Protégez votre droit de faire des mises à pied temporaires

En ce qui a trait à la réduction des effectifs, à la restructuration ou aux autres mesures de réduction des coûts, les employeurs peuvent envisager des mises à pied temporaires ou permanentes. Les mises à pied temporaires peuvent être un moyen efficace d’économiser, mais elles peuvent aussi être risquées si les employeurs n’ont pas protégé dans leurs contrats d’emploi leur droit de mettre à pied des employés temporairement.

La Loi de 2000 sur les normes d’emploi (LNE) de l’Ontario permet aux employeurs de mettre à pied des employés temporairement, dans la mesure où la mise à pied n’excède pas 13 semaines au cours d’une période de 20 semaines consécutives. Toutefois, si une mise à pied dure plus de 13 semaines au cours d’une période de 20 semaines consécutives, mais dure moins de 35 semaines au cours d’une période de 52 semaines consécutives, elle sera considérée comme temporaire dans certains cas exceptionnels (c.-à-d. si s’employeur continue d’effectuer des versements importants à l’employé ou lui procure des avantages sociaux, si l’employé a droit à l’assurance-emploi ou si l’employé peut faire l’objet d’un rappel dans un délai fixé).

La période de 20 semaines est une « fenêtre mobile », de sorte que si l’employé est mis à pied pour même une journée de plus que 13 semaines au cours d’une période de 20 semaines consécutives, la mise à pied n’est plus temporaire. Il en est de même pour la fenêtre de 52 semaines susmentionnée, qui s’applique dans des cas exceptionnels. Si le seuil applicable est dépassé, il y a licenciement, qui est réputé s’être produit rétroactivement au premier jour de la mise à pied.

Malgré le droit de l’employeur de mettre à pied un employé temporairement en vertu de la LNE, lorsqu’un contrat d’emploi ne prévoit pas la possibilité d’une telle mise à pied, les tribunaux ontariens ont donné gain de cause aux employés mis à pied qui prétendent avoir fait l’objet d’un congédiement déguisé. Cette jurisprudence expose les employeurs à un risque important de responsabilité pour dommages en common law, même s’ils se sont conformés aux dispositions de la LNE sur les mises à pied temporaires.

Pour limiter ce risque, les employeurs devraient intégrer à chaque contrat d’emploi une disposition qui réserve leur droit de mettre à pied les employés temporairement conformément à la LNE et qui prévoit qu’une telle mise à pied temporaire ne constituera pas un congédiement déguisé.

Dans une décision récente incitant à la prudence, soit Bevilacqua v Gracious Living Corporation, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu que l’employeur, Gracious Living, n’avait pas le droit d’imposer unilatéralement une mise à pied temporaire en l’absence de disposition contractuelle en ce sens, même lorsque la mise à pied temporaire était conforme à la LNE. Ce faisant, la Cour a conclu que Gracious Living avait congédié de façon déguisée M. Bevilacqua, employé depuis 15 ans. Même si Gracious Living avait mis à pied M. Bevilacqua temporairement, prévoyant une date de début et une date de fin, pour une période qui n’aurait pas duré plus de 13 semaines au cours d’une période de 20 semaines consécutives, et même si M. Bevilacqua continuait de recevoir des avantages sociaux de la société, la Cour a conclu qu’en l’absence de disposition contractuelle explicite ou implicite permettant les mises à pied temporaires, Gracious Living ne pouvait pas faire une telle mise à pied sans mettre fin à l’emploi de M. Bevilacqua.

En tirant sa conclusion, la Cour était d’avis que le fait que la mise à pied était conforme à la LNE était dénué de pertinence pour sa détermination de la question de savoir si M. Bevilacqua avait fait l’objet d’un congédiement déguisé. L’intention de Gracious Living que la mise à pied soit temporaire et ne constitue pas un congédiement était également dénuée de pertinence. Enfin, les attentes de Gracious Living et de M. Bevilacqua concernant la nature temporaire de la mise à pied ne changeaient rien au fait qu’il s’agissait d’un congédiement déguisé.

Même si elle a conclu que M. Bevilacqua avait fait l’objet d’un congédiement déguisé, la Cour lui a accordé des dommages-intérêts limités à la lumière de son défaut d’atténuer ses dommages. Avant, et de nouveau pendant, la mise à pied, Gracious Living a offert de réintégrer M. Bevilacqua à la fin de la mise à pied de trois mois au même poste et suivant les mêmes conditions. M. Bevilacqua a refusé ces offres, a fait des efforts négligeables pour atténuer ses dommages au cours des mois suivants et a intenté une action sollicitant un salaire de 15 mois tenant lieu de préavis. La Cour estimait que rien n’avait empêché M. Bevilacqua d’accepter les offres de retour au travail de Gracious Living, et lui a accordé seulement trois mois de salaire, représentant la période pendant laquelle M. Bevilacqua aurait été sans emploi s’il avait accepté l’offre de retour au travail de Gracious Living.

Cette décision constitue un rappel important aux employés de l’obligation de minimiser leurs pertes. Fait plus important, elle rappelle aux employeurs qu’en common law, ils n’ont pas le droit de mettre à pied des employés temporairement. En l’absence d’entente explicite contraire, une mise à pied temporaire unilatérale entraînera vraisemblablement un changement important dans le contrat d’emploi au point d’équivaloir à un congédiement déguisé.

Néanmoins, certains tribunaux ont conclu à l’existence d’un droit à imposer une mise à pied temporaire en l’absence de droit contractuel explicite dans des cas exceptionnels, par exemple lorsque :

  • l’employeur a des antécédents de mise à pied temporaires pour diverses raisons, notamment le manque de travail ;
  • l’employeur œuvre dans une industrie où les mises à pied temporaires ou les interruptions de service sont courantes ;
  • l’employeur a en place une politique consistant à avertir les employés que les mises à pied temporaires sont possibles lorsque les affaires vont mal ou qu’il y a un manque de travail ;
  • l’employeur continue de procurer des avantages sociaux aux employés mis à pied pendant la période de mise à pied.

Néanmoins, la méthode la plus sûre consiste à intégrer à tous les contrats d’emploi une disposition standard de mise à pied qui protège le droit de l’employeur de mettre à pied des employés temporairement conformément à la LNE et sans autre avis ou indemnité et qui prévient une demande fondée sur le congédiement déguisé.

Si vous voulez davantage d’information ou de l’aide pour limiter votre exposition aux risques associés aux mises à pied temporaires, veuillez communiquer avec Céline Delorme au 613-940-2763.

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