La dépendance créée par la nicotine : un handicap, selon un arbitre de Colombie-Britannique

Les employeurs qui souhaitent interdire l’usage du tabac au travail devront peut-etre se demander si des regles anti-tabagisme trop séveres operent discrimination contre les fumeurs invétérés et le cas échéant, quel type d’accommodement est requis. C’est en effet une conséquence possible d’une décision d’un arbitre de Colombie-Britannique dans l’affaire Cominco Ltd. v. U.S.W.A. Local 9705 (29 février 2000).

L’arbitre devait se prononcer sur un grief syndical contre la politique de la compagnie qui interdisait l’usage du tabac et meme sa possession, sous toute forme, sur la propriété de la compagnie a l’intérieur comme a l’extérieur, y compris les terrains de stationnement et les véhicules privés, ainsi que les véhicules de la compagnie a l’intérieur et a l’extérieur de la propriété. La compagnie exploite une fonderie de plomb et de zinc, et la propriété couvre quelque 450 acres.

Le syndicat a concédé que l’usage du tabac comporte des risques, mais il s’opposait a la politique pour deux motifs. Premierement, il soutenait que l’usage du tabac était un droit des employés, et qu’en cherchant a le réglementer autant, la compagnie tentait en fait de dicter aux employés leurs habitudes personnelles.

Deuxiemement, le syndicat a soutenu que la dépendance créée par la nicotine et les effets du manque de nicotine constituent un handicap aux termes de la législation sur les droits de la personne et que la politique opérait discrimination contre les travailleurs dépendants du tabac, qui étaient passibles de congédiement pour avoir enfreint le reglement. Par conséquent, soutenait le syndicat, la compagnie était obligée d’accommoder les travailleurs dépendants en leur permettant de fumer a l’extérieur, la ou les autres employés n’auraient pas a subir la fumée de leurs cigarettes.

La compagnie a affirmé qu’il y avait de solides raisons commerciales pour la politique et que, de toutes façons, les employés n’avaient pas un droit de fumer. Il n’y avait par conséquent aucune raison juridique d’obliger la compagnie a permettre l’usage du tabac sur sa propriété.

LA DÉPENDANCE CRÉÉE PAR LA NICOTINE : UN HANDICAP AU SENS DE LA LOI

Une des questions clés était la possibilité, pour les fumeurs, selon les mots de l’arbitre, [TRADUCTION] « de laisser leur dépendance a la porte de l’usine ». Nombre des travailleurs touchés travaillaient des postes de 12 heures, ce qui rendait encore plus douteuse la possibilité pour les gros fumeurs de terminer un poste de travail sans fumer de cigarette. Chaque partie a présenté des experts pour appuyer ses arguments, mais l’arbitre a néanmoins dégagé un consensus que les fumeurs fortement dépendants seraient incapables de s’adapter, et que meme les fumeurs moins dépendants subiraient probablement des symptômes de manque suffisamment graves pour diminuer leur rendement au travail.

L’arbitre a rejeté le premier motif d’opposition du syndicat, et a jugé que la compagnie avait un intéret légitime a interdire l’usage du tabac sur sa propriété; les employés n’avaient aucun droit d’exiger que la compagnie leur permette de fumer au travail. Restait la question des fumeurs fortement dépendants qui subiraient l’effet préjudiciable de l’interdiction. L’arbitre s’est donc penché sur la question de savoir si l’interdiction constituait une discrimination aux termes de la législation sur les droits de la personne. Pour en décider, il fallait voir si la dépendance créée par la nicotine étaient un handicap au sens de cette loi. L’employeur a soutenu la négative, puisqu’il s’agit d’une condition temporaire, qu’on peut surmonter par la volonté et qui ne gene pas le fonctionnement physique ou psychologique de la personne.

L’arbitre n’était pas d’accord. Il a rejeté l’idée qu’on pouvait définir le handicap selon que la condition était temporaire ou permanente, et a jugé plutôt que la question pertinente était de savoir si le fonctionnement normal s’en trouvait diminué. Il a souligné que la toxicomanie et l’alcoolisme, tous deux considérés comme des handicaps dans la loi sur les droits de la personne, [TRADUCTION] « ne sont pas moins éphémeres que la dépendance du tabac ».

Quant a la capacité de fonctionner d’une personne dépendante, l’arbitre a admis que comparativement aux toxicomanes ou aux alcooliques, les fumeurs dépendants fonctionnent relativement bien. Toutefois, les fumeurs souffrent a long terme des conséquences du tabac sur leur santé, qui entraînent des maladies et l’absentéisme. En outre, lorsqu’on considere l’effet du manque sur une personne dépendante, la [TRADUCTION] « distinction entre la dépendance créée par la nicotine et d’autres formes de dépendance disparaît presque entierement ». L’arbitre a donc jugé

[TRADUCTION] « [a] l’étape chronique, ou [les fumeurs] éprouvent des symptômes séveres de manque ou contractent des maladies ou subissent d’autres troubles graves de fonctionnement, ils entrent précisément dans la catégorie des personnes ayant droit a la protection, c’est-a-dire, celles qui souffrent d’un handicap physique ou mentale. »

ACCOMMODEMENT

L’interdiction de fumer était sanctionnée par une gamme de mesures disciplinaires qui préoccupaient l’arbitre, mais celui-ci a reconnu que la compagnie avait offert un programme pour contrôler la dépendance, des médicaments pour remplacer la nicotine et, au besoin, des services soutenus de counselling. D’apres le syndicat, la compagnie n’avait pas pour autant completement rempli ses obligations d’accommodement; le seul accommodement acceptable était de permettre l’usage du tabac dans une zone a l’extérieur des bâtiments.

L’arbitre n’a pas tranché ce différend, préférant renvoyer la question aux deux parties pour qu’elles discutent encore de l’accommodement des fumeurs, en se réservant le droit d’en décider si les parties n’arrivaient pas a s’entendre.

Notre point de vue

Fait intéressant, en suspendant sa décision sur la question de l’accommodement, l’arbitre a déclaré que la question serait décidée a la lumiere de ce qu’il a appelé les « nouvelles regles » découlant de la décision de la Cour supreme du Canada dans l’affaire Meiorin, dont faisait état AU POINT dans son numéro de janvier 2000 (voir « La norme n’était pas « raisonnablement nécessaire » : l’épreuve aérobique est jugée discriminatoire, une pompiere forestiere de C.-B. triomphe » sous la rubrique « Publications »). N’ayant pas eu l’avantage de connaître cette décision, aux dires de l’arbitre, les parties avaient formulé leurs arguments en fonction de l’obligation de l’employeur d’assurer un « accommodement raisonnable » en deça de la contrainte excessive. Cependant, selon les regles énoncées dans l’affaire Meiorin et dans un arret subséquent de la Cour supreme, la norme est passé d’un « accommodement raisonnable » a « tout accommodement possible » en deça de la contrainte excessive. Reste a voir si ces regles changeront sensiblement le cours du droit en la matiere.

Les employeurs doivent également se rappeler que l’arbitre a confirmé le droit de la compagnie d’interdire l’usage du tabac au travail a la fois pour défendre ses intérets légitimes comme entreprise et pour remplir ses obligations contractuelles de promouvoir la santé et la sécurité de ses employés. Il a également signalé que la compagnie n’avait fait aucune démarche pour empecher les employés de fumer ailleurs qu’au travail, et sauf pour les fumeurs fortement dépendants susceptibles d’éprouver des symptômes graves de manque, l’interdiction n’était pas [TRADUCTION] « une ingérence déraisonnable dans la vie personnelle des employés ». Il rejetait ainsi l’argument que les employés avaient un droit de fumer au travail qui l’emportait sur d’autres considérations.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Carole Piette au (613) 940-2733.

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