Plutôt « enfantins et de mauvais goût » que « dommageables ou harcelants », les courriels de l’employé ne constituent pas un motif de congédiement

L’omniprésence actuelle de la technologie numérique dans le milieu de travail a créé de nouveaux modes d’inconduite chez les employés. Certaines inconduites peuvent etre graves : télécharger du matériel offensant, ou utiliser le courrier électronique pour envoyer des messages harcelants ou pour faire circuler de fausses rumeurs contraires a l’intéret de l’employeur (voir « Courriel au travail : pas d’attente raisonnable de respect de la vie privée » sous la rubrique « Publications). Toutefois, lorsque l’inconduite est mineure, les employeurs doivent s’assurer qu’ils y réagissent d’une maniere proportionnelle.

Voila la leçon qu’il faut tirer de la décision Canadian Pacific Railway v. International Brotherhood of Electrical Workers, une sentence arbitrale de l’Ontario rendue le 14 mars 2000. Dans cette affaire, le plaignant était un employé avec neuf ans de service et un dossier disciplinaire impeccable. Avec plusieurs autres employés, il avait réussi a sortir du systeme de courrier électronique interne de la compagnie et a avoir acces a l’Internet pour envoyer et recevoir plusieurs messages qui ont servi de motif a son congédiement.

TRICHER DANS UN COURS PAR CORRESPONDANCE

Le plaignant avait, notamment, utilisé le courrier électronique pour obtenir les réponses d’examen d’un cours par correspondance sur l’électronique, qui faisait partie des conditions de son apprentissage. Cependant, le plaignant n’était pas le seul employé a avoir utilisé les réponses obtenues clandestinement; un autre employé avait fait de meme, et il s’était mérité, comme le plaignant, 45 points de démérite pour son inconduite.

L’arbitre a avoué avoir [TRADUCTION] « certaines difficultés » avec la position de l’employeur, selon laquelle le fait de tricher méritait 45 points de démérite dans un cas, et un congédiement dans le cas du plaignant, surtout vu l’absence de problemes disciplinaires antérieurs et le nombre d’années de service. La réaction de l’employeur aux actions de l’autre employé semblait indiquer que le fait de tricher dans un cours par correspondance ne constituait pas, en soi, un motif suffisant de congédiement. La question était donc de savoir s’il y avait d’autres éléments dans la conduite du plaignant qui justifiaient cette mesure disciplinaire.

« BAVARDAGE INSIGNIFIANT »

L’arbitre a conclu qu’un des courriels du plaignant était [TRADUCTION] « d’un extreme mauvais gout », puisqu’il contenait des blagues qui ridiculisaient les femmes et les gais dans une langue assez crue. Les courriels, toutefois, consistaient pour la plupart de [TRADUCTION] « communications enjouées concernant les gouts du plaignant en matiere de musique rock et de concerts, ses plans pour sortir la fin de semaine a la plage voisine, ses exploits dans des partys, et autres communications semblables assez peu surprenantes pour un homme de 26 ans ». Si ces messages contenaient effectivement un commentaire péjoratif au sujet d’un employé non identifié, on ne pouvait [TRADUCTION] « les caractériser comme un manque de respect a l’égard de l’autorité ». Pour résumer sa position sur la nature des courriels, l’arbitre a dit :

    [TRADUCTION] « [I]ls sont clairement plus enfantins et de mauvais gout que dommageables ou harcelants … [S]eul l’un des courriels, un message a sa petite amie, contient des blagues de mauvais gout du style Howard Stern. La majeure partie de ses communications, destinées a ses collegues de travail, n’est que du bavardage généralement insignifiant qui n’est ni scandaleux ni particulierement intéressant. »

NI HARCELEMENT NI VOL

Vu sa caractérisation de la nature des courriels, l’arbitre était d’avis que la réaction de l’employeur avait été excessive. Il a noté que si les courriels comprenaient quelques [TRADUCTION] « allusions a autrui qui étaient moins que flatteuses », ils ne [TRADUCTION] « s’adressaient [pas] a une personne en particulier qui aurait été victime de harcelement ou de mauvais traitement ».

L’arbitre a rejeté de la meme façon les efforts de l’employeur de caractériser comme « vol » l’utilisation du courrier électronique par le plaignant. L’arbitre a fait la distinction entre la conduite en cause et des appels interurbains non autorisés, en déclarant :

    [TRADUCTION] « Il n’y a aucune indication que la Compagnie a encouru des dépenses additionnelles, ni qu’il y a eu perte matérielle quantifiable en raison des actions du plaignant. En l’absence d’une preuve qui montrerait, par exemple, des dépenses additionnelles pour la Compagnie comme eut été le cas si l’employé avait encouru des frais importants pour des appels interurbains effectués a des fins personnelles, il est difficile d’accepter la position de la Compagnie que les actions du plaignant représentent un vol pour des fins de discipline. »

UNE MESURE DISCIPLINAIRE SERAIT JUSTIFIÉE

L’arbitre n’était pas d’accord que le congédiement était une réaction juste aux actions du plaignant, mais il a bien souligné que la conduite du plaignant dans son utilisation du courrier électronique pour envoyer des [TRADUCTION] « messages personnels d’un gout douteux » était [TRADUCTION] « tout a fait déplacée » et méritait une mesure disciplinaire. Les systemes de communication interne, a fait remarquer l’arbitre, sont censés etre utilisés [TRADUCTION] « de façon professionnelle et responsable », et en enfreignant les normes acceptables pour l’utilisation du systeme, le plaignant s’était [TRADUCTION] « par le fait meme rendu passible d’une sanction sévere ».

Le congédiement, toutefois, constituait une mesure excessive, surtout étant donné le dossier impeccable du plaignant. Par conséquent, l’arbitre a ordonné la réintégration du plaignant sans indemnisation ni perte d’ancienneté. Son absence du travail devait etre inscrite a son dossier comme suspension pour avoir falsifié ses réponses dans le cours par correspondance et pour avoir eu une conduite inconvenante par son abus du courrier électronique.

Notre point de vue

Comme pour d’autres types d’inconduite, les employeurs doivent ajuster leur sanction selon la gravité de l’infraction. Lorsqu’un employé a par ailleurs un dossier impeccable, il est peu probable que l’utilisation non autorisée du courrier électronique a des fins personnelles soit suffisante pour justifier le congédiement. Lorsque le contenu des messages et l’identité du destinataire indiquent une intention de harceler ou font preuve d’un manque de loyauté a l’endroit de l’employeur, des mesures plus séveres peuvent etre justifiées. De meme, elles pourraient l’etre si le systeme est délibérément altéré, ou si l’employeur a encouru des dépenses considérables du fait de l’utilisation non autorisée du systeme par l’employé.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec André Champagne au (613) 563-7660, poste 229.

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