L’arbitre n’accorde pas l’accommodement « idéal » au technicien phobique

Qu’arrive-t-il lorsqu’un employé dont l’invalidité est accommodée depuis des années demande un accommodement encore plus important afin d’etre muté a un autre lieu de travail? La réponse dépend bien sur des faits particuliers d’une situation donnée, mais une récente décision d’un arbitre de Colombie-Britannique signale néanmoins quelques facteurs a considérer.

Le plaignant dans l’affaire NAV Canada v. I.B.E.W. (30 octobre 2001) était un technicien âgé de 59 ans, avec plus de 30 ans de service. Son travail l’amenait a se rendre a divers endroits éloignés pour effectuer des réparations sur les systemes et l’équipement de navigation. A certains moments de l’année, quelques-uns de ces endroits n’étaient accessibles que par hélicoptere.

LA PHOBIE DE L’AVION EST ACCOMMODÉE A PRINCE GEORGE…

En 1985, le plaignant a informé son employeur qu’il avait une peur phobique de l’avion. L’employeur a réagi en ne l’obligeant plus a prendre l’avion. L’accommodement était possible parce qu’a l’aéroport de Prince George, ou travaillait le plaignant, il y avait cinq autres techniciens avec la meme classification que lui, ainsi qu’un contre-maître. Par conséquent, meme s’il était nécessaire d’envoyer deux techniciens par hélicoptere, l’employeur avait la main d’oeuvre nécessaire pour accommoder le plaignant sans contrainte excessive. En outre, l’employeur avait accommodé le plaignant en lui permettant de prendre le train plutôt que l’avion pour aller de Colombie-Britannique a Cornwall, en Ontario, pour suivre une formation.

…MAIS NON A CRANBROOK

Toutefois, lorsqu’en février 2000, le plaignant a demandé une mutation a l’aéroport de Cranbrook, l’employeur a refusé, en alléguant que l’accommodement de la phobie a Cranbrook constituerait une contrainte excessive. A l’appui de sa décision, l’employeur a noté qu’il n’avait que deux techniciens et un superviseur pour desservir trois endroits éloignés accessibles uniquement par hélicoptere a certains moments de l’année. En outre, le superviseur lui-meme bénéficiait d’un accommodement, puisqu’il refusait de voler depuis un accident d’hélicoptere survenu en 1998.

A l’audience de grief, le plaignant a indiqué qu’il avait demandé la mutation a Cranbrook parce que la qualité de l’air a Prince George avait eu un effet nocif sur la santé de sa femme, et parce qu’il avait l’intention de prendre sa retraite a Cranbrook. La preuve a révélé qu’il serait admissible a sa pleine pension de retraite moins d’un an apres la tenue de l’audience.

Les témoins de l’employeur ont indiqué que le seul technicien a Cranbrook qui était disposé a voler était un employé de longue date qui prenait ses vacances surtout en hiver. L’employeur a concédé que l’exigence de voler n’apparaissait pas sur la description de tâches pour la classification du plaignant, et qu’a l’un des endroits desservis par Cranbrook il n’y avait eu aucun vol par hélicoptere en 2001.

Le syndicat a cité l’arret de la Cour supreme du Canada Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU (voir « La norme n’était pas « raisonnablement nécessaire » : l’épreuve aérobique est jugée discriminatoire, une pompiere forestiere de C.-B. triomphe » sur notre page de Publications) pour soutenir que l’exigence de voler n’était pas une exigence raisonnablement nécessaire pour le travail du plaignant a Cranbrook. Le syndicat a signalé que pendant plus de deux années, il n’y avait eu que neuf vols de service a destination des endroits desservis, et a donc affirmé que le cout additionnel de l’accommodement ne constituait pas une contrainte excessive pour l’employeur.

L’employeur a répliqué qu’il avait déja accommodé le plaignant a Prince George, et que le plaignant demandait un accommodement accru pour ce qui, somme toute, étaient des raisons personnelles. Apres avoir vécu a Prince George avec sa femme pendant 33 ans, et a quelques mois seulement de son admissibilité a la pleine retraite, le plaignant voulait maintenant un accommodement « idéal » pour son invalidité. Le fait d’accorder sa demande créerait pour l’employeur, aux dires de celui-ci, une contrainte excessive.

GRIEF REJETÉ

L’arbitre a jugé en faveur de l’employeur, et conclut que la capacité de voler était raisonnablement nécessaire pour avoir droit a un poste a Cranbrook, ou le plaignant ne pouvait etre accommodé sans créer une contrainte excessive. A l’appui de sa décision, l’arbitre a souligné les différences entre les situations de Cranbrook et de Prince George, ou le plaignant avait déja été accommodé. L’aéroport de Cranbrook comptait moins d’employés et dépendait davantage des vols par hélicoptere que l’aéroport de Prince George.

Puisqu’un employé a Cranbrook était déja incapable de voler, et qu’un autre prenait une bonne partie de ses congés en hiver, les dépenses et les retards additionnels causés par la nécessité de mobiliser des employés d’autres installations lorsqu’il fallait envoyer un technicien par hélicoptere constituait une contrainte excessive pour l’employeur, surtout compte tenu de ses responsabilités :

    [TRADUCTION]
    « L’employeur est chargé de la lourde responsabilité de fournir et d’entretenir les aides a la navigation qui assurent la sécurité des transports aériens au Canada. Selon moi, (…) il est nécessaire qu’il fasse tout en son pouvoir afin d’avoir sur place le personnel nécessaire avec la capacité de se déplacer par avion lorsqu’un probleme surgit dans n’importe quelle installation. Nous avons ici une situation ou « l’interchangeabilité relative des employés et des installations », pour citer [Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU] est tellement minimale qu’il y a effectivement, a mon avis, contrainte excessive pour l’employeur. »

Notre point de vue

Dans son rejet du grief, l’arbitre fait référence au résultat souhaité par le plaignant comme étant la « solution idéale » qui doit céder le pas aux besoins légitimes de l’employeur dans l’organisation du travail. L’arbitre semble faire allusion d’une part au fait que l’employé avait déja eu droit a un accommodement important dans le passé, et d’autre part a sa motivation d’ordre relativement personnel pour demander la mutation. Bien que l’arbitre mette l’accent dans sa décision sur les facteurs de cout et de diminution de la capacité de l’employeur d’assurer la sécurité du systeme de navigation, il est probable que les circonstances sous-jacentes aux raisons du plaignant l’ont également influencé. La sentence arbitrale laisse entendre que lorsque la demande d’accommodement d’un employé découle d’un besoin non essentiel, cette réalité entre en ligne de compte pour déterminer les intérets en concurrence qui servent a déterminer le seuil de la contrainte excessive. (Voir les articles publiés précédemment sur l’accommodement de l’invalidité: « L’accommodement des employés handicapés – survol des perspectives juridiques », « L’obligation d’accommoder : son application », « L’accommodement des employés handicapés en deça de la contrainte excessive », « L’absentéisme involontaire dans un milieu de travail syndiqué », « Nouvelles questions dans la gestion de l’assiduité », « L’obligation d’accommoder : quelques indications dans le contexte hospitalier », « Le projet de loi S-5 vise la modification de la Loi canadienne sur les droits de la personne » et « Question de comparaison : la Cour d’appel rend une décision sur les limites aux avantages, a l’ancienneté et a l’accumulation des années de service pour les employés invalides » sur notre page de Publications.)

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Sylvie Guilbert au (613) 563-7660, poste 256.

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