Les compressions budgétaires du gouvernement ne justifient pas la mise à pied dans le cadre d’une convention collective

Les compressions budgétaires du gouvernement sont bien connues des fonctionnaires. Un arret récent de la Cour d’appel de l’Ontario illustre bien le danger particulier que courent les employeurs qui dépendent de fonds gouvernementaux, ainsi que le soin qu’il faut apporter au libellé de la convention collective pour tenir compte des changements financiers sur lesquels l’employeur n’a aucun contrôle.

Dans l’affaire Huron (County) v. Service Employees Union, Local 210 (25 octobre 2000), 19 employés ont été mis a pied en 1993 dans deux foyers pour personnes âgées qui appartenaient a la municipalité. Les mises a pied ont eu lieu a la suite d’importantes compressions budgétaires annoncées par le gouvernement provincial et de changements législatifs dans les normes minimales applicables aux foyers de soins infirmiers.

L’ARBITRE ÉPROUVE « UNE CERTAINE SYMPATHIE » POUR L’EMPLOYEUR

Le syndicat a déposé un grief, fondé sur l’article 12.06 de la convention collective, qui définissait la mise a pied comme étant [TRADUCTION] « la discontinuation d’un poste par manque de travail ». L’employeur a répliqué en s’appuyant sur l’article 4.02, la clause relative au droit de gestion de l’employeur, en vertu de laquelle le syndicat avait reconnu le droit de l’employeur [TRADUCTION] « de décider du nombre d’employés jugé nécessaire par l’employeur en tout temps ».

L’arbitre a reconnu que l’article 4.02 donnait a l’employeur des droits importants pour administrer le milieu de travail, mais a donné raison au syndicat qui soutenait que cette disposition était sujette aux restrictions explicites dans la convention collective tel que l’article 12.06. Il a donc jugé que la question en litige était de savoir si les mises a pied résultaient effectivement d’un manque de travail.

L’employeur a soutenu que le changement dans la formule de financement lui laissait peu de choix : les mises a pied étaient la solution la plus sensée et la moins pénible, de beaucoup préférable a la fermeture d’un des foyers. L’arbitre a indiqué que s’il éprouvait [TRADUCTION] « une certaine sympathie pour le sort de l’employeur », il était limité, vu son rôle, dans ce qu’il pouvait faire pour aider l’employeur :

    « [TRADUCTION] Malgré le sentiment que j’éprouve, je ne peux perdre de vue mon rôle en tant qu’arbitre qui entend un grief, a savoir, interpréter et appliquer les dispositions de la convention collective. Je n’ai pas de pouvoir en vertu de l’equity pour dégager une partie de ses obligations aux termes de la convention collective parce que je suis d’avis que son application entraîne quelque injustice. … Ce ne sont que les parties elles-memes qui sont en mesure de faire un compromis quant a leurs droits parce qu’elles jugent qu’une application stricte ne serait pas souhaitable dans une situation donnée. »

L’arbitre a ensuite conclu que les mises a pied ne résultaient pas d’un manque de travail, et il a donc accueilli le grief du syndicat.

COUR DIVISIONNAIRE : L’INTERPRÉTATION DE L’ARBITRE COINCE L’EMPLOYEUR DANS UN CARCAN FINANCIER

La décision favorable au syndicat a été annulée a l’unanimité par un tribunal de la Cour divisionnaire. Le fait que le manque de travail résultait de l’incapacité financiere de l’employeur de payer pour le travail, plutôt que d’une réduction de la demande de places en résidence, ne rendait pas ce manque moins réel, de l’avis de la Cour.

L’interprétation de l’article 4 faite par l’arbitre constituait une restriction déraisonnable du droit de l’employeur de déterminer ses effectifs. L’article 12, aux dires de la Cour, ne faisait qu’assurer que la réduction des effectifs n’entraînerait pas une augmentation de la charge de travail. L’interprétation de l’arbitre était manifestement déraisonnable, vu l’article 4 et la situation financiere de l’employeur, et plaçait l’employeur dans un [TRADUCTION] « carcan financier ». La Cour a jugé qu’une interprétation sensée de la convention éviterait un tel résultat.

COUR D’APPEL : LE JUGEMENT DE LA COUR DIVISIONNAIRE MODIFIE LA CONVENTION COLLECTIVE

La Cour d’appel a rétabli la décision de l’arbitre. La Cour a signalé que la décision ne pouvait etre annulée que si elle était manifestement déraisonnable. Il ne suffisait pas qu’elle fusse incorrecte aux yeux de la Cour divisionnaire, le critere étant strict : elle devait etre [TRADUCTION] « clairement irrationnelle ». Or, en l’espece, l’arbitre avait donné une explication rationnelle de son interprétation et avait appliqué « [TRADUCTION] une regle reconnue d’interprétation, qu’il faut, lorsqu’on considere le contexte de la convention dans son ensemble, interpréter un pouvoir général comme étant limité par une restriction spécifique ». Il s’agissait la d’une interprétation raisonnable, qui n’était donc pas sujette a une intervention judiciaire.

La Cour d’appel est allée encore plus loin, et a critiqué l’interprétation de la Cour divisionnaire, et plus particulierement son avis sur l’effet de facteurs économiques externes sur l’interprétation de la convention :

    « [TRADUCTION] Il n’était pas loisible a l’arbitre, ni d’ailleurs a la Cour divisionnaire, de refaire l’entente négociée entre les parties en se fondant sur la ‘réalité de la situation économique de l’employeur’. Un des buts d’un contrat est d’allouer les risques liés aux éventualités économiques. »

L’arbitre était conscient des facteurs économiques a l’oeuvre en l’espece, a déclaré la Cour d’appel, et plutôt que de les négliger, il avait conclu qu’en vertu de la convention, il revenait a l’employeur et non au syndicat d’assumer le risque des compressions financieres.

Notre point de vue

Comme nous l’avons indiqué, la Cour d’appel a fait plus que simplement déclarer que la décision de l’arbitre n’était pas manifestement déraisonnable. Elle a rappelé a la Cour divisionnaire que le fait que les événements rendent une situation défavorable pour une partie a un contrat ne constitue pas un motif suffisant pour modifier le contrat, a moins que les deux parties n’y consentent. A la lumiere de cet arret, et vu la « réalité » des compressions budgétaires, les employeurs du secteur public ont intéret a vérifier le libellé de leurs conventions collectives pour s’assurer que les mises a pied ne sont pas définies de façon restrictive comme résultant d’un manque de travail.

Le 21 juin 2001, la Cour supreme du Canada a rejeté la requete pour interjeter appel de la décision.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Carole Piette au (613) 563-7660, poste 227.

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