Les conséquences plutôt que l’intention : la Cour d’appel de la Colombie-Britannique conclut à la responsabilité du conseil scolaire pour le harcèlement homophobe commis par les étudiants

La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a maintenu une décision du Tribunal des droits de la personne de la C.-B., qui avait conclu a la responsabilité d’un conseil scolaire pour le harcelement homophobe d’un étudiant par ses camarades de classe. Un des aspects significatifs de la décision : on a considéré sans importance que le plaignant ne s’identifiait pas comme homosexuel et que ses persécuteurs ne croyaient pas nécessairement qu’il l’était. La décision est importante aussi parce que le jugement condamne le conseil scolaire en dépit du fait que ce dernier avait pris des mesures disciplinaires contre les auteurs du harcelement et avait promulgué un Code de comportement qui avait eu pour effet de porter a la connaissance de bon nombre d’étudiants que le harcelement constituait un comportement inacceptable.

Dans cette affaire, School District No. 44 (North Vancouver) v. Jubran (6 avril 2005), le plaignant, un étudiant, avait, au cours d’une période de cinq années, constamment fait l’objet d’épithetes homophobes et de sévices. Le harcelement avait débuté alors qu’il était en huitieme année; les autorités de l’école s’en sont rendues compte alors qu’il était en neuvieme année. A compter de cette époque jusqu’a l’obtention de son diplôme, le directeur, le directeur adjoint et d’autres membres du personnel sont intervenus activement pour faire enquete sur les incidents de harcelement qu’il leur signalait et pour imposer des mesures disciplinaires aux étudiants qui les avaient commis.

INNEFFICACITÉ DES MESURES DISCIPLINAIRES

Les autorités de l’école ont eu recours aux mesures disciplinaires suivantes : discussions avec les étudiants fautifs pour les informer que leur comportement était inadmissible et pour les avertir des sanctions progressivement plus séveres auxquelles ils s’exposaient en cas de récidive, notamment les retenues, les avis aux parents ou a la police, la suspension, voire meme l’expulsion. Une retenue et deux suspensions ont, de fait, été imposées. La plupart des étudiants qui ont fait l’objet de mesures disciplinaires n’ont pas récidivé, mais d’autres se sont livrés au harcelement. Le directeur de l’école a reconnu, lors de son témoignage devant le Tribunal, que l’école n’avait pas modifié sa stratégie de discipline progressive meme si cette stratégie s’était avérée inefficace pour enrayer le harcelement.

« PARTIE DU VOCABULAIRE A L’ÉCOLE SECONDAIRE »

Le Tribunal a également entendu des témoignages affirmant que les étudiants utilisaient des injures homophobes de façon interchangeable avec d’autres injures qui n’avaient pas ce caractere et que leur emploi de termes homophobes ne signifiait pas qu’ils croyaient que le plaignant était homosexuel. Un des étudiants a témoigné que les mots faisaient « partie du vocabulaire a l’école secondaire » et que des mots comme « gai » étaient utilisés pour décrire une personne, une chose ou une situation que le  locuteur n’aimait pas. Un étudiant a déclaré qu’il utilisait « constamment » ces expressions et qu’il était d’usage commun qu’un étudiant parle d’un « chemise gaie » ou affirme que « le saut en longueur est gai », pour indiquer qu’il n’aimait pas la chemise ou l’exercice athlétique en question.

LE TRIBUNAL : L’INTENTION DES AUTEURS DU HARCELEMENT EST SANS IMPORTANCE

Le Tribunal a jugé que ni le fait que le plaignant ne s’identifiait pas comme homosexuel, ni celui que ses persécuteurs ne savaient pas ou ne croyaient pas qu’il l’était n’étaient pertinents a la détermination de la question de savoir si le plaignant avait été victime de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Selon l’avis du Tribunal, ce sont les conséquences du comportement ou de l’action qui comptent quand il s’agit de déterminer s’il y a eu discrimination et non l’intention des auteurs du harcelement.

Le Tribunal a jugé que le conseil scolaire n’avait pas rempli son obligation de fournir au plaignant un environnement éducationnel libre de harcelement discriminatoire. Malgré les mesures prises pour réagir a des incidents ponctuels, le Tribunal a jugé que le conseil scolaire n’avait pas adopté des mesures plus générales pour lutter contre l’homophobie et le harcelement homophobe dans la population étudiante. Le Tribunal a accordé au plaignant des dommages-intérets de 4500$ pour atteinte a sa dignité, ses sentiments et son estime de soi;  il a également émis une ordonnance enjoignant au conseil scolaire de cesser de contrevenir au Code et de s’abstenir de commettre de nouveau la meme infraction ou des infractions semblables.

La décision a été annulée par la Cour supreme de Colombie-Britannique qui a jugé qu’il n’y avait pas eu de discrimination, le Tribunal n’ayant pas conclu que le plaignant était homosexuel ou que ses persécuteurs le croyaient tel.

LA COUR : CE QUE CROIENT LES  AUTEURS DU HARCELEMENT N’EST PAS PERTINENT A LA DÉTERMINATION DE LA DISCRIMINATION

La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a accueilli l’appel du plaignant et a exprimé son accord avec la position du Tribunal selon laquelle la perception qu’avaient les auteurs du harcelement de l’orientation sexuelle du plaignant n’avait aucune pertinence pour l’affaire. Ce qui importe dans l’analyse de la discrimination est l’effet du comportement reproché :

    « [TRADUCTION] L’effet de leur comportement, toutefois, est le meme, qu’ils aient ou non perçu [le plaignant] comme homosexuel. Les injures homophobes adressées [au plaignant] lui attribuaient les perceptions, idées reçues et stéréotypes attribués aux homosexuels. Ses persécuteurs ont créé un environnement qui le privait de sa dignité et l’empechait de participer pleinement a la vie étudiante parce que les caractéristiques que ses persécuteurs associaient a l’homosexualité lui ont été attribuées. »

La Cour a déclaré que d’insister sur les perceptions subjectives des auteurs du harcelement poserait les memes problemes que ceux que signalaient les tribunaux lorsqu’ils ont rejeté l’argument qu’on ne pouvait conclure a la discrimination sans la preuve d’une intention ou d’un mobile. Il est tres difficile de faire la preuve du mobile et les droits de la personne ont pour but de réparer les conséquences du comportement et non de punir la mauvaise conduite. La Cour a résumé en disant

    « [TRADUCTION] Exiger que [le plaignant] fasse la preuve des perceptions ou croyances subjectives de ses persécuteurs équivaut a devoir prouver qu’ils avaient l’intention d’exercer une discrimination contre lui. [N]ous traitons des conséquences, non de l’intention ou de la perception. Les conséquences des gestes des auteurs du harcelement [du plaignant] ont été qu’il a été victime de discrimination fondée sur son orientation sexuelle, que ses persécuteurs aient eu ou non la perception ou la croyance qu’il était homosexuel. »

LE CONSEIL SCOLAIRE EST RESPONSABLE POUR SON DÉFAUT DE CRÉER UN ENVIRONNEMENT EXEMPT DE DISCRIMINATION

Apres avoir conclu que le plaignant avait le droit d’intenter une poursuite en discrimination, la Cour a étudié la conclusion du Tribunal selon laquelle le conseil scolaire était responsable du comportement discriminatoire des étudiants. Le Tribunal avait conclu a l’obligation du conseil scolaire de fournir aux étudiants un environnement éducationnel libre de harcelement discriminatoire. Il avait aussi conclu que bien que des membres de l’administration de l’école s’étaient intéressés a la situation du plaignant et avaient envisagé divers moyens de régler le probleme, le conseil scolaire n’avait pris aucune mesure générale a l’égard de l’homophobie ou du harcelement et n’avait mis en ouvre aucun programme visant a les combattre. L’administration de l’école n’avait ni les outils, ni une formation ou une éducation suffisante pour faire face au probleme du harcelement. De plus, le conseil ne s’était pas adressé a des experts sur les droits de la personne ou sur le harcelement jusqu’a ce que le plaignant dépose sa plainte.

Le conseil scolaire a répliqué que la décision du Tribunal imposait erronément aux conseils scolaires une norme de « responsabilité stricte » pour la conduite des étudiants. Ce raisonnement était défectueux, selon le conseil scolaire, parce que le Tribunal avait fondé sa décision sur une jurisprudence portant sur la conduite de professeurs, non d’étudiants, et que le conseil scolaire avait pris des mesures a l’endroit des auteurs du harcelement.

La Cour n’a pas admis la prétention du conseil que le Tribunal avait imposé une norme de responsabilité stricte ou de responsabilité pour le fait d’autrui. Il s’était plutôt fondé, a affirmé la Cour, sur l’articulation par la Cour supreme du Canada dans l’arret Ross c. Le conseil scolaire du district no 15 de l’importance d’un environnement scolaire libre de discrimination et de l’obligation des conseils scolaires de fournir un tel environnement :

    « [TRADUCTION] Cet environnement est commandé par le rôle spécial que joue  l’école dans le  processus de promotion des valeurs sociales et par le Code [des droits de la personne de la Colombie-Britannique], qui oblige les personnes chargées de fournir des services au public a le faire d’une maniere non discriminatoire, de façon a promouvoir l’entiere participation de tous dans la société de la Colombie-Britannique, dans un climat de compréhension, de respect mutuel et d’égalité en dignité et en droits. »

La Cour a affirmé que la réaction du conseil scolaire au harcelement devait etre évaluée a la lumiere de l’idéal d’un environnement scolaire libre de discrimination. Le Tribunal avait jugé que le conseil n’avait pas réagi de façon efficace a la conduite discriminatoire des étudiants. Le conseil avait appliqué une stratégie disciplinaire inefficace et n’avait pas mis en ouvre « [TRADUCTION] une stratégie d’éducation plus large pour traiter les questions difficiles du harcelement, de l’homophobie et de la discrimination ». Ce n’est qu’apres l’obtention par le plaignant de son diplôme que le conseil a établi une stratégie pour faire face aux problemes du harcelement et de la discrimination.

Par conséquent, la Cour a maintenu l’appel du plaignant et a rétabli l’ordonnance du Tribunal.

Notre point de vue

Le Tribunal avait conclu aussi qu’en plus d’adopter des mesures disciplinaires, l’administration de l’école avait élaboré un Code de comportement, l’avait remis aux étudiants pour qu’ils le rapportent chez eux et avaient communiqué ce Code au cours d’assemblées scolaires. Bien qu’il ait conclu que bon nombre d’étudiants savaient que proférer des injures, homophobes ou autres, était un comportement inacceptable, il n’y avait eu aucun dialogue a l’école sur cette question et le message sur la victimisation avait eu tendance a se perdre dans « la myriade d’autres informations » livrées aux étudiants au début de l’année.

Il semble donc que les écoles pourraient etre tenues de respecter une norme tres exigeante en ce qui concerne leur réaction a des situations de harcelement et que la législation en matiere de droits de la personne pourrait servir de véhicule pour l’application de cette norme. Dans l’hypothese d’une allégation de violation de la législation en matiere de droits de la personne, il serait prudent d’avoir recours aux services de spécialistes dans ce domaine.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Paul Marshall au (613) 940-2754.

Related Articles

Constats en matière de vie privée pour les conseils scolaires dans l'ère de l'enseignement à distance

Alors que plusieurs conseils scolaires de l’Ontario et ailleurs au Canada commencent à dispenser de l’enseignement à distance afin de…

L’Ontario adopte la Loi de 2020 sur les Mesures de Soutien et de Protection liées au Coronavirus (COVID-19)

Le 14 avril 2020, la Loi de 2020 sur les mesures de soutien et de protection liées au coronavirus (COVID-19)…

Injonction interlocutoire permettant à une école de langue française d’ouvrir ses portes à temps pour la rentrée scolaire est accordée

Natalie Davis, Denis Labelle et Conseil scolaire public du Nord-Est de l’Ontario c Parry Sound (Ville de) Dans le contexte…