AU POINT -L’accommodement des employés handicapés – survol des perspectives juridiques

La plupart des employeurs savent que le droit du travail est devenu plus complexe au cours des dernieres années du fait d’un facteur nouveau: les répercussions produites par la législation en matiere de droits de la personne. Les employeurs doivent maintenant se demander si des regles ou des pratiques qui, dans le passé, n’étaient pas perçues comme problématiques, sont, au contraire, discriminatoires et, si elles le sont, dans quelle mesure on peut les modifier pour accommoder les besoins des groupes protégés. Dans le contexte du droit du travail, les questions de discrimination et d’accommodement se posent le plus fréquemment a l’égard des employés handicapés.

Dans ce numéro d’AU POINT, ainsi que dans les deux suivants, nous étudierons l’obligation des employeurs d’accommoder les employés handicapés. Le présent numéro exposera les principes qui se dégagent de la jurisprudence pertinente de la Cour supreme du Canada, tentera de définir la notion d' »incapacité » et fera un survol de décisions récentes des arbitres et des tribunaux de relations de travail portant sur plusieurs types de dispositions contractuelles contestées pour motif de discrimination.

LES PERSPECTIVES DE LA COUR SUPREME DU CANADA

a) Les types de discrimination et l’obligation d’accommoder

Au cours de la derniere décennie, la Cour supreme du Canada a élaboré les principes régissant la discrimination et l’obligation d’adopter des mesures d’accommodement. Ces principes, ainsi que la législation applicable, ont défini les parametres encadrant les délibérations des tribunaux inférieurs.

La Cour a jugé qu’il y a deux types de discrimination, la discrimination directe et la discrimination par suite d’un effet préjudiciable. La discrimination directe dans l’emploi se produit lorsqu’un employeur adopte une regle ou une pratique qui opere clairement discrimination en raison d’un motif prohibé. Une regle faisant obstacle a l’embauche de personnes en fauteuil roulant constituerait de la discrimination directe.

La discrimination par suite d’un effet préjudiciable, quant a elle, a lieu lorsqu’un employeur adopte, pour des raisons d’affaires véritables, une regle ou une pratique qui est neutre a premiere vue et qui s’applique également a tous les employés, mais qui, en raison d’un motif de discrimination prohibé, produit involontairement un préjudice a l’égard d’un ou de plusieurs employés. L’exigence que tous les employés soient disponibles pour travailler le samedi, que cette exigence entre ou non en conflit avec leurs obligations religieuses, serait un exemple de ce type de discrimination.

En ce qui concerne la discrimination par suite d’un effet préjudiciable, la Cour supreme a jugé que lorsque la regle d’emploi contestée se rapporte rationnellement a l’exécution des tâches, elle ne sera pas annulée, meme si elle entraîne un effet préjudiciable en raison d’un motif prohibé. Cependant, l’employeur est tenu d’adopter des mesures raisonnables – n’allant pas, toutefois, jusqu’au point de la contrainte excessive – pour accommoder les employés ou les groupes touchés par la regle. L’obligation d’adopter des mesures d’accommodement en faveur d’un employé lésé peut etre déclenchée meme dans des cas ou l’effet préjudiciable qui résulte de la regle contestée est relativement mineur.

Des qu’un employé ou un groupe a démontré qu’une regle d’emploi neutre entraîne un effet préjudiciable, il se produit un renversement du fardeau de la preuve; c’est alors a l’employeur d’établir, d’abord, qu’il y a un lien rationnel entre la regle et l’exécution des tâches, et, ensuite, ou bien qu’il a pris toutes les mesures d’accommodement raisonnables, ou bien que l’accommodement ne pouvait etre réalisé en deça de la contrainte excessive.

Dans bon nombre de ressorts canadiens, y compris le secteur fédéral, la qualification de la discrimination comme directe ou comme résultant d’un effet préjudiciable peut avoir des conséquences. Il en est ainsi parce que la Cour a jugé qu’a moins que la loi n’en dispose autrement, l’obligation de prendre des mesures d’accommodement n’était présente que dans les cas de discrimination par suite d’effet préjudiciable. Par contraste, lorsqu’il s’agissait d’une allégation de discrimination directe, l’employeur pouvait se défendre en prouvant que la regle constituait une exigence professionnelle normale: dans ce cas, la regle ou la pratique pouvait etre maintenue, sans nécessité d’accommodement. Les lecteurs doivent, toutefois, bien noter que la distinction entre la discrimination directe et la discrimination par suite d’un effet préjudiciable n’est pas toujours évidente. Cependant, en ce qui concerne les employeurs ontariens dans les secteurs régis par la réglementation provinciale, la distinction entre les deux formes de discrimination est moins importante parce que certaines dispositions du Code des droits de la personne, tel, l’art. 17 qui s’applique en matiere d’incapacités, rendent l’obligation de prendre des mesures d’accommodement applicable et a la discrimination directe et a la discrimination par suite d’un effet préjudiciable.

b) Les obligations relatives des parties dans l’accommodement des incapacités

La Cour a jugé que l’employeur était le mieux placé pour déterminer comment on pouvait accommoder les employés sans contrainte excessive et, par conséquent, c’est a lui que cette obligation incombe.

Cependant, un employé ou un groupe qui subit un préjudice en raison d’une regle est tenu de signaler les faits pertinents a l’employeur; il doit accepter la solution raisonnable que présente l’employeur en exécution de son obligation d’accommoder l’employé et en faciliter la mise en oeuvre.

Les syndicats peuvent également etre tenus responsables en raison de regles discriminatoires et ont l’obligation d’accommoder les employés qui subissent un préjudice du fait de ces regles. La responsabilité du syndicat peut se produire de deux façons:

1. Le syndicat peut avoir causé la discrimination, ou avoir contribué a la causer, en participant a l’élaboration de la regle de travail qui comporte un effet discriminatoire. Lorsque la regle est contenue dans une convention collective, le syndicat et l’employeur, a titre de parties aux négociations, sont également responsables de ses effets.

2. Meme si le syndicat n’a pas participé a l’élaboration de la regle, il peut avoir dressé des obstacles aux tentatives raisonnables de l’employeur d’accommoder les employés touchés par la regle.

Dans le premier type de situation, du fait que le syndicat est conjointement tenu, avec l’employeur, d’accommoder les employés victimes de discrimination, les deux seront également responsables si aucune solution n’est apportée. Cependant, parce que l’employeur, qui est responsable du lieu de travail, est mieux placé pour proposer des accommodements, on s’attend a ce qu’il en prenne l’initiative. Si la solution proposée par l’employeur heurte la convention collective, ou cause préjudice a d’autres employés, on permet généralement au syndicat de refuser son accord, a moins qu’il soit impossible de recourir a d’autres mesures d’accommodement. Lorsque ces autres mesures existent, le syndicat peut etre tenu de suggérer des mesures de rechange qui perturbent moins l’application de la convention collective ou qui causent moins préjudice aux autres employés.

Dans le second type de situation, la Cour a affirmé que l’employeur doit « étudier a fond d’autres mesures d’accommodement avant qu’on puisse s’attendre a ce que le syndicat aide a trouver ou a mettre en oeuvre une solution. L’obligation du syndicat ne naît que lorsque sa participation est nécessaire pour rendre l’accommodement possible et qu’aucune autre solution raisonnable n’a été trouvée ou n’aurait pu raisonnablement etre trouvée. »

c) Qu’est ce que la « contrainte excessive » ?

Ce qui constitue l’accommodement raisonnable en deça de la contrainte excessive est une question de fait, qui varie selon les circonstances. Il est clair toutefois que la Cour applique un critere beaucoup plus sévere que la norme de minimis utilisée aux États-Unis pour déterminer ce qui constitue une contrainte excessive. Ici, une certaine contrainte est acceptable; ce n’est que la contrainte excessive qui réponde au critere.

La Cour a mentionné plusieurs facteurs permettant d’évaluer si la contrainte est excessive, notamment, le cout financier, une perturbation dans l’application de la convention collective, le moral chez les autres employés, la permutabilité des effectifs et des installations, la taille de l’entreprise (celle-ci étant reliée a la capacité de l’employeur d’absorber les couts et de modifier le lieu de travail), la sécurité, l’ingérence dans le fonctionnement de l’entreprise et le climat économique général.

LE SENS D' »INCAPACITÉ »

L’objet de la législation en matiere des droits de la personne, en regard de l’incapacité ou du handicap, est de protéger les personnes « qui sont réellement ou qui sont perçues comme étant matériellement lésées par la maladie ». Un handicap a été défini comme signifiant quelque chose qui affecte, ou qui est perçu comme affectant, la capacité d’une personne d’exécuter « les fonctions importantes de la vie ».

Par conséquent, les mots « incapacité » et « handicap » ont été interprétés comme incluant les difformités congénitales, les conditions physiques résultant d’un accident ou d’une blessure, l’asthme, l’épilepsie, les troubles de la parole, l’hypertension artérielle, la dépression, l’alcoolisme et la toxicomanie, le sida, le para-sida ou le fait d’etre séropositif et, dans certains cas, l’obésité. Toutefois, une maladie temporaire que toute personne pourrait contracter, telle la grippe, ne serait pas incluse.

CLAUSE DE RENVOI AUTOMATIQUE

Nombre de décisions arbitrales, ainsi que trois décisions de la Cour divisionnaire de l’Ontario, laissent entendre qu’un employeur ne peut s’appuyer sur une clause de renvoi automatique pour congédier des employés qui ont été absents pour une période de temps spécifiée en raison d’un accident ou d’une maladie. Une telle mesure priverait l’employé handicapé de l’avantage de la norme du « motif valable » pour le congédiement dont jouissent d’autres employés, contrairement aux dispositions du Code des droits de la personne. Le fait que d’autres employés, qui ne sont pas handicapés au sens du Code des droits de la personne, puissent aussi etre visés par une clause de renvoi automatique apres avoir été absents du travail pendant la meme période de temps ne signifie pas que cette clause peut servir a congédier un employé handicapé.

Il est donc prudent pour les employeurs de ne pas s’appuyer sur une clause de renvoi automatique mais plutôt de donner l’absentéisme involontaire comme étant le motif de congédiement. Si l’affaire est portée en arbitrage, l’employeur aurait a montrer un motif valable de congédiement, vraisemblablement en démontrant que le plaignant ne pouvait etre accommodé sans que cela n’entraîne une contrainte excessive pour l’employeur.

DISPOSITIONS VISANT L’ANCIENNETÉ

On a contesté avec succes les dispositions qui visent le calcul de l’ancienneté pour les employés absents pour cause de maladie, notamment les dispositions qui suspendent l’accumulation de l’ancienneté apres une période d’absence spécifiée, ainsi que les dispositions qui font dépendre l’ancienneté de l’assiduité au travail. Encore une fois, le fait que ces dispositions s’appliquent aussi aux personnes qui ne sont pas handicapées ne signifient pas qu’elles ne sont pas discriminatoires. Dans la plupart des cas, on a jugé qu’il s’agissait de dispositions neutres dont l’application aux employés handicapés constitue une discrimination par suite d’effet préjudiciable.

Par ailleurs, les dispositions liant diverses formes de rémunération a l’assiduité au travail peuvent s’avérer moins vulnérables. La tendance jurisprudentielle dominante indique que, dans des domaines tels les contributions de l’employeur au régime d’avantages, le droit aux congés, et l’accumulation d’années de service en rapport avec la rémunération, on peut faire des distinctions légitimes fondées sur l’assiduité réelle de l’employé. Un des arbitres a affirmé que le Code traitait de façon différente la rémunération et l’acces a l’emploi : s’agissant de la participation au marché du travail, l’égalité nécessite la mise en application de mesures pour accommoder les personnes handicapées; en ce qui concerne la rémunération, toutefois, on peut traiter de la meme façon les employés handicapés et ceux qui ne le sont pas.

CONVENTIONS DE DERNIERE CHANCE

Un arbitre de l’Ontario vient de juger qu’une disposition prévoyant le renvoi automatique d’une personne souffrant d’alcoolisme réembauchée dans une convention « de derniere chance », quoique troublante, n’est toutefois pas invalide du seul fait qu’elle soit reliée a l’alcoolisme du réclamant. Selon l’arbitre, la disposition n’entraînait aucun effet préjudiciable avant son application et l’employeur pouvait l’invoquer si, au moment du renvoi, on démontrait qu’on ne pouvait, sans contrainte excessive, offrir une mesure d’accommodement au réclamant.

Ce point de vue semble s’écarter de celui qu’expriment la majorité des décisions portant sur les clauses de renvoi automatique, ou, la plupart du temps, on a invalidé ces clauses sans se demander s’il était possible d’accommoder le réclamant. La différence peut s’expliquer du fait que l’arbitre a considéré que l’inclusion dans la convention de derniere chance d’une clause de renvoi automatique reflétait le sentiment de l’employeur que le fait pour le réclamant de s’adonner de nouveau a l’alcool minerait irrémédiablement le contrat d’emploi. Autrement dit, vu qu’il s’agit d’une convention de derniere chance, l’employeur a déja pris des mesures d’accommodement en faveur du réclamant et a jugé que des mesures supplémentaires constitueraient une contrainte excessive.

A VENIR…

Dans les deux prochains numéros d’AU POINT, nous étudierons de façon plus approfondie l’obligation d’adopter des mesures d’accommodement. Les themes abordés seront le niveau de rendement qu’on est en droit d’attendre de la part d’employés qui bénéficient de mesures d’accommodement, la nature et la portée des mesures d’accommodement raisonnable qu’on exige des employeurs et les facteurs a considérer dans l’évaluation de la contrainte excessive. (Voir « L’obligation d’accommoder : son application » et « L’accommodement des employés handicapés en deça de la contrainte excessive » sous la rubrique « Publications »; voir aussi « L’absentéisme involontaire dans un milieu de travail syndiqué », « L’obligation d’accommoder : quelques indications dans le contexte hospitalier », « Le projet de loi S-5 vise la modification de la Loi canadienne sur les droits de la personne« , « Question de comparaison : la Cour d’appel rend une décision sur les limites aux avantages, a l’ancienneté et a l’accumulation des années de service pour les employés invalides » et « L’arbitre n’accorde pas l’accommodement « idéal » au technicien phobique » sous la rubrique « Publications » et « Entrée en vigueur de deux lois fédérales sur les relations de travail » et « L’obligation d’accommodement a la suite des arrets Meiorin et Grismer » sous la rubrique « Nouveautés ».)

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Carole Piette au (613) 563-7660, poste 227.

Related Articles

La CSPAAT impose désormais un délai de 3 jours ouvrables pour la déclaration initiale d’un accident par les employeurs

Le 29 septembre 2023, la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (« CSPAAT ») a…

Le gouvernement de l’Ontario propose d’importantes modifications à diverses lois dans le secteur de l’éducation

En avril, le gouvernement de l’Ontario a déposé le projet de loi 98, Loi de 2023 sur l’amélioration des écoles et…

La Cour supérieure de justice de l’Ontario déclare la Loi 124 nulle et sans effet

Le 29 novembre 2022, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a publié une décision très attendue sur dix demandes…