité, en d’autres termes, son devoir de s’abstenir de poser délibérément des gestes préjudiciables aux intérets de son employeur. Bon nombre d’allégations de violation visent des employés qui ont critiqué publiquement leur employeur et la tâche de l’arbitre consiste a trancher entre le droit des employés a la liberté des débats et le droit de l’employeur de conduire son entreprise de façon efficace.

L’arbitre a fait observer que l’obligation de fidélité n’exige pas qu’un employé ferme les yeux sur les irrégularités commises dans l’entreprise. Cependant, avant de [TRADUCTION] « crier haro », il est tenu, dans la mesure du possible, de faire enquete et de vérifier les faits, ainsi que de prendre toutes les mesures disponibles pour corriger le probleme a l’interne. En l’occurrence, il était clair que les allégations du plaignant étaient fausses et qu’il n’avait rien fait pour les vérifier avant d’envoyer son message. Par conséquent, ses actions violaient son devoir de loyauté a l’endroit du College.

Notre point de vue

Dans le numéro D’AU POINT de juillet 1998, nous avons traité de l’importance de mettre en oeuvre une politique sur l’utilisation des ressources informatiques d’une entreprise (voir « Les nouveaux problemes posés par l’informatisation du milieu de travail » sous la rubrique « Publications »). Une des composantes de cette politique pourrait etre un avis aux employés que les informations transmises par courriel ne peuvent etre considérées confidentielles, vu le potentiel de diffusion illimitée qu’offre ce mode de communication.

Le résultat aurait peut-etre été différent si le courriel n’avait été adressé qu’a un seul destinataire. Bien qu’une bonne partie du raisonnement porte sur la nature meme du courrier électronique, l’arbitre affirme qu’un courriel individuel offrirait de la [TRADUCTION] « confidentialité, ou du moins, une plus grande confidentialité ». Il est possible, toutefois, qu’on aurait tenu compte du nombre de correspondants non pas pour trancher la question de confidentialité, mais bien pour établir si le plaignant avait violé l’obligation de fidélité. (Voir aussi « Plutôt « enfantins et de mauvais gout » que « dommageables ou harcelants », les courriels de l’employé ne constituent pas un motif de congédiement » sous la rubrique « Pubications ».)

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Carole Piette au (613) 563-7660, poste 227.

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