La CSC a décrété qu’un syndicat peut donner suite à la demande d’un employeur successeur contre un séquestre intérimaire

La faillite suspend l’indépendance financiere d’une entreprise ou d’un particulier. Les décisions d’exploitation du propriétaire deviennent alors la responsabilité du séquestre ou du syndic, nommé par le tribunal pour sauver tout ce qu’il peut des restes de l’entreprise au profit des créanciers, au nombre desquels figurent les employés de l’entreprise syndiquée.

Qu’arrive-t-il lorsque les droits des employés syndiqués entrent en conflit avec l’objectif général d’une faillite, qui est de maximiser la capacité des créanciers de minimiser leurs pertes? A quel niveau d’acces a un recours ces employés ont-ils droit? Ont-ils droit au meme acces que d’autres créanciers qui essaient de contester le comportement d’un séquestre? Voila les questions qui ont été traitées dans l’arret GMAC Commercial Credit Corporation – Canada c. T.C.T. Logistics Inc. (27 juillet 2006) de la Cour supreme du Canada.

Le principal probleme dans la cause GMAC était le critere appliqué aux termes de l’art. 215 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (LFI), qui interdit l’introduction d’actions contre un séquestre sans la permission du tribunal. Ce critere s’applique Lorsque la partie aspirante a ce litige cherche a faire valoir les droits du syndicat. L’article 215 stipule ce qui suit :

215. Sauf avec la permission du tribunal, aucune action n’est recevable contre le surintendant, un séquestre officiel, un séquestre intérimaire ou un syndic relativement a tout rapport fait ou to toute mesure prise conformément a la présente loi.

La démarche judiciaire actuelle relativement a l’octroi d’une permission aux termes de l’art. 215 provient de la décision prise en 1993 dans la cause Mancini (Bankrupt) c. Falconi. Depuis Mancini, le critere qui a présidé a la conciliation, d’une part, de la protection des personnes chargées d’administrer l’actif des faillis contre les poursuites, et, d’autre part, du droit de poursuivre ces personnes relativement a cette meme administration, est fondé sur le fait que l’on empeche les instances frivoles, vexatoires ou manifestement non fondées d’aller de l’avant. Dans GMAC, la Cour supreme a réaffirmé le critere établi dans Mancini et rejeté un critere plus complexe et plus restrictif, pour lequel l’auteur de la demande est un syndicat.

HISTORIQUE

Cette cause trouve son origine dans la faillite de T.C.T. Logistics Inc., dont les 42 employés de l’entrepôt de Toronto étaient représentés par le Syndicat des travailleurs de l’industrie du bois et leurs alliés. GMAC, le plus rand créancier de l’employeur, a demandé une ordonnance nommant KPMG Inc. comme séquestre intérimaire. L’ordonnance portant nomination de KPMG était censée protéger KPMG contre la possibilité d’etre nommé nouvel employeur et contre toute obligation d’employeur aux termes de lois provinciales ou fédérales.

Comme l’entreprise d’entreposage se dégradait rapidement, KPMG a cherché a la vendre le plus rapidement possible comme entreprise en exploitation. KPMG a accepté de vendre la plupart des éléments d’actif de l’entreprise d’entreposage a Spectrum Supply Chain Solutions Inc., une société nouvellement formée. Environ un mois plus tard, KPMG a mis fin a l’emploi de tous les employés syndiqués de l’entrepôt de Toronto. Spectrum a subséquemment réembauché certains d’entre eux, mais sans suivre la liste d’ancienneté établie par le Syndicat.

En conséquence, le 13 mai, le Syndicat a présenté a la Commission des relations de travail de l’Ontario une requete fondée sur la Loi sur les relations de travail de cette province, afin d’obtenir une déclaration portant que le séquestre intérimaire ne pouvait etre considéré comme employeur successeur et d’autres mesures de redressement Dans sa requete a la Commission, le Syndicat a fait valoir que Spectrum avait été constituée en personne morale dans le seul but d’acquérir l’entreprise d’entreposage de TCT et avait conclu avec KPMG un arrangement collusoire en vue d’exploiter l’entreprise de TCT a un autre endroit, mais substantiellement sous la meme direction. Exception faite du nouvel emplacement, la seule différence importante dans l’exploitation de l’entreprise par TCT et par Spectrum était l’absence du Syndicat.

Le Syndicat s’est alors adressé au tribunal de faillite en vue d’obtenir la permission nécessaire aux termes de l’art. 215 de la LFI pour poursuivre sa cause devant la Commission et demander la radiation des dispositions de l’ordonnance qui mettaient la conduite de KPMG a l’abri de tout examen sous le régime des lois fédérales ou provinciales. Le juge de faillite a assoupli les conditions protégeant KPMG d’etre désigné comme « employeur successeur », mais il a décidé que KPMG avait toujours droit a cette protection. Il a refusé au Syndicat la permission d’intenter des procédures contre KPMG devant la Commission.

LA COUR D’APPEL : PLUS QUE LE CRITERE ÉTABLI DANS Mancini

Le Syndicat s’est pourvu contre l’ordonnance de la Cour d’appel de l’Ontario. Celle-ci a décrété que meme si le juge de faillite n’avait pas compétence pour déterminer si KPMG était un employeur successeur (la Cour avait simplement dit que la Commission en avait le pouvoir), il n’avait pas commis d’erreur en refusant la permission au Syndicat aux termes de l’art. 215. La majorité des juges a estimé que le critere traditionnel formulé dans Mancini n’était pas assez exigeant lorsqu’il s’agissait d’instances relatives au statut d’employeur successeur et qu’il fallait davantage tenir compte des conséquences de telles demandes en justice sur le processus de faillite.

Le nouveau critere proposé par la majorité des juges ajoutait des facteurs comme la complexité du mandat du séquestre, l’existence d’acquéreurs acceptables, la durée possible de l’exploitation de l’entreprise par le séquestre en attendant une vente, tout arrangement pris par le séquestre avec le syndicat pour prendre en compte la situation des employés, la probabilité qu’un acquéreur soit déclaré employeur successeur lié par les obligations découlant de la convention collective, et la possibilité que l’audience de la Commission ait lieu en temps utile vu la nature provisoire de l’administration du séquestre et la vente de l’entreprise. Le juge dissident a indiqué qu’il ne voyait aucune raison de resserrer le critere lorsque l’autorisation demandée visait des procédures portant sur le statut d’employeur successeur et que conformément au critere établi dans Mancini, le Syndicat aurait du recevoir la permission de présenter sa demande a la Commission.

LA COUR SUPREME : PRIMAUTÉ DU CRITERE ÉTABLI DANS Mancini

Par une majorité de sept contre un, les juges de la Cour supreme du Canada ont décidé qu’il n’y avait aucune raison de déroger au critere établi dans Mancini pour les demandes concernant le statut d’employeur successeur. La Cour a également maintenu la décision de la Cour d’appel voulant que le juge de faillite n’avait pas compétence pour se prononcer sur le statut d’employeur successeur d’un séquestre.

En réitérant la primauté du critere dans Mancini, la Cour a fait valoir que ce critere établit un juste équilibre entre, d’une part, la protection des syndics et des séquestres contre les dérangements et délais inhérents aux poursuites frivoles et, d’autre part, la protection —dans la plus large mesure possible — des droits des créanciers et autres intéressés contre les décisions et les actes des syndics. En ce sens, l’arret Mancini demande « une disposition législative explicite » pour que la Loi sur la faillite et l’insolvabilité puisse etre interprétée de maniere a priver une personne de droits conférés par une province.

La Cour a déclaré que l’analyse suggérée par les juges majoritaires de la Cour d’appel obligerait les tribunaux a examiner l’effet de l’instance proposée au regard de diverses considérations, notamment la possibilité qu’elle entrave la maximisation de la valeur de l’actif au profit des divers intéressés. Selon la Cour, il suffit, pour assurer l’intégrité et l’efficacité du processus de faillite, que l’on demande aux tribunaux de faillite de ne pas autoriser les poursuites frivoles ou intentées pour des raisons purement tactiques. La Cour a ensuite demandé s’il fallait adopter une norme différente dans le cas d’un syndicat qui contestait les décisions d’un séquestre, en raison de leur incidence éventuelle sur d’autres actionnaires, et elle a déclaré que ce n’était pas justifié.

« Si l’on prétend qu’il y a lieu de protéger le séquestre contre les risques de poursuites par le Syndicat en raison des couts, délais et inconvénients inévitables qu’elles occasionnent, il faudrait alors refuser a tout créancier la permission d’intenter des poursuites. Toute action en justice engendre des couts, des délais et des inconvénients. Le législateur a tout de meme décidé, en édictant l’art. 215, que le tribunal de faillite devait posséder le pouvoir discrétionnaire de permettre l’engagement de poursuites contre des auxiliaires de justice nommés par les tribunaux. En accordant ce pouvoir discrétionnaire, il n’a pas fait de distinction entre les syndicats et d’autres créanciers, et il n’y a pas lieu de présumer qu’une telle distinction existe.

Resserrer le critere d’application de l’art. 215 lorsque le litige porte sur une question relevant d’une commission des relations de travail équivaut a reconnaître a la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, par interprétation, une sensibilité moins grande envers les droits des employés syndiqués qu’envers ceux des autres créanciers. »

Selon la Cour, rien ne justifiait d’interpréter l’art. 215 pour créer une protection accrue pour ceux qui enfreignent les droits des employés. En l’espece, le Syndicat a voulu faire valoir devant la Commission que le séquestre intérimaire était devenu l’employeur, apres sa nomination, lorsqu’il a décidé d’avoir recours aux employés pour continuer a exploiter l’entrepôt. En sa qualité d’employeur, KPMG était tenu de respecter la convention collective et les dispositions législatives applicables en matiere d’emploi et de travail. Selon le Syndicat, KPMG s’est soustrait a cette obligation, notamment en manipulant l’acte de vente de telle sorte que le Syndicat soit exclu de la main d’oeuvre de Spectrum. Bien qu’il était difficile de prévoir la décision de la Commission en ce qui a trait a cette demande en particulier, car chaque situation dépend des faits qui lui sont propres, on ne pouvait affirmer que la demande du Syndicat était frivole ou sans fondement. En conséquence, la Cour a décidé que le Syndicat devait etre autorisé a la présenter.

Notre point de vue

Comme dernier point, la Cour a fait remarquer qu’il était courant de ne donner aucun avis au Syndicat de la requete sollicitant la nomination d’un séquestre intérimaire, si bien que le Syndicat perdait des le départ la possibilité de participer a l’établissement du plan de gestion de l’actif du débiteur. Meme si la tenue de négociations préalables avec un syndicat sur des décisions importantes n’empeche pas nécessairement la présentation subséquente d’un recours fondé sur la responsabilité du successeur de l’employeur, de telles négociations peuvent quand meme offrir plus de chances de parvenir a une solution que si le syndicat est maintenu a l’écart. Selon la Cour :

« […] En l’espece, une telle mesure aurait eu pour effet d’associer d’entrée de jeu au déroulement et a la supervision de l’administration ordonnée, équitable et efficace du processus de faillite une partie nettement concernée par ce processus. Bien sur, cela n’aurait pas nécessairement permis d’éviter une multiplicité de procédures. Cela n’aurait pas non plus assuré l’approbation par le Syndicat de la méthode proposée pour préserver et réaliser l’actif. Mais, a tout le moins, une telle démarche aurait fait en sorte que les préoccupations légitimes du Syndicat soient prises en compte suffisamment tôt dans le processus, évitant possiblement de ce fait des recours ultérieurs, comme ceux intentés dans la présente affaire. »

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec André Champagne, au 613-940- 2735.

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