« L’affaire a déjà trop traîné et elle a déjà coûté trop cher » : le gouvernement fédéral perd la longue bataille de l’équité salariale

Au cours des derniers mois, les tribunaux ont fait subir a deux employeurs du secteur fédéral des revers importants qui les obligent a composer avec les dispositions sur l’équité salariale prévues dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. D’abord, la Cour supreme du Canada a refusé d’accueillir la requete en pourvoi de Bell Canada contre une décision de la Cour d’appel fédérale qui permettait la tenue d’une audience sur l’équité salariale devant le Tribunal canadien des droits de la personne. Bell a décidé de tenter de régler la plainte portée par quelque 20,000 employés, anciens et actuels, surtout des femmes.

Le 19 octobre 1999, le juge John Evans de la Cour fédérale a accordé aux employés une autre victoire importante en matiere d’équité salariale, cette fois contre le gouvernement fédéral. La décision de la Cour dans l’affaire Alliance de la fonction publique c. Canada (Conseil du Trésor) semble etre la derniere étape judiciaire d’une plainte qui remonte a 1984. Dans cette affaire, le gouvernement cherchait, non pas a bloquer la désignation du Tribunal comme compétent, comme dans la requete de Bell, mais bien a faire renverser une décision du Tribunal rendue apres quelque 250 jours d’audiences, qui avait donné raison au syndicat.

MÉTHODE DÉFECTUEUSE?

Le gouvernement a soutenu que le Tribunal avait mal interprété l’article 11 de la Loi en adoptant une mauvaise méthode statistique pour mesurer la différence entre les salaires versés aux hommes et aux femmes qui exécutaient des fonctions équivalentes. Le point central du différend était l’échantillonnage des emplois masculins utilisés a des fins de comparaison avec les groupes d’employés alléguant la discrimination. Le paragraphe 11(1), la principale disposition en litige, prévoit ce qui suit :

« 11. (1) Constitue un acte discriminatoire le fait pour l’employeur d’instaurer ou de pratiquer la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent, dans le meme établissement, des fonctions équivalentes. »

La Cour a rejeté tous les arguments avancés par le gouvernement, et a fait remarquer que rien dans la Loi ne prescrivait l’adoption de la méthode retenue par le gouvernement pour déterminer les groupes de comparaison. Le libellé législatif était plutôt large et reflétait les objectifs de la Loi, le détail étant laissé a la Commission des droits de la personne :

« L’article 11 fournit uniquement un cadre législatif large dans lequel les problemes de discrimination salariale entre les hommes et les femmes doivent etre abordés a la lumiere de la situation particuliere de l’emploi, de la déposition des témoins experts et des objectifs sous-jacents de la loi. A mon avis, interpréter l’article comme prescrivant implicitement, de la maniere précise proposée par [le gouvernement], les caractéristiques des méthodes de comparaison permises, serait incompatible avec l’objectif sous-jacent de l’article 11 … . Il faut inévitablement laisser la Commission et le tribunal se prononcer au cas par cas sur de nombreux points avec l’aide d’experts. »

« GROUPES PROFESSIONNELS »

Le gouvernement a également soutenu que l’échantillon choisi par le Tribunal a des fins de comparaison ne constituait pas un groupe professionnel réel, et que cela contrevenait aux lignes directrices sur l’équité salariale de la Commission canadienne des droits de la personne, adoptées sous le régime de la Loi. Le Tribunal avait choisi de fonder la comparaison sur des employés appartenant a des groupes professionnels a prédominance masculine, et de procéder a l’échantillonnage par poste, et non en fonction de groupes opérationnels distincts existant réellement dans la fonction publique fédérale.

La Cour a déclaré que l’interprétation du gouvernement accordait plus d’importance a ses groupes professionnels qu’ils n’en méritaient et que, de toutes façons, une telle interprétation ne donnerait sans doute pas un résultat tres différent en fin de compte. En outre, la Cour a jugé que meme si le Tribunal avait commis une erreur, cette erreur ne justifiait pas un renversement de sa décision. Les tribunaux ont la discrétion d’accorder ou non réparation, selon le résultat qui favorisera davantage l’intéret public. Ici, il y avait plusieurs raisons de refuser de renverser la décision, notamment le retard déraisonnable qui s’ajouterait a une bataille déja épique :

« [M]eme si cela était possible en théorie, un nouvel échantillonnage d’hommes selon le groupe professionnel auquel ils appartiennent, a des fins de comparaison, entraînerait des dépenses considérables et retarderait encore le reglement du litige. L’affaire a déja trop traîné et elle a déja couté trop cher a tous les intéressés. … Dans ce contexte, la justice différée serait vraisemblablement un déni de justice. »

POUR LA FORME

En conclusion, la Cour a adressé des remontrances au gouvernement pour sa tentative de transformer en principes juridiques ce qui en fait n’étaient que des questions factuelles ou techniques dans la mise en oeuvre de l’équité salariale en vertu de la Loi, et pour son appui plus que tiede aux objectifs de la Loi :

« [Le gouvernement] ne tenait compte que pour la forme des avertissements servis par la Cour supreme du Canada selon lesquels la législation en matiere de droits de la personne doit … recevoir une interprétation large et libérale. …

[Il] a trop souvent semblé considérer les dispositions pertinentes de la Loi comme un carcan qui limite le tribunal, plutôt que comme un outil qui aide les organismes spécialisés a appliquer une solution aux problemes, existant de longue date, de disparité salariale systémique découlant de la ségrégation des emplois selon le sexe et de la sous-évaluation du travail des femmes. »

Notre point de vue

Suite au reglement conclu avec plus de 200 000 plaignants touchés par cette cause, le gouvernement a annoncé son intention de modifier les dispositions sur l’équité salariale dans la Loi. Puisqu’il a déja indiqué qu’il maintenait son engagement a l’égard du principe de la parité salariale pour l’exécution de fonctions équivalentes (par opposition a la parité salariale pour des fonctions égales), la présente décision donne déja quelques indices sur la direction qu’entend prendre le gouvernement.

Le principal probleme du gouvernement dans cette affaire tenait surtout au fait que l’article 11 était davantage une déclaration de principe, qui accordait une large marge de manoeuvre a la Commission et au Tribunal, plutôt qu’une directive complete sur la façon de réaliser la parité salariale pour des fonctions équivalentes. Il est fort probable que le gouvernement tentera maintenant d’adopter par voie législative les méthodes prônées dans sa plaidoirie.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Carole Piette au (613) 563-7660, poste 227.

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