L’arbitre réintègre l’employé qui avait refusé d’accéder à une demande pour un examen médical indépendant

Un arbitre nommé sous le régime de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique s’est penché récemment sur la question suivante : dans quelles circonstances l’employeur a-t-il le droit d’exiger qu’un employé subisse un examen médical indépendant? La décision rendue dans l’affaire Grover c. Conseil national de recherches du Canada (3 octobre 2005) indique clairement que les employeurs devraient faire montre de prudence avant d’exiger qu’un employé soit examiné par un médecin autre que le sien.

Le plaignant en l’espece était un physicien qui travaillait a l’Institut des étalons nationaux de mesure (IENM) comme directeur de la section des normes de rayonnement et de l’optique. Il avait été nommé a ce poste apres avoir livré une longue bataille judiciaire a son employeur qui remontait a 1987, lorsqu’il avait déposé une plainte pour discrimination aupres de la Commission canadienne des droits de la personne.

Apres que le plaignant s’est opposé en 2003 aux initiatives visant a modifier la structure du comité de direction de l’IENM, sa relation avec le directeur général est devenue de plus en plus tendue. A la fin de janvier 2004, le plaignant a obtenu un certificat médical de son médecin qui lui prescrivait un congé pour stress de quatre semaines, « réparti sur huit semaines, selon ses besoins ». Le médecin a prescrit le meme congé a la fin mars 2004, et un collegue du médecin a émis une troisieme ordonnance identique en juin.

L’employeur a remarqué que le plaignant utilisait ses congés de maladie pour manquer la plupart des réunions de gestion, et a manifesté des inquiétudes du fait que la troisieme ordonnance était identique aux deux autres et que la santé du plaignant ne s’améliorait pas. L’employeur a demandé au plaignant de voir un médecin choisi par l’employeur, et de ne pas se présenter au travail avant de voir ce médecin. Bien que l’employeur ait témoigné que cette demande était motivée par ses inquiétudes au sujet de la santé du plaignant, il a reconnu ne pas avoir fait part au plaignant de ces inquiétudes a ce moment-la.

A l’arbitrage, l’employeur a témoigné qu’il avait fondé sa demande pour un examen médical indépendant sur sa Politique de santé et sécurité au travail. Cette politique prévoyait qu’une évaluation serait exigée « lorsque la gestion s’inquiete, et avec raison, de la capacité d’un employé a accomplir son travail sans qu’un danger vienne entraver sa sécurité ou celle des autres employés, y compris la possibilité d’endommager la propriété physique… ».

Malgré le fait que l’employeur a déclaré qu’il était mu par son inquiétude au sujet de la santé du plaignant et de la sécurité des autres employés, dans certaines lettres adressées au plaignant, il a qualifié son refus de subir un examen médical d’ « insubordination » et l’a averti de conséquences disciplinaires éventuelles. A un certain moment, l’employeur a imposé une suspension de cinq jours, qu’il a par la suite annulée. A un autre moment, il a informé le plaignant qu’aux fins de la rémunération et des avantages sociaux, il était considéré comme étant en « congé non payé pour d’autres raisons ».

Au cours de la période « pas de travail, pas de rémunération », le plaignant a fait plusieurs propositions a l’employeur pour tenter de sortir de l’impasse, notamment en suggérant que les deux parties s’entendent sur un médecin choisi d’un commun accord pour administrer l’examen médical. L’employeur n’a jamais répondu a ces propositions. Finalement, il a averti le plaignant que si la situation perdurait, il envisagerait le congédier pour absentéisme.

ARTISAN DE SON PROPRE MALHEUR, OU CIBLE DE LA DISCIPLINE DE L’EMPLOYEUR?

A l’arbitrage, l’employeur a soutenu que son refus de permettre au plaignant de se présenter au travail était motivé par ses préoccupations au sujet de la santé de ce dernier, et qu’il s’agissait d’une mesure administrative, et non disciplinaire. L’employeur a avancé que le plaignant était l’artisan de son propre malheur, puisqu’il refusait de collaborer a la démarche de l’employeur visant a clarifier son état médical.

Le plaignant a soutenu pour sa part qu’il ne contestait pas le droit de l’employeur de demander un examen médical, mais seulement les motifs de cette demande. En l’absence d’une explication raisonnable et détaillée, a-t-il déclaré, il avait le droit de ne pas consentir a l’examen médical. L’employeur n’avait pas non plus donné de motifs raisonnables pour les préoccupations qu’il exprimait au sujet du risque posé par la présence du plaignant au travail. Selon le plaignant, les actions de l’employeur étaient essentiellement de nature disciplinaire et pas seulement administrative.

L’arbitre devait décider si l’absence du plaignant du lieu de travail était due a une suspension indéfinie pour insubordination ou simplement la conséquence administrative de son refus de subir un examen médical indépendant. L’arbitre a jugé que la correspondance entre le plaignant et l’employeur montrait que la réaction de l’employeur était essentiellement disciplinaire : ses préoccupations au sujet de la santé du plaignant n’avaient jamais été communiquées a celui-ci, alors que l’insubordination avait été mentionnée a maintes reprises et que des suspensions lui avaient été imposées.

En outre, l’arbitre a jugé que ces mesures disciplinaires n’étaient pas justifiées. A cet égard, l’arbitre a conclu que l’employeur n’avait pas de raisons suffisantes pour demander l’examen médical indépendant :

    « On a admis que l’employeur ne connaissait pas l’état de santé du fonctionnaire s’estimant lésé. Il faisait des hypotheses. En outre, sa position était contradictoire puisqu’il mettait en doute la maladie du fonctionnaire s’estimant lésé — et son certificat médical — tout en soupçonnant que son état de santé était a ce point précaire qu’il devait s’abstenir de se présenter au travail tant que son supérieur n’aurait pas obtenu la garantie qu’il était apte a travailler. Les responsabilités du fonctionnaire s’estimant lésé ne justifiaient pas une telle mesure, contrairement a celles d’un employé qu’on soupçonne souffrir de maux de dos et qui doit régulierement soulever de lourdes charges. »

L’arbitre a également noté que les criteres établis dans la Politique de santé et sécurité au travail pour justifier un examen médical indépendant n’étaient pas présents en l’espece, puisqu’il n’y avait aucune preuve que la présence du plaignant au travail poserait un danger quelconque, pour lui-meme comme pour les autres.

Par conséquent, l’arbitre a accueilli le grief et a ordonné que le plaignant soit réintégré et dédommagé pour les quatorze mois de travail manqués.

Notre point de vue

Un des aspects problématiques pour l’employeur dans cette affaire est qu’il était pris dans une contradiction, entre l’inquiétude qu’il déclarait ressentir au sujet de l’aptitude au travail du plaignant et les doutes qu’il exprimait au sujet de la validité des certificats médicaux du plaignant. Si le probleme est l’aptitude au travail, l’employeur peut, pour des motifs raisonnables et probables, exiger que l’employé subisse un examen médical indépendant. Cependant, si l’employeur a des doutes quant au certificat médical de l’employé, il peut avoir le droit de demander de plus amples renseignements du médecin traitant ou demander que l’employé subisse un examen administré par un médecin choisi conjointement par l’employeur et l’employé.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Carole Piette au (613) 940-2733.

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