La Loi de l’impôt sur le revenu : un obstacle à l’égalité quant aux fonds de retraite pour les conjoints de même sexe

Dans une décision rendue le 27 septembre 1996, une commission d’enquete établie sous le régime du Code des droits de la personne de l’Ontario a déclaré que meme si le refus de prestations d’un fonds de retraite aux conjoints de meme sexe viole les dispositions du Code, la commission d’enquete ne peut accorder pleine réparation vu l’effet discriminatoire de la Loi de l’impôt sur le revenu (fédérale).

William Dwyer, le plaignant dans l’affaire Dwyer c. Metropolitan Toronto, cherche en vain depuis 1986 a obtenir des avantages du régime de son emploi pour son conjoint de meme sexe. La communauté urbaine de Toronto soutient qu’il lui est impossible d’accorder ces prestations, puisque la définition de « conjoint » dans la Loi sur les municipalités et la Loi sur la municipalité de la communauté urbaine de Toronto la prive de l’autorisation législative nécessaire. M. Dwyer a porté plainte devant la Commission des droits de la personne, pour revendiquer les avantages supplémentaires du régime médical, les prestations de retraite et les avantages non assurés offerts au conjoint.

Pour la commission d’enquete, les prestations de retraite posaient le probleme majeur. L’agrément d’un régime de retraite aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu offre de nets avantages fiscaux, mais la Loi définit le « conjoint », aux fins du régime de retraite, comme une personne de sexe opposé, et ne permet pas le versement de prestations de survivant a un conjoint de meme sexe. Un régime de retraite qui offrirait ces prestations a un conjoint de meme sexe cesserait d’etre agréé, et perdrait du coup ses avantages fiscaux. Consciente du dilemme, la Commission des droits de la personne a donc demandé comme mesure de redressement qu’on ordonne a la communauté urbaine de Toronto d’établir un régime d’appoint pour les conjoints de meme sexe, c’est-a-dire, un mécanisme autre qu’un régime de retraite qui offre néanmoins des avantages semblables.

LA DÉFINITION DE CONJOINT DANS LE CODE DES DROITS DE LA PERSONNE VIOLE LES DROITS A L’ÉGALITÉ PRÉVUS PAR LA CHARTE

L’article 5(1) du Code des droits de la personne interdit la discrimination dans l’emploi fondée sur l’orientation sexuelle ou l’état matrimonial, parmi d’autres motifs. Toutefois, le paragraphe 10 (1) du Code définit les termes « état matrimonial » et « conjoint » par référence a un conjoint de sexe opposé. En outre, le paragraphe 25 (2) précise qu’un régime de retraite ou un contrat d’assurance groupe conforme a la Loi sur les normes d’emploi ne constitue pas une atteinte au droit a l’emploi fondée sur l’état matrimonial.

La commission d’enquete a accepté le raisonnement de la Commission des droits de la personne a l’effet que les références au conjoint de sexe opposé dans le Code, qui autorisent le refus des avantages liés a l’emploi aux conjoints de meme sexe, constituent en elles-memes une violation de l’égalité garantie par l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Comme le concédaient les avocats pour la ville et la province, si la Charte s’appliquait, le refus des avantages contreviendrait aux droits a l’égalité prévus a l’article 15, et la question serait alors de savoir si la discrimination pourrait etre justifiée comme limite raisonnable au sens de l’article 1 de la Charte.

LES DÉFINITIONS RESTRICTIVES NE SONT PAS JUSTIFIÉES

La commission d’enquete a déclaré que les restrictions ne pouvaient se justifier. L’objectif des dispositions en litige – étendre les avantages liés a l’emploi aux conjointes et remédier a la pauvreté féminine – est certes important. Toutefois, les avantages conférés par ces dispositions visent également les conjoints masculins, ainsi que les conjoints qui sont en bonne posture financiere. Par contre, les conjoints de meme sexe – hommes et femmes – se voient refuser ces avantages, quelle que soit l’ampleur de leurs besoins financiers. Compte tenu de leur objectif, ces dispositions ont donc une portée a la fois trop large et trop étroite.

La commission d’enquete a écarté l’argument du gouvernement selon lequel elle devrait adopter la meme approche que la Cour supreme dans l’arret Egan c. Canada (1995), pour accorder au gouvernement une certaine flexibilité quant au rythme de l’extension des avantages sociaux. La commission d’enquete a répondu que la situation était différente, puisque l’arret Egan concernait les avantages sociaux, tandis qu’en l’espece il s’agissait d’avantages liés a l’emploi.

RÉGIMES DE RETRAITE: UN DROIT, MAIS AUCUNE RÉPARATION

La commission d’enquete a conclu qu’on devrait interpréter le Code des droits de la personne de façon a éliminer l’effet discriminatoire des références aux conjoints de sexe opposé. La commission d’enquete a alors enjoint a la province d’interpréter et d’appliquer les définitions législatives de « conjoint », pour les avantages assurés et non assurés, conformément au Code « corrigé selon la Constitution », et a ordonné a la communauté urbaine de Toronto d’offrir ces avantages aux conjoints de meme sexe.

Selon la meme analyse, la commission d’enquete a déclaré que les dispositions de la législation provinciale sur les régimes de retraite qui définissent les conjoints comme étant de sexe opposé contrevenaient aux dispositions du Code. Cependant, la commission d’enquete a signalé les nombreuses difficultés qu’entraînerait l’obligation pour la communauté urbaine d’établir un régime d’appoint qui offrirait aux conjoints de meme sexe des prestations de survivant :

[TRADUCTION] « Il est manifeste qu’une ordonnance obligeant la communauté urbaine de Toronto a mettre sur pied une convention de retraite agréée créerait beaucoup de couts et de problemes d’intégration et de transférabilité… Il n’est pas déraisonnable de conclure que ces difficultés et ces couts ameneraient sans doute certains employeurs, du moins certains petits employeurs, a mettre fin [aux régimes de retraite agréés]. Voila une conséquence grave qui causerait beaucoup d’ennuis aux employés… Pour toutes ces raisons, je conclus que la réparation demandée serait disproportionnée par rapport aux objectifs. »
La cause de ces difficultés est un facteur sur lequel la communauté urbaine de Toronto n’a aucun pouvoir : le libellé discriminatoire de la Loi de l’impôt sur le revenu. La commission d’enquete a donc ordonné qu’une fois la Loi de l’impôt sur le revenu modifiée, par voie législative ou judiciaire, le libellé correspondant dans la législation provinciale devait etre interprété de maniere a ne pas etre discriminatoire a l’endroit des conjoints de meme sexe.

NOTRE POINT DE VUE

Bien que la commission d’enquete, dans cette affaire, ait ordonné a l’employeur d’offrir des avantages assurés et non assurés aux conjoints de meme sexe de ses employés, elle a fait remarquer qu’elle ne pouvait s’inspirer de la décision Leshner c. Ontario et ordonner a la communauté urbaine de Toronto d’offrir un régime d’appoint, puisque l’employeur dans l’affaire Leshner était le gouvernement provincial, qui dispose de ressources financieres que l’on ne retrouve pas ailleurs, ni dans le secteur privé ni dans le secteur public.

Il semble que cette cause aura pour effet d’augmenter la pression qui s’exerce sur le gouvernement fédéral pour modifier la Loi de l’impôt sur le revenu afin que les avantages puissent etre étendus sans que les régimes de retraite cessent d’etre agréés. Il se pourrait toutefois que la Loi soit modifiée par les tribunaux, avant que le gouvernement n’agisse. L’affaire Rosenberg c. Canada, dans laquelle on conteste le libellé de la Loi de l’impôt sur le revenu relatif aux conjoints de sexe opposé, est actuellement en appel devant la Cour d’appel (voir « Les couples de meme sexe remportent une grande victoire devant la Cour d’appel de l’Ontario dans une affaire relative aux prestations de retraite » sous la rubrique « Publications »).

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Carole Piette au (613) 563-7660, poste 227.

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