La Cour d’appel accorde une injonction contre le piquetage non-violent

Quel rôle les tribunaux sont-ils censés jouer dans la réglementation du piquetage au cours d’un conflit de travail? Si les tribunaux auparavant accordaient facilement des injonctions contre le piquetage, l’approche plus récente en Ontario a été de limiter l’utilisation des injonctions aux cas ou la police ne pouvait assurer l’aide nécessaire.

L’expression législative de cette politique se retrouve au paragraphe 102(3) de la Loi sur les tribunaux judiciaires, qui prévoit que le tribunal n’accorde pas d’injonction avant [d’] « etre convaincu que des efforts raisonnables pour obtenir l’aide et la protection de la police afin de prévenir ou d’éliminer ce qui risque de causer des dommages aux biens ou des lésions aux personnes, de constituer de l’obstruction ou une entrave au libre acces des lieux visés ou de troubler la paix ont été faits en vain ».

Dans l’arret Industrial Hardwood Products (1996) Ltd. v. International Wood and Allied Workers of Canada, Local 2693, rendu le 10 janvier 2001, la Cour d’appel de l’Ontario a considéré l’application de cette disposition a une situation de faits intéressante. Il s’agissait d’une greve, en 1999, ou l’employeur avait embauché des remplaçants dont il assurait le transport par fourgonnette.

FAIBLE PRIORITÉ

Le syndicat a organisé des piquets de greve pour empecher les fourgonnettes d’entrer et de sortir. Les piqueteurs se dispersaient paisiblement lorsque la police arrivait pour escorter les fourgonnettes, mais leurs actions causaient des retards allant jusqu’a une heure a chaque fois. La compagnie avait demandé a la police d’etre présente a l’usine avant le début et la fin de journée de travail afin d’assurer le libre acces des fourgonnettes. Toutefois, la police ne pouvait fournir ce niveau d’appui, et avait indiqué qu’en raison de ses ressources limitées, les appels de l’usine ne recevaient qu’une faible priorité.

En novembre 1999, la compagnie a tenté en vain d’obtenir une injonction contre le piquetage du syndicat. En février 2000, par contre, elle a réussi a convaincre le tribunal d’interdire au syndicat de bloquer l’acces de l’usine. L’ordonnance du tribunal interdisait aussi tout piquet de greve a l’usine sauf aux fins de communiquer des renseignements, pour un maximum de cinq minutes, avec un maximum de quatre piqueteurs a chaque entrée. Le syndicat a interjeté appel.

Devant la Cour d’appel, le syndicat a soutenu que la condition préalable prévue au paragraphe 102(3) pour accorder l’injonction n’avait pas été établie, puisque la police répondait a l’appel de la compagnie a chaque fois, et réussissait a assurer l’entrée et la sortie des remplaçants. La Cour en a décidé autrement. Elle a jugé que l’interprétation de cette disposition ne devait pas empecher d’accorder une injonction dans un cas ou « [TRADUCTION] la compagnie doit subir a chaque jour le blocage de ses installations jusqu’a ce que la police arrive… ».

LA COUR D’APPEL ACCORDE L’INJONCTION

La Cour a ensuite considéré davantage l’interprétation du paragraphe 102(3). Selon la Cour, la disposition envisageait effectivement que l’employeur pourrait subir quelque inconvénient avant que la condition pour accorder l’injonction ne soit remplie :

    « [TRADUCTION] La premiere instance de l’incapacité de la police de répondre instantanément a une demande d’aide n’entraîne pas nécessairement la conclusion que l’aide de la police a échoué et qu’on peut donc avoir recours au tribunal. Sauf en cas de dommage aux biens ou de lésions corporelles, une société démocratique permet certains inconvénients qui accompagnent le droit de piqueter dans un conflit de travail avant que le tribunal n’en arrive a la conclusion que l’aide de la police a échoué. »

Pour se voir accorder une injonction, l’employeur doit montrer qu’il a fait des efforts raisonnables pour obtenir l’aide de la police et que ces efforts n’ont pas donné lieu a un degré acceptable de contrôle quant aux risques de dommages aux biens, de lésions corporelles ou d’obstruction empechant le libre acces aux lieux. En l’espece, ou le litige portait sur cette derniere question, les considérations pertinentes comprenaient le degré d’obstruction, sa durée a chaque fois et le nombre de jours qu’elle s’était produite.

La Cour a ensuite appliqué ces regles aux faits de l’affaire. Le piquet de greve comptait un nombre considérable de travailleurs depuis presque trois mois. Le piquetage était non-violent, mais il causait des retards allant jusqu’a une heure au début et a la fin de chaque journée de travail, « [TRADUCTION] beaucoup plus longtemps que raisonnablement nécessaire pour que les piqueteurs communiquent efficacement leur position aux occupants des fourgonnettes ». La compagnie avait tenté d’obtenir l’aide de la police a l’avance, mais en vain.

Vu ces facteurs, la Cour a déclaré que les efforts de la compagnie pour obtenir l’aide de la police n’avait pas produit un degré acceptable de contrôle de la situation. Elle a donc jugé que l’injonction devait etre accordée.

Notre point de vue

La Cour a renversé une partie de la décision du tribunal inférieur, qui restreignait a quatre le nombre de piqueteurs a un endroit. Le piquetage est un « [TRADUCTION] moyen d’expression collective vital et constitutionnellement valide dans les relations de travail modernes », a déclaré la Cour, qui a ajouté que l’injonction ne devrait pas aller plus loin que nécessaire pour empecher que se reproduise un préjudice avéré. Puisque le probleme ici n’était pas le nombre de piqueteurs, mais bien le temps mis par les policiers pour arriver sur place, la Cour a jugé que cet aspect de l’injonction limitait de façon déraisonnable le droit d’expression des grévistes.

L’arret est important parce qu’il énonce les criteres pour accorder une injonction contre un piquet de greve en cas de greve légale. Il précise que le piquetage pacifique a droit a une certaine protection judiciaire et que l’employeur doit etre pret a subir quelque inconvénient, mais que lorsque le piquetage entrave gravement l’acces aux lieux de travail, l’employeur peut avoir recours aux tribunaux. (Pour de plus amples renseignements sur l’attitude des tribunaux a l’égard du piquetage, voir « La Cour supreme juge que le piquetage secondaire est licite a moins de conduite fautive » sur notre page de Publications.)

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Sylvie Guilbert au (613) 563-7660, poste 256.

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