Grief de politique accéléré entre les foyers participants et l’AIIO : le droit aux EPI n’est pas totalement illimité

La Cour supérieure de justice de l’Ontario a récemment émis une injonction ordonnant à quatre foyers de soins de longue durée distincts dans la région du Grand Toronto de se conformer aux directives no 3 et no 5 du médecin-hygiéniste en chef de la province de l’Ontario en vertu de l’article 7.7 de la Loi sur la protection et la promotion de la santé (« LPPS »). Ces deux directives relatives aux pratiques et procédures dans les foyers de soins de longue durée prévoient :

  • La directive no3, qui prévoit généralement les précautions et procédures appropriées (liées, par exemple, au dépistage, au masquage, aux tests et aux communications, entre autres) à prendre dans les établissements de soins de longue durée pour faire face au risque créé par la COVID-19 ; et
  • La directive no5, qui exige généralement que les hôpitaux publics et les foyers de soins de longue durée obtiennent et maintiennent une quantité suffisante d’équipements de protection individuelle (« EPI »).

Voir notre alerte précédente sur la décision.

 

Les directives no 3 et no 5 du médecin-hygiéniste en chef ont de nouveau fait l’objet d’un litige dans la décision de l’arbitre Stout rendue le 4 mai 2020 entre les foyers de soins de longue durée participants (« foyers participants ») et l’Association des infirmières et infirmiers de l’Ontario (« AIIO »). L’arbitre Stout a été nommé par les parties pour entendre les griefs déposés par l’AIIO concernant les mesures de santé et de sécurité dans plusieurs foyers participants découlant de la pandémie de COVID-19.

Les griefs déposés par l’AIIO alléguaient que les foyers participants avaient violé leurs conventions collectives respectives, la Loi sur la santé et la sécurité au travail (« LSST ») et le droit de leurs employés à la vie, à la liberté et à la sécurité en vertu de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (« Charte »). L’AIIO a également affirmé que les foyers participants ont manqué à leur devoir de diligence, car ils n’ont pas :

  • pris les mesures adéquates pour garantir la sécurité des infirmières et infirmiers autorisés et autres professionnels de la santé ;
  • fournis des EPI adéquats ;
  • permis à leurs employés de s’isoler ;
  • suivi le principe de précaution ; et
  • pris toutes les précautions raisonnables dans les circonstances résultant de la menace extraordinaire que représente la pandémie de COVID-19.

Niant avoir violé leurs conventions collectives avec l’AIIO, la LSST ou la Charte, les foyers participants ont fait valoir qu’ils ont respecté leurs obligations juridiques, y compris les directives du gouvernement, et que les griefs portaient en réalité sur l’utilisation et l’attribution des EPI qui sont limités, rares et essentiels.

Le principe de précaution est une recommandation de la Commission d’enquête sur l’éclosion de SRAS en 2003 présidée par le juge Archie Campbell. Dans son rapport, la Commission a recommandé que le principe de précaution soit suivi afin d’éviter toute maladie et tout décès inutile. Le principe s’applique lorsque la santé et la sécurité sont menacées même s’il ne peut pas être établi de manière scientifique qu’il existe un lien de causalité entre l’activité et le mal. Le paragraphe 77.7 de la LPPS inclut le principe de précaution.

La décision de l’arbitre Stout a mis en évidence de nombreuses ententes entre les parties, telles que :

  • la communication sur la gestion des réserves d’EPI afin de garantir un approvisionnement suffisant pour les membres du personnel ;
  • le respect de la distanciation physique dans les foyers participants afin de prévenir la propagation du virus ;
  • le respect des règles et des directives de la Santé publique, du ministère de la Santé et des Soins de longue durée en ce qui concerne les tests de dépistage ;
  • l’interdiction de travailler pour les membres du personnel dont le test de dépistage s’est révélé positif tant qu’ils n’ont pas reçu deux (2) échantillons négatifs consécutifs à au moins 24 heures d’intervalle, ou que quatorze (14) jours se sont écoulés depuis l’apparition de symptômes, si ces derniers se sont dissipés.

L’arbitre Stout a réitéré que les parties partageaient des objectifs communs et que cette décision devait fournir une voie positive à suivre pour que les parties travaillent conjointement dans leur lutte pour combattre la Covid-19 et protéger les travailleurs de la santé et les résidents vulnérables des foyers de soins de longue durée.

Afin de clarifier toute question relative à l’utilisation de l’EPI, l’arbitre Stout a jugé approprié de rendre des ordonnances pour s’assurer que les parties disposent d’une orientation claire et de la capacité de résoudre leurs litiges de manière accélérée. Il a noté que les ordonnances n’ont pas été rendues sur la base d’un constat de faute, mais plutôt pour favoriser des relations de travail pacifiques et pour assurer la santé et la sécurité des employés, conformément aux conventions collectives, à la LSST et aux directives du gouvernement. Ses ordonnances concernant les EPI sont les suivantes :

  • Les foyers participants doivent fournir aux infirmières et infirmiers qui l’estiment nécessaire des masques N95 (ou des masques de qualité équivalente ou supérieure) et tout autre EPI approprié (p. ex. blouses, gants, masques de protection), comme le prévoit la directive no5 du médecin-hygiéniste en chef ;
  • Les infirmières et infirmiers doivent mener une évaluation des risques au point de service (ERPS) avant d’interagir avec les résidents. S’ils déterminent sur la base d’une ERPS et de leur jugement professionnel (au cas par cas) qu’ils ont besoin de masques N95 et/ou d’autres EPI, les foyers participants ne peuvent leur en refuser l’accès. Pour parvenir à cette décision, les infirmières et infirmiers doivent également prendre en considération les besoins à court et à long terme, les autres mesures de santé et de sécurité, et leurs obligations professionnelles ;
  • Les foyers participants et les membres du personnel doivent s’engager dans des conversations sérieuses sur la gestion des EPI ;
  • Des masques N95 adaptés doivent être portés chaque fois que des interventions médicales générant des aérosols (IMGA) sont effectuées, fréquentes ou probables (comme l’intubation et les procédures connexes, la bronchoscopie) ;
  • Les foyers participants ont le droit de stocker les EPI dans des endroits sécurisés. Cependant, une quantité suffisante de masques N95 de toutes les tailles doit être mise à la disposition des membres du personnel au besoin ;
  • Les foyers participants doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour se procurer un nombre suffisant d’EPI ; et
  • Les infirmières et infirmiers peuvent exercer leur droit d’obtenir des EPI sans crainte de menace, d’intimidation ou de coercition. Cependant, les foyers participants conservent leurs droits de gestion en vertu de la convention collective pour gérer le rendement de son personnel si nécessaire ou pour imposer des mesures disciplinaires, sous réserve du droit de l’employé de déposer un grief.

L’arbitre Stout a également demandé aux foyers participants de mettre en œuvre des politiques et des procédures administratives portant notamment sur l’isolement et le regroupement en cohorte des résidents et du personnel pendant la pandémie, comme le prévoient les directives du médecin-hygiéniste en chef (p. ex. déménager des résidents dans des chambres libres, déménager des résidents dans des zones communes fermées pour assurer la distanciation sociale et l’isolement physique, ou mettre en place des barrières physiques imperméables entre les résidents dont le test de dépistage s’est révélé positif et ceux qui ne sont pas atteints de la COVID-19 lorsqu’aucune chambre n’est libre). Sous réserve de la disponibilité du personnel et lorsque c’est possible, les foyers participants doivent également faire des efforts raisonnables pour regrouper en cohorte le personnel qui interagira avec les résidents atteints de la COVID-19, ou dont on suspecte qu’ils le sont, et celui qui interagira avec les résidents qui ne sont pas infectés.

La décision prévoit finalement que si les circonstances actuelles changent, les parties peuvent modifier les ordonnances de l’arbitre Stout, sujet à un accord écrit, ou lui soumettre à nouveau l’affaire dans les plus brefs délais.

 

À notre avis

La précédente injonction de la Cour et la présente décision arbitrale semble indiquer que les tribunaux vont interpréter les directives de santé publique comme transférant le contrôle de l’attribution des EPI pendant la pandémie aux employés. Toutefois, la décision de l’arbitre Stout souligne l’importance de gérer les réserves d’EPI et note que le droit d’une infirmière ou d’un infirmier d’obtenir des EPI doit prendre en considération l’offre disponible. Il a également été reconnu que les foyers de soins de longue durée conservent leurs droits de gestion en vertu de la convention collective et de la législation pour gérer leurs activités comme ils le désirent.

 

Pour plus d’informations ou des conseils sur vos droits et obligations en tant qu’employeur lorsque vous traitez de la COVID-19 ou de problèmes similaires, veuillez contacter André Champagne au 613-940-2735Sébastien Huard au 613-940-2744Mélissa Lacroix au 613-940-2741.

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