Les régimes d’option d’achat et les dommages-intérêts pour congédiement injustifié

Les entreprises choisissent de plus en plus d’ajouter à la rémunération des cadres et des employés dans la haute technologie un régime d’option sur actions ou d’achat des actions. Toutefois, lorsque l’employeur met fin à la relation d’emploi, ce moyen qui paraissait idéal pour attirer de nouveaux talents peut entraîner des complications. Avant de mettre en place un tel régime, il convient donc d’envisager quelle sera la responsabilité éventuelle de l’employeur si la relation d’emploi tourne mal.

« CESSATION D’EMPLOI TELLE QUE DÉFINIE PAR LA LOI »

Le libellé du régime d’option d’achat joue un rôle déterminant quand vient le temps de définir les droits et obligations des parties. C’est du moins le message que livre la Cour d’appel de l’Ontario dans la décision Veer v. Dover Corp. (19 mai 1999), jugement rendu à la suite de l’appel d’une décision dont faisait état le numéro d’avril 1998 d’AU POINT (voir « Une réaction démesurée à un seul acte d’insubordination coûte à l’employeur 24 mois de préavis » sous la rubrique « Publications »).

Le tribunal de première instance avait accordé 24 mois de préavis à M. Veer pour congédiement injustifié, ainsi que des dommages-intérêts de plus de 437 000 dollars pour une option d’achat dévolue mais qu’il n’avait pas encore exercée. En accordant les dommages-intérêts pour l’option d’achat, le juge de première instance a rejeté l’argument de la compagnie Dover que selon le libellé de l’entente d’option d’achat, les droits de l’employé prenaient fin au moment où cessait son emploi. L’entente prévoyait ce qui suit :

[TRADUCTION] « Si l’emploi du détenteur de l’option se termine pour quelque raison que ce soit [autre que le décès, la retraite ou l’invalidité], que la cessation d’emploi soit volontaire ou involontaire, sans qu’il ait pleinement exercé son option, l’option sera annulée et il n’aura aucun droit ultérieur d’exercer l’option et tous ses droits en vertu de la présente entente prendront fin à la date où prend effet la cessation d’emploi. »

Le tribunal de première instance et la Cour d’appel ont tous deux jugé que, volontaire ou involontaire, la cessation d’emploi qui marque la fin du droit d’exercer l’option d’achat doit être [TRADUCTION] « la cessation d’emploi telle que définie par la loi ». En d’autres mots, dans le cas d’un congédiement injustifié, l’option demeure jusqu’à la fin de la période de préavis déterminée par le tribunal.

L’EXCEPTION DANS L’AFFAIRE BROCK

À l’appui de sa position que même un congédiement injustifié suffisait pour annuler les droits d’option d’achat de M. Veer, la compagnie Dover a invoqué l’affaire Brock v. Matheson Group Ltd., une décision de 1991 rendue par la Cour d’appel de l’Ontario. Dans cette affaire, l’entente d’option d’achat précisait que les droits de l’employé prendraient fin [TRADUCTION] « si l’employé cessait d’être un employé, pourvu qu’en cas de congédiement par la Société, il ait un délai de 15 jours à partir de la date de l’avis de congédiement » pour exercer l’option d’achat. Le juge de première instance dans l’affaire Brock a conclu, comme les tribunaux dans l’affaire Veer, que « congédiement » et « cesser d’être un employé » ne faisaient référence qu’à des congédiements justifiés. Toutefois, la Cour d’appel a décidé l’affaire autrement, et a déclaré que la date pertinente pour l’entente d’option d’achat était la date à laquelle on [TRADUCTION] « cessait d’être un employé ».

La Cour d’appel dans l’affaire Veer a affirmé que, dans l’affaire Brock, l’entente était ainsi libellée que le caractère injustifié du congédiement n’entrait pas en ligne de compte pour interpréter les droits qu’elle conférait à l’employé :

[TRADUCTION] « Le libellé particulier de cette disposition [a permis à la Cour dans la décision Brock] de conclure que c’était le jour même du congédiement de l’employé qui importait, sans égard au caractère injustifié du congédiement. En l’absence d’un tel libellé, il me semble qu’il faut présumer que les parties envisagent un facteur de déclenchement conforme à la loi. »

Par contraste, le juge de première instance dans l’affaire Veer a fait la distinction avec l’affaire Brock en se fondant non pas sur les mots « cessait d’être un employé » mais plutôt sur la spécification dans le régime d’une période de 15 jours après le congédiement pour exercer le droit d’achat d’actions. Quelle que soit la façon dont on interprète l’exception faite dans l’affaire Brock, il s’agit du seul libellé ayant reçu l’approbation judiciaire pour l’annulation des droits d’option pendant la période du préavis raisonnable.

DROIT DÉVOLU

M. Brock avait en fait exercé son option d’achat d’actions dans les 15 jours spécifiés par le régime, de sorte que la conclusion du tribunal sur la cessation de l’option au moment où son emploi prenait fin ne touchait que le nombre d’actions qu’il avait le droit d’acheter, et non le fonds de son droit. La question revient à la détermination du moment où l’option est dévolue. Même lorsqu’on juge que l’option dure pendant toute la période de préavis, si le libellé de l’entente accorde le droit d’achat d’actions une fois la période de préavis terminée, on n’accordera pas de dommages-intérêts à l’égard de ces actions. En conséquence, il serait sans doute prudent d’inclure une disposition dans le régime selon laquelle l’employé dont l’emploi a pris fin renonce à toute option non dévolue.

CALCUL DES DOMMAGES-INTÉRÊTS

Une fois le droit d’acquisition établi, et sa portée précisée, il faut calculer les dommages-intérêts de l’employé pour la perte du profit qu’il aurait tiré de la revente des actions. Ce calcul dépend aussi du libellé du régime, mais les décisions des tribunaux donnent quelques principes généraux. Pour les régimes d’option d’achat, les dommages-intérêts représentent la différence entre le prix privilégié offert à l’employé pour acheter les actions et leur valeur marchande à la date, déterminée par le tribunal, où l’employé serait susceptible de revendre les actions sur le marché. Il ne s’agit pas seulement pour le tribunal de déterminer le moment opportun, mais aussi de tenir compte de la personnalité et des circonstances de l’employé.

Une décision ontarienne récente, Poplack v. Intermetco Ltd (2 mars 1999) illustre comment les dommages-intérêts sont évalués. Le tribunal a conclu qu’on avait injustement empêché M. Poplack d’acheter 18 000 actions, dont 12 000 auraient pu être achetées au moment de son congédiement et les autres 6 000 six mois plus tard. Le tribunal a ensuite conclu qu’Intermetco était une société à peu d’actionnaires, dont les actions étaient peu échangées, de sorte que l’influx d’un grand nombre d’actions sur le marché aurait eu pour effet de baisser leur prix. Pendant la période en question, le prix d’achat et de revente s’était situé à 7,50 dollars environ; enfin, M. Poplack était un investisseur prudent.

À partir de ces conclusions, le tribunal a jugé que M. Poplack aurait vendu les premières 12 000 actions dans l’année, [TRADUCTION] « aussi vite que possible après son congédiement mais en attendant suffisamment pour ne pas créer un effet négatif pour le prix de l’action », à raison de 7,50 dollars l’action. Quant aux 6 000 actions restantes, il était raisonnable de supposer que M. Poplack aurait pris son temps pour les vendre, puisqu’il vendait graduellement les actions du premier lot, et qu’il aurait attendu encore sept mois, jusqu’au moment où une offre publique d’achat avait fait grimper le prix de l’action, qui était passé à 16,75 dollars.

Il convient de souligner qu’il est arrivé que les tribunaux refusent d’accorder des dommages-intérêts pour l’occasion perdue, dans les cas où on a établi que l’employé n’avait jamais manifesté la moindre intention de participer au régime. On constate donc que ce ne sont pas seulement les dispositions du régime lui-même qui ont une incidence sur l’attribution de dommages-intérêts, mais bien toutes les circonstances de l’affaire.

LIMITATION DU PRÉJUDICE

L’argument de l’employeur sera généralement que l’employé aurait dû limiter la perte en achetant ses propres actions. L’adoption d’une telle position dépend bien sûr des fluctuations du marché et de leur incidence sur les pertes de l’employé. Dans une affaire, le tribunal a rejeté la position de l’employé que d’intenter promptement une poursuite remplaçait raisonnablement un investissement personnel important dans les actions. Le tribunal a jugé que l’employé aurait dû acheter les actions dans les trois mois suivant sa démission, et la compagnie ne pouvait être tenue responsable des profits perdus parce qu’il ne l’avait pas fait.

Par contraste, la Cour d’appel dans l’affaire Veer a rejeté l’argument de la compagnie Dover que M. Veer aurait dû limiter le dommage à la fin de la période de préavis en investissant environ 300 000 dollars (U.S.) dans les actions auxquelles il avait droit en vertu de l’entente d’option d’achat. La Cour a observé qu’on n’avait présenté aucune preuve indiquant qu’une telle action était raisonnable et vu les sommes en jeu, c’était plutôt le contraire qui semblait être le cas.

Par ailleurs, dans l’affaire Brock, l’employé avait trouvé un nouvel emploi peu de temps après la cessation d’emploi. Le tribunal de première instance a jugé que bien que les dommages-intérêts de M. Brock pour le préavis seraient réduits du montant des gains provenant du nouvel emploi, la date d’entrée en fonctions dans le nouvel emploi ne pouvait servir de date limite pour réduire le nombre et la valeur des actions auxquelles il aurait eu droit, car cela le pénaliserait pour avoir effectivement limité les dommages.

Notre point de vue

La Cour d’appel dans l’affaire Veer semble indiquer qu’il existe un autre moyen de mettre fin au régime d’achat d’actions au moment d’un congédiement injustifié, c’est-à-dire, en prévoyant dans le contrat de travail ou l’entente d’option d’achat que l’option expire avec l’emploi, quelles que soient les modalités de sa cessation, comme on l’avait fait dans l’affaire Brock. Cependant, des dispositions qui précisent que même le congédiement injustifié met fin au droit d’achat d’actions pourraient aller à l’encontre de l’objectif même d’un régime d’achat d’actions, soit attirer des employés hautement qualifiés.

Il est évident que la rédaction de telles ententes met en jeu un délicat équilibre entre des conditions suffisamment attirantes pour attirer des recrues, d’une part, et une limite à la responsabilité de l’employeur pour dommages-intérêts si jamais l’employé est congédié sans motifs valables, d’autre part. Nos avocats peuvent vous aider à établir les paramètres nécessaires et à trouver la solution qui convient à votre entreprise.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec André Champagne au (613) 563-7660, poste 229 ou avec Sylvie Guilbert au (613) 563-7660, poste 256.

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