La Cour suprême du Canada étend les principes de l’arrêt Weber aux différends « courants » et non arbitrables en vertu de la

La Cour supreme du Canada a considéré encore une fois la portée de son arret de principe de 1995, Weber c. Ontario Hydro. Dans l’arret Weber, la Cour a considéré la mesure dans laquelle un employé syndiqué peut avoir recours aux tribunaux – par opposition a l’arbitrage – pour agir contre son employeur. La Cour a alors adopté le modele de la compétence exclusive, qui ferme l’acces aux tribunaux si le caractere essentiel du différend découle de l’interprétation, de l’application, de l’administration ou de la violation de la convention collective. Toutefois, dans l’interprétation de l’arret Weber, certains tribunaux ont jugé que meme si une question découle d’une convention collective, les tribunaux peuvent avoir compétence si l’arbitrage n’offre aucune réparation suffisante (voir « « Absence de tout autre recours prévu » : un tribunal ontarien ordonne a l’hôpital de ne pas modifier les horaires avant l’issue du grief » sous la rubrique « Nouveautés ».)

Dans l’arret Vaughan c. Canada, un jugement rendu le 18 mars 2005, la Cour supreme du Canada a statué que les tribunaux peuvent refuser d’entendre des litiges ou la procédure pour résoudre le différend exclut l’arbitrage par un tiers indépendant. Dans l’affaire Vaughan, il s’agissait du droit d’un fonctionnaire fédéral aux prestations de retraite anticipée, qui sont conférées non pas en vertu d’une convention collective mais en vertu d’un reglement adopté sous le régime de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP).

En vertu de la Loi, les employés touchés par une décision relative aux prestations conférées par la Loi ou par un reglement peuvent poursuivre un grief sur la décision jusqu’au niveau du sous-ministre, mais n’ont pas acces a l’arbitrage. La question dont la Cour était saisie était de savoir si l’absence d’un acces a l’arbitrage indépendant dans le cadre d’un régime législatif de relations de travail signifiait que les tribunaux pouvaient se déclarer compétents pour régler le différend. La Cour a jugé a la majorité que bien qu’il ne soit pas obligatoire de faire montre de retenue a l’égard du régime législatif, la retenue judiciaire était nécessaire pour éviter de miner l’intention du Parlement telle qu’exprimée dans la Loi.

LA POSSIBILITÉ RESTE OUVERTE, MAIS NON POUR « UNE AFFAIRE BIEN ORDINAIRE »

Dans son analyse, la Cour se penche sur une série de décisions rendues en vertu de la Loi sur la question des dénonciateurs. Dans ces actions, des fonctionnaires s’étaient plaints de harcelement ou de représailles de la part de leurs supérieurs parce qu’ils avaient dénoncé le gaspillage ou l’abus de pouvoir par le gouvernement. Pour diverses raisons, ces plaintes pouvaient faire l’objet d’un grief en vertu de la LRTFP, mais non d’un arbitrage.  Dans ces actions, les tribunaux se sont généralement déclarés compétents parce que, comme le dit la Cour supreme du Canada, « on comprend la réticence des tribunaux a conclure que dans ces cas, le seul recours des employés était de présenter un grief dans une procédure interne au ministere meme qu’ils avaient dénoncé, la ou la décision finale appartenait a la personne qui, en dernier lieu, était responsable du fonctionnement du ministere critiqué, soit le sous-ministre ». Toutefois, a fait remarquer la Cour, si les allégations de harcelement des dénonciateurs soulevaient de graves questions de conflit d’intérets au sein du ministere employeur, aucune question semblable n’était soulevée dans « une affaire bien ordinaire de prestations d’emploi ».

La Cour a déclaré que lorsqu’il s’agit de décider si le tribunal a compétence pour un différend découlant d’un régime législatif de relations de travail, le tribunal doit considérer si le régime en question offre un recours effectif. Par contre, meme si cela constitue un facteur a considérer, la Cour n’en convenait pas pour autant que l’absence d’un décideur indépendant dans le régime législatif était concluante. Il s’agissait encore pour la Cour de déterminer si le Parlement avait voulu que les différends en milieu de travail soient tranchés par des tribunaux ou conformément a la procédure de grief établie sous le régime de la LRTFP.

« UN SENS NOUVEAU A LA NOTION D’ « AVALANCHE DE POURSUITES » »

La Cour a fait remarquer que les termes de la LRTFP n’étaient pas suffisamment catégoriques pour écarter la compétence des tribunaux ordinaires en ce qui concerne les questions pouvant faire l’objet d’un grief mais non d’un arbitrage. Toutefois, il restait a trancher la question de savoir comment les tribunaux devraient exercer leur discrétion d’intervenir lorsqu’un régime législatif démontrait clairement que le Parlement avait pour intention que les différends touchant des prestations conférées par reglement ne soient pas admissibles a un arbitrage par un tiers. La majorité de la Cour a statué, pour les motifs suivants, qu’il ne s’agissait pas en l’espece d’une situation ou les tribunaux devraient intervenir :

  • Les termes utilisés dans la Loi sont tres clairs a l’effet que pour les « affaires courantes » concernant les avantages accordés par un reglement, la décision du sous-ministre est finale.
  • Le différend en l’espece découlait de la relation employeur-employé et relevait du régime prévu par la Loi pour le reglement des différends.
  • Le différend aurait pu etre réglé en suivant la procédure prévue dans la Loi.
  • La situation du demandeur ne devrait pas s’améliorer du fait de son refus d’avoir recours a la procédure prévue dans la Loi.
  • Le fait que le demandeur n’ait pas acces a l’arbitrage par un tiers n’entraîne pas nécessairement que les tribunaux devraient intervenir.
  • Le mécanisme exhaustif de reglement des différends prévu par le législateur ne devrait pas etre mis en péril en permettant l’acces systématique aux tribunaux.
  • La procédure de reglement des différends prévue dans la Loi est plus rapide, moins couteuse et plus efficace que le litige judiciaire.

Enfin, selon la Cour, en décidant d’intervenir, les tribunaux pourraient etre submergés de différends qu’il était préférable de régler selon les procédures prévues dans la Loi :

    « Le différend en cause est tout ce qu’il y a de plus simple. … La question de savoir s’il aurait plutôt fallu lui accorder les PRA [prestations de retraite anticipée], en vertu du programme établi par le gouvernement fédéral pour gérer la taille de son effectif en se délestant des employés excédentaires, était essentiellement une question administrative qu’il vaut mieux laisser aux administrateurs. Si cette simple question des PRA peut faire l’objet d’un litige devant les tribunaux, alors il en est de meme de tout autre avantage accordé par reglement a plus d’un quart de million de fonctionnaires de la fonction publique fédérale. Le résultat pourrait donner un sens nouveau a la notion de d’ « avalanche de poursuites » ».

Notre point de vue

Le résultat dans cet arret va dans le meme sens que celui dans la décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans l’affaire Brunet v. Ottawa Police Assn., mais peut paraître diverger quelque peu de la décision Aranas v. Toronto East General & Orthopaedic Hospital Inc. (voir « Le tribunal juge que l’ex-agent de police doit passer par l’arbitrage » et « « Absence de tout autre recours prévu » : un tribunal ontarien ordonne a l’hôpital de ne pas modifier les horaires avant l’issue du grief » sous la rubrique « Nouveautés »). Les difficultés dans l’application de l’arret Weber sont mises en relief du fait que deux juges de la Cour supreme du Canada – y compris la juge en chef – ont statué qu’en vertu du régime de la LRTFP, les employés melés a des différends non arbitrables ne devraient pas etre empechés de s’adresser au tribunal. Selon les juges dissidents, bien que la LRTFP crée effectivement un régime complet de résolution des différends, l’absence d’un arbitrage indépendant, le fait que la Loi n’exclue pas completement la compétence des tribunaux pour les questions qui ne peuvent etre arbitrées et le manque d’expertise du décideur nommé par l’employeur constituent des facteurs qui militent contre une conclusion de compétence exclusive au sens de l’arret Weber.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec André Champagne au (613) 940-2735.

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