Le préavis avec obligation de travailler exige la prudence

Dans les mots d’un juge de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, « [traduction] le préavis avec obligation de travailler est presque invariablement voué a l’échec ». Ces paroles ont été prononcées dans le cadre d’une affaire ou une employée, deux jours apres avoir reçu un préavis de huit semaines avec obligation de travailler, est devenue tellement difficile et non coopérative que l’employeur a tenté de la congédier immédiatement pour motif valable. La Cour a jugé que l’employeur ne pouvait congédier l’employée pour motif valable alors que les conséquences du préavis étaient tellement faciles a prévoir.

Ce ne sont pas tous les tribunaux qui seraient aussi indulgents a l’égard de l’inconduite pendant la période de préavis, mais les employeurs devraient faire montre de prudence lorsqu’ils choisissent de garder au travail un employé a qui on a signifié son préavis de départ. Meme si l’employé est relativement coopératif et qu’aucun conflit ne se manifeste, la question qui se pose est celle de l’assiduité attendue d’un employé qui doit travailler pendant sa période de préavis. La question surgit du fait qu’un des objets principaux du préavis raisonnable est de donner a l’employé le temps nécessaire pour se trouver un nouvel emploi.

KONTOPIDIS : EXIGENCE D’UNE ASSIDUITÉ SANS FAILLE PENDANT LA PÉRIODE DE PRÉAVIS

La question s’est posée dans l’affaire Kontopidis v. Coventry Lane Automobiles Ltd. (12 mai 2004), ou l’employé congédié pour motif valable apres avoir reçu un préavis de quatre mois a poursuivi pour congédiement abusif. Apres avoir donné a M. Kontopidis un préavis de congédiement, son employeur a commencé a s’inquiéter de son assiduité au travail. L’employeur a ordonné a M. Kontopidis d’aviser la secrétaire par écrit ou son superviseur en personne avant de quitter les lieux de travail pendant les heures de travail. Quelques semaines plus tard, on l’a averti que le fait de ne pas se conformer a cette directive entraînerait la cessation d’emploi. Une semaine plus tard, M. Kontopidis a quitté le travail a 11 heures, a été prendre la voiture d’un client et l’a ramenée chez lui, avec l’intention de la ramener au travail le lendemain. Quand il est arrivé au travail, l’employeur a mis fin a son emploi sur-le-champ pour ne pas s’etre conformé a la directive de l’employeur.

Le juge de premiere instance a accepté le témoignage de M. Kontopidis, selon lequel il avait avisé un autre employé de son départ; le juge a noté que M. Kontopidis pensait probablement que si on avait besoin de lui, on pourrait le joindre au téléphone. Cependant, le juge a également noté qu’il était clair que l’assiduité de M. Kontopidis était devenue problématique et qu’il n’était pas tres motivé au travail. Le juge a souligné que M. Kontopidis se sentait probablement insulté d’avoir a se conformer a des conditions qu’il estimait inutiles et déraisonnables, mais il a jugé que l’employeur avait un motif de congédiement. Le juge a manifesté l’opinion suivante sur la portée de l’obligation d’assiduité de l’employé pendant la période de préavis :

    « Le préavis avec obligation de travailler est difficile a la fois pour l’employeur et pour l’employé, et peut mener a des problemes dans la relation de travail. Toutefois, l’employeur est en droit d’exiger l’assiduité sans faille de l’employé et d’imposer des conditions raisonnables pour assurer l’assiduité complete. »

BRAMBLE : « AUCUN POIDS » N’EST ACCORDÉ A LA PÉRIODE DE PRÉAVIS SI UNE ASSIDUITÉ A TEMPS COMPLET EST EXIGÉE

Il convient de souligner le contraste entre la position adoptée dans l’affaire Kontopidis et celle que l’on trouve dans l’arret de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick Bramble v. Medis Health and Pharmaceutical Services Inc. (2 juillet 1999). L’arret Bramble portait sur la situation de plusieurs employés qui avaient reçu 15 semaines de préavis, apres quoi ils avaient droit a une indemnité de départ pourvu qu’ils aient travaillé leurs heures régulieres pendant la période de préavis. Les employés étaient insatisfaits de l’indemnité, et ont intenté une action dans laquelle ils alléguaient que l’employeur ne leur avait pas fourni un préavis raisonnable de congédiement. Les employés ont eu gain de cause au proces, et l’employeur a interjeté appel des périodes de préavis accordées aux employés.

La Cour d’appel a souligné le fait que le juge de premiere instance avait conclu factuellement que les employés n’avaient pas été en mesure de chercher du travail pendant la période de préavis, et la Cour a rejeté l’argument de l’employeur selon lequel le préavis de 15 semaines devrait entrer en ligne de compte aux fins du calcul de l’indemnité. D’accepter l’argument de l’employeur, a jugé la Cour, signifierait de « [traduction] permettre au formalisme de l’emporter sur le fond » et serait injuste a l’égard des employés. La Cour a poursuivi en déclarant que la pertinence du temps consacré a travailler pendant la période de préavis dépend de la possibilité pour l’employé de chercher un autre emploi alors qu’il est au travail :

    « [traduction] L’objectif premier du préavis est de donner a l’employé congédié une possibilité équitable d’obtenir un emploi semblable ou comparable. Il s’ensuit que le poids a accorder a un préavis particulier dépend de la nature de la possibilité qu’il donne a l’employé de chercher un autre poste. En l’espece, la conclusion factuelle du juge de premiere instance que les employés ne pouvaient activement chercher du travail pendant la période de préavis prive celui-ci de toute valeur juridique. Par conséquent, aucun poids ne peut lui etre légitimement donné. »

TAYLOR : AUCUNE DIFFÉRENCE ENTRE LE PRÉAVIS ET L’INDEMNITÉ TENANT LIEU DE PRÉAVIS

Si, conformément au jugement de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick, la valeur du préavis dépend de la possibilité pour l’employé de chercher un autre poste, l’employeur peut-il convertir une offre de préavis avec obligation de travailler a un montant forfaitaire couvrant une période plus breve pendant laquelle l’employé ne sera pas obligé de se présenter au travail? D’apres l’arret Taylor v. Brown (16 novembre 2004), un arret de la Cour d’appel de l’Ontario, la réponse est négative.

Dans l’arret Taylor, une employé avec 21 ans de service avait été congédiée avec un préavis de 18 mois. L’avis de congédiement et le déces récent du supérieur immédiat de Mme Taylor, qu’elle considérait un ami intime, lui ont causé beaucoup de détresse. Son médecin lui a recommandé de prendre un congé pour stress. Alors qu’elle était en congé, l’employeur a décidé de mettre immédiatement fin a son emploi avec une indemnité de six mois tenant lieu de préavis. Mme Taylor s’est adressée au tribunal pour faire rétablir le préavis initial.

En premiere instance, le juge a statué que l’employeur ne pouvait réduire unilatéralement le préavis et a déclaré que Mme Taylor s’était fiée a son détriment a l’offre initiale. Cependant, sans donner de motif, le juge a réduit le préavis a 12 mois d’indemnité. Mme Taylor a interjeté appel de cette décision.

La Cour d’appel a donné gain de cause a Mme Taylor. La Cour a fait remarquer que le juge de premiere instance avait conclu qu’un préavis de 18 mois était approprié, et a déclaré que la question en litige était de savoir s’il y avait une différence juridique entre un préavis avec obligation de travailler et une indemnité tenant lieu de préavis, de sorte que le juge de premiere instance pouvait substituer 12 mois d’indemnité aux 18 mois de préavis avec obligation de travailler. La Cour a jugé qu’il n’y avait pas de différence, malgré le fait qu’un préavis avec obligation de travailler rend plus difficile la démarche pour trouver un nouvel emploi :

    « [traduction] Bien que le but de la période de préavis soit de donner du temps aux employés pour qu’ils trouvent un autre emploi, tâche rendue plus ardue lorsque l’employé s’engage a respecter les modalités du préavis avec obligation de travailler, nous sommes d’avis qu’il n’existe pas de différence fonctionnelle en droit entre le préavis avec obligation de travailler et le paiement d’une indemnité tenant lieu de préavis.

    Un préavis suffisant de congédiement est une condition implicite du contrat de travail; le paiement d’une indemnité tenant lieu de préavis ne l’est pas. Nous sommes d’accord avec l’opinion de [la Cour d’appel de Colombie-Britannique dans l’arret Dunlop v. British Columbia Hydro and Power Authority…] que l’indemnité tenant lieu de préavis est perçue comme étant « une tentative de compenser pour le bris du contrat de travail par l’employeur et non comme une tentative de se conformer a une condition implicite du contrat de travail ». Le montant d’un paiement tenant lieu de préavis, par conséquent, n’est pas calculé selon les conditions du contrat, mais constitue plutôt un moyen permettant a l’employeur de mettre fin au contrat de travail contrairement a son obligation en vertu de la common law de donner un préavis raisonnable de congédiement, sans encourir de responsabilité. »

La Cour a ensuite considéré la question de savoir si l’employeur avait le droit de révoquer sa premiere offre de 18 mois de préavis pour y substituer l’offre de six mois d’indemnité tenant lieu de préavis. La Cour a rejeté la conclusion du juge de premiere instance selon laquelle l’employeur ne pouvait modifier cette offre parce que Mme Taylor s’y était fiée. La Cour a déclaré qu’il n’y avait aucune preuve que Mme Taylor s’était fiée a son détriment a cette premiere offre.

Toutefois, a fait remarquer la Cour, puisque le juge de premiere instance avait jugé que l’offre de 18 mois était raisonnable – conclusion avec laquelle la Cour d’appel était d’accord – la deuxieme offre de six mois n’était pas raisonnable. Il n’y avait eu aucun changement dans les facteurs pertinents s’appliquant a la détermination du préavis raisonnable au cours de la période de trois semaines entre les deux offres. Par conséquent, la Cour d’appel a accueilli l’appel de Mme Taylor.

Notre point de vue

Certains commentateurs signalent que les conclusions de la Cour dans l’affaire Kontopidis devraient etre interprétées avec prudence. S’il y avait eu un élément de preuve que l’employé s’était absenté du travail pour chercher un nouvel emploi, le résultat aurait pu etre différent. Dans les faits, il y avait peu d’indications que M. Kontopidis avait fourni la moindre explication de ses absences. Par conséquent, la leçon qui semble se dégager est a l’effet que si un employeur détermine qu’un préavis avec obligation de travailler est possible, l’employeur doit faire attention et donner a l’employé congédié suffisamment de temps pour chercher un nouvel emploi. Sinon, il court le risque de faire invalider par un tribunal la période de préavis accordée a l’employé.

En outre, malgré le jugement de la Cour d’appel dans l’arret Taylor qu’il existe une équivalence entre le préavis avec obligation de travailler et l’indemnité tenant lieu de préavis – un jugement qui semble négliger le fait que le préavis avec obligation de travailler donne a l’employé moins de possibilités de chercher un nouvel emploi – l’employeur devrait considérer avec soin s’il est avantageux de demander a l’employé congédié de travailler pendant la période de préavis. Les couts en termes d’absence de motivation, de rendement déficient et de problemes disciplinaires peuvent l’emporter sur l’avantage d’avoir un employé qui travaille contre rémunération pendant la période de préavis.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Jock Climie au (613) 940-2742.

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