La norme n’était pas « raisonnablement nécessaire » : l’épreuve aérobique est jugée discriminatoire, une pompière forestière de C.-B. triomphe

Cinq ans environ apres avoir perdu son emploi comme pompiere au sein du service forestier de Colombie-Britannique, Mme Tawney Meiorin apprend de la Cour supreme du Canada qu’elle a le droit d’etre réintégrée dans ses fonctions. Mme Meiorin était membre de l’équipe d’intervention initiale, chargée d’éteindre les feux de foret de petite envergure, facilement contrôlables. Son dossier d’emploi était satisfaisant.

A la suite des recommandations d’un rapport du coroner en 1991, a l’effet que seuls les employés en bonne forme physique devaient etre assignés aux tâches de premiere ligne pour éteindre les feux, le gouvernement provincial a entrepris un examen de ses normes de condition physique. Des chercheurs mandatés par le gouvernement ont mis au point quatre épreuves, dont l’une exigeait que l’employé coure 2,5 kilometres en 11 minutes. Mme Meiorin a passé avec succes les trois autres épreuves, mais a échoué l’épreuve de course, apres quatre tentatives, avec un temps de 11 minutes 49,4 secondes. Elle a été mise a pied, et le syndicat a porté l’affaire en arbitrage.

AUCUNE PREUVE DE RISQUE

L’arbitre a donné raison a Mme Meiorin et a ordonné qu’elle soit rétablie dans ses fonctions, avec indemnisation pour le salaire et les avantages perdus. L’arbitre a accepté la preuve que la plupart des femmes ont une capacité aérobique inférieure a la plupart des hommes, et il a jugé que l’épreuve était discriminatoire, puisqu’elle avait une incidence négative disproportionnée sur les femmes comme groupe. Un expert témoignant pour le gouvernement a déclaré que la plupart des femmes seraient capables d’atteindre la norme aérobique en s’entraînant, mais l’arbitre a écarté cette preuve comme étant anecdotique et sans confirmation scientifique. L’arbitre a également conclu qu’il n’y avait aucune preuve crédible que la norme aérobique adoptée par le gouvernement était nécessaire pour évaluer la capacité des pompiers, des deux sexes, d’exécuter leurs fonctions de façon satisfaisante, ni que l’échec de Mme Meiorin signifiait qu’elle posait un risque aux opérations.

Cette décision a été renversée par la Cour d’appel de la province, qui a conclu que la norme aérobique était nécessaire pour assurer l’exécution sure et efficace du travail.

NOUVELLE MÉTHODE EN TROIS ÉTAPES POUR JUSTIFIER UNE NORME DISCRIMINATOIRE

Dans l’arret Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU (9 septembre 1999), la Cour supreme a jugé a l’unanimité que le gouvernement n’avait pu établir que la norme aérobique était raisonnablement nécessaire pour déterminer qui pouvait exécuter en toute sécurité les fonctions de pompier forestier. La Cour a d’abord accepté le jugement de l’arbitre que Mme Meiorin avait fait la preuve que l’épreuve opérait discrimination contre les femmes, en raison de leur capacité aérobique généralement inférieure a celle des hommes. La question était de savoir si le gouvernement pouvait défendre la norme aérobique en tant qu’exigence professionnelle justifiée (EPJ), malgré son effet discriminatoire.

Avant de se prononcer sur la cause en l’espece, la Cour a formulé une nouvelle méthode en trois étapes pour déterminer si une norme discriminatoire est une EPJ. L’employeur peut justifier la norme contestée en établissant selon la prépondérance des probabilités :

  1. qu’il a adopté la norme dans un but rationnellement lié a l’exécution du travail en cause;
  2. qu’il a adopté la norme particuliere en croyant sincerement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;
  3. que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les memes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.

Le gouvernement avait satisfait aux deux premieres exigences du critere. La Cour a noté que le but de la norme aérobique, de permettre au gouvernement d’identifier ceux et celles qui pouvaient travailler de façon sure et efficace comme pompiers, était rationnellement lié au travail d’un pompier forestier. En outre, il était clair que le gouvernement avait agi de bonne foi et sans intention d’opérer une discrimination dans sa tentative de déterminer qui pouvait exécuter le travail de façon sure et efficace. Ni l’un ni l’autre de ces éléments n’avait été sérieusement contesté.

MÉTHODES DÉFECTUEUSES

La question en litige était plutôt de savoir si la norme était raisonnablement nécessaire pour identifier les personnes capables d’exécuter le travail de façon sure et efficace. Ici, malgré les efforts qu’elle a qualifié de « louables » de la part du gouvernement, d’avoir recours a des experts pour mettre au point une épreuve non-discriminatoire, la Cour a jugé que les méthodes retenues par ces experts comportaient de sérieux problemes.

Premierement, la Cour a signalé leur approche trop « descriptive », ou les normes de rendement étaient conçues en fonction des niveaux moyens de rendement des sujets subissant l’épreuve. La Cour a noté que la simple description des caractéristiques du rendement d’un sujet ne permet pas nécessairement de déterminer quelle est la norme minimum qui est nécessaire pour assurer l’exécution sure et efficace de la tâche.

Deuxiemement, les études ne faisaient pas la distinction entre les femmes et les hommes qui subissaient l’épreuve, ces derniers composant la grande majorité des groupes échantillonnés. Cela signifiait que la norme aérobique avait été élaborée sans qu’on tienne compte de la possibilité d’une discrimination inutile fondée sur le sexe. Un expert témoignant pour le gouvernement a défendu la décision de ne pas mesurer la capacité aérobique en fonction du sexe, afin de tenir compte des conditions réelles du travail de pompier forestier. Une telle attitude, a déclaré la Cour, n’aidait en rien l’élaboration d’une norme qui accomplirait les objectifs du gouvernement tout en évitant une discrimination involontaire :

« La performance aérobique moyenne du groupe polymorphe n’a rien a voir avec la question de savoir si la norme aérobique constitue un seuil minimal qui ne peut pas etre modifié sans imposer une contrainte excessive a l’employeur. L’objectif visé aurait plutôt du etre d’évaluer si les membres de tous les groupes ont besoin de la meme capacité aérobique minimale pour exécuter le travail de façon sure et efficace, et, dans la négative, de refléter cette disparité dans les qualifications requises pour l’emploi. » (Voir aussi « La dépendance créée par la nicotine : un handicap, selon un arbitre de Colombie-Britannique » sous la rubrique « Publications ».)

Le gouvernement n’avait pas étudié la possibilité du caractere discriminatoire de la norme, meme apres que Mme Meiorin a soulevé la question. Les rapports d’experts sur lesquels le gouvernement se fiait affirmaient simplement, sans preuve a l’appui, que les femmes pouvaient atteindre la norme prescrite avec un entraînement suffisant.

L’OBLIGATION D’ACCOMMODEMENT N’EST PAS REMPLIE

Le gouvernement, a fait remarquer la Cour, n’a présenté aucune preuve sur le cout d’accommoder Mme Meiorin, et s’est contenté de soutenir qu’une dérogation a la norme nécessaire pour assurer la sécurité des pompiers et du public constituerait une contrainte excessive. La Cour a souligné que cet argument, selon lequel l’accommodement de Mme Meiorin posait un risque inacceptable, avait déja été rejeté par l’arbitre en raison de l’absence de preuves convaincantes. La Cour a convenu avec l’arbitre qu’il n’y avait rien qui démontrait que d’utiliser une autre norme risquait de frustrer l’objectif gouvernemental au point de constituer une contrainte excessive.

Le gouvernement a également affirmé que l’accommodement minerait le moral des autres pompiers forestiers. La Cour a répondu que non seulement cette affirmation était parfaitement gratuite, mais que meme si cela était vrai, l’objection de la part de ceux qui veulent maintenir une pratique discriminatoire ne suffit pas pour démontrer que l’accommodement de Mme Meiorin représente une contrainte excessive pour l’employeur. Les objections des autres employés n’entrent en ligne de compte que s’ils ont raison de craindre une atteinte a leurs droits. Or, rien n’indiquait que leurs droits seraient brimés du fait de permettre a Mme Meiorin de demeurer en fonction.

Notre point de vue

La Cour a fait le commentaire suivant sur les obligations des employeurs en vertu des lois sur les droits de la personne :

« Les employeurs qui conçoivent des normes pour le milieu de travail doivent etre conscients des différences entre les personnes et des différences qui caractérisent des groupes de personnes. Ils doivent intégrer des notions d’égalité dans les normes du milieu de travail. En adoptant des lois sur les droits de la personne …, les législatures ont décidé que les normes régissant l’exécution du travail devraient tenir compte de tous les membres de la société, dans la mesure ou il est raisonnablement possible de le faire. »

Les employeurs devraient donc soigneusement vérifier toute norme, regle ou pratique potentiellement discriminatoire, afin d’établir si elle est raisonnablement nécessaire pour la réalisation d’un objectif lié au travail et si elle prévoit un accommodement, en-deça du seuil de contrainte excessive. (Voir aussi « La Commission des droits de la personne émet des directives sur l’obligation d’accommodement » sous la rubrique « Publications » et « La Commission canadienne des droits de la personne publie une politique sur le dépistage des drogues et de l’alcool » sur notre page Nouveautés. Pour des décisions ultérieures qui ont appliqué les principes de cette décision, voir « L’arbitre n’accorde pas l’accommodement ‘idéal’ au technicien phobique » sous la rubrique « Publications » et « L’obligation d’accommodement a la suite des arrets Meiorin et Grismer» sous la rubrique « Nouveautés ».)

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Carole Piette au (613) 940-2733.

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