Les connaissances générales acquises au cours de l’emploi ne constituent pas des « renseignements confidentiels », d’après la Cour d’appel de l’Alberta

Les connaissances acquises au cours de l’emploi sur le fonctionnement d’une entreprise constituent-elles des renseignements commerciaux confidentiels ? L’employé qui utilise ces connaissances d’ordre général apres son départ pour lancer une entreprise concurrente s’expose-t-il a payer des dommages-intérets a son ancien employeur ? Dans une décision unanime du 20 novembre 1996, la Cour d’appel de l’Alberta répond par la négative.

Cette affaire, Physique Health Club Ltd. c. Carlsen, concerne un employé, M. Carlsen, qui, apres une dispute salariale, quitte son emploi dans la compagnie de son oncle, la compagnie Physique, pour lancer sa propre entreprise concurrente. La compagnie Physique poursuit, alléguant que la concurrence menée par M. Carlsen, ainsi que la démission sans préavis de ce dernier, lui ont causé des pertes importantes.

PREMIERE INSTANCE : LES CONNAISSANCES COMMERCIALES ACQUISES PAR L’EXPÉRIENCE CONSTITUENT DES RENSEIGNEMENTS CONFIDENTIELS

Dans une décision controversée, le juge de premiere instance tranche en faveur de Physique, affirmant le devoir fiduciaire de M. Carlsen a l’endroit de son employeur, devoir qu’il a enfreint, notamment, en utilisant des renseignements commerciaux d’ordre confidentiel pour lancer sa propre entreprise concurrente. Le devoir fiduciaire de M. Carlsen tient au fait, signale le tribunal, qu’il avait des responsabilités accrues en tant que gestionnaire a qui l’employeur faisait beaucoup confiance et qui jouissait d’une grande mesure d’autonomie.

Le tribunal a reconnu que les renseignements obtenus et utilisés par M. Carlsen n’étaient pas confidentiels au sens propre du terme. Néanmoins, le tribunal a retenu l’argument de Physique selon lequel des connaissances générales en affaires, acquises avec le temps, réduisent a la fois les couts et les risques et augmentent la capacité concurrentielle. Ces connaissances acquierent donc ainsi, d’apres le tribunal, une valeur économique, qui les rendent [TRADUCTION] « confidentielles au sens de la loi, meme si elles ne sont pas en soi confidentielles ». Il n’est pas juste qu’un fiduciaire dans la position de M. Carlsen utilise ces renseignements pour faire concurrence a son ancien employeur.

Le tribunal a rejeté l’argument de M. Carlsen qu’une telle décision entraînerait une sorte d’état de servitude, ou les employés perdraient a toutes fins utiles leur droit de faire concurrence ou de lancer leur propre entreprise. Assurément, les employés ont certains droits, a répondu le tribunal, notamment le droit de se lancer en affaires, mais il faut trouver le juste équilibre:

[TRADUCTION] « Les employeurs qui paient la facture ou qui investissent des sommes considérables et donnent pleins pouvoirs a des gestionnaires de confiance pour une période de temps considérable doivent pouvoir protéger leur investissement par certains moyens limités ».

Le tribunal a conclu que M. Carlsen aurait du donner un préavis de 12 mois avant de démissionner, et a accordé 210 000$ en dommages-intérets a la compagnie Physique.

COUR D’APPEL : LES CONNAISSANCES COMMERCIALES D’ORDRE GÉNÉRAL NE CONSTITUENT PAS DES RENSEIGNEMENTS CONFIDENTIELS

Lorsqu’elle a cassé la décision du tribunal de premiere instance, la Cour d’appel a supposé, sans en décider, que M. Carlsen avait une obligation fiduciaire a l’endroit de son employeur, et elle a considéré les principes juridiques qui déterminaient s’il y avait eu violation de l’obligation fiduciaire. La Cour a noté que l’un de ces principes veut que l’employé ne doit pas divulguer de renseignements confidentiels obtenus au cours de son emploi. Toutefois, a déclaré la Cour, il était clair d’apres la jurisprudence que cette interdiction ne s’appliquait qu’aux renseignements qui étaient « spécifiques » a l’ancien employeur, par exemple, des listes confidentielles de clients ou des secrets commerciaux. Par contraste, un employé était libre d’utiliser toute compétence ou toute connaissance d’ordre général acquise au cours de l’emploi. Il est donc clair, a conclu la Cour, que le juge de premiere instance avait fait erreur en concluant que les connaissances commerciales étaient « confidentielles au sens de la loi, meme si elles n’étaient pas en soi confidentielles ».

Quant a la question du préavis, la Cour s’est penchée sur l’argument de Physique a l’effet que les obligations fiduciaires de M. Carlsen continuaient pendant la période de préavis. D’apres Physique, M. Carlsen, durant cette période, avait le devoir a l’égard de son employeur de ne pas lui faire concurrence. La Cour a manifesté son désaccord :

[TRADUCTION] « Puisqu’il n’y a pas eu utilisation abusive de renseignements confidentiels, et en l’absence de toute preuve que l’employé aurait saisi une occasion commerciale créée au cours de son emploi ou qu’il aurait ciblé des clients de son ancien employeur, il n’existe aucune raison pour que l’obligation de l’employé de ne pas faire concurrence se prolonge au-dela de la relation d’emploi. Le fait de ne pas avoir donné un préavis suffisant ne constitue pas en soi une violation d’une obligation fiduciaire, bien que cela puisse constituer une violation de l’obligation contractuelle de donner un préavis raisonnable. »
La Cour a également considéré la question de savoir si un devoir de ne pas faire concurrence pendant la période de préavis aurait été confirmé s’il avait été inclus dans une clause restrictive du contrat d’emploi, et a conclu par la négative :

[TRADUCTION] « Rien n’indique qu’il existe des circonstances particulieres qui rendent l’entreprise [Physique] particulierement vulnérable a la concurrence d’un ancien employé. Rien n’indique que des secrets commerciaux ont été exploités par [M. Carlsen], ni que les clients [de Physique] ont été sollicités. Si le contrat d’emploi avait prévu une clause restrictive, l’employeur n’aurait pu établir la nécessité de cette restriction, ni qu’elle ne dépassait pas les mesures nécessaires pour protéger son intéret ».
La Cour a conclu qu’un préavis de six semaines aurait suffi ici. Toutefois, elle a également noté que dans les cas ou l’employé donne un préavis insuffisant, des dommages-intérets ne sont pas accordés, a moins que l’employeur ne fasse la preuve qu’il a enregistré des pertes a cause de l’insuffisance du préavis. Aucune preuve n’a été avancée a cet effet; par conséquent, la Cour a accueilli l’appel et annulé la condamnation aux dommages-intérets de M. Carlsen.

NOTRE POINT DE VUE

Le fait que les connaissances acquises sur la direction d’une entreprise ont une valeur économique ne suffit pas a les rendre confidentielles. Pour etre confidentiels, les renseignements doivent etre « spécifiques » a l’ancien employeur, par exemple, les secrets commerciaux ou la liste des clients. (Voir aussi « Le contrat de travail modele » sous la rubrique « Publications ».)

La décision de la Cour d’appel semble aussi indiquer qu’il est probablement erroné de calculer la période de préavis qui convient de la meme façon que dans un cas de renvoi injustifié, surtout a une époque ou le chômage est élevé. Toutefois, parce que la Cour a conclu que l’employeur n’avait pas fait la preuve de dommages occasionnés par le départ soudain de l’employé, elle n’a pas consacré beaucoup de temps a la question du préavis.

Les employeurs qui souhaitent se protéger d’une concurrence déloyale de la part d’anciens employés auraient intéret a prévoir des clauses de confidentialité et des clauses restrictives dans leurs contrats d’emploi. Ces clauses ont un effet limité – ainsi, la clause de confidentialité n’empechera pas l’utilisation de connaissances générales, et la clause restrictive ne sera confirmée par les tribunaux que si sa portée et sa durée sont raisonnables – mais elles offrent un outil efficace pour protéger les secrets commerciaux, les renseignements confidentiels et les liens commerciaux.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec André Champagne au (613) 563-7660, poste 229.

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