Droit de négociation ou droit à la vie privée : la CRTO ordonne au conseil scolaire de communiquer au syndicat les adresses et numéros de téléphone à domicile des employés

Qu’arrive-t-il lorsque la demande du syndicat pour obtenir des renseignements au sujet des membres qu’il représente semble entrer en conflit avec les obligations de l’employeur en vertu d’une loi provinciale sur le respect de la vie privée ? La Commission des relations de travail de l’Ontario a du récemment répondre a cette question dans sa décision intitulée Ottawa-Carleton District School Board v. Ontario Secondary School Teachers’ Federation District 25 (25 novembre 2001).

Le syndicat avait demandé les noms, adresses et numéros de téléphone a domicile de quelque 750 employés dans l’unité de négociation; le syndicat alléguait qu’il éprouvait de la difficulté a communiquer avec ses membres et qu’il avait besoin de ces renseignements pour bien représenter ses membres. L’employeur a refusé, en invoquant les dispositions sur la vie privée dans la Loi sur l’acces a l’information municipale et la protection de la vie privée (LAIMPVP), une loi qui liait l’employeur. Le syndicat a présenté une requete a la Commission des relations de travail de l’Ontario et allégué que le refus de l’employeur constituait une pratique déloyale aux termes de la Loi sur les relations de travail.

La Commission avait déja rendu des décisions qui entérinait le droit du syndicat a ce type de renseignements. Dans une de ces décisions, The Millcroft Inn Limited, la Commission avait souligné qu’en tant qu’agent des employés, chargé de défendre une large gamme des intérets juridiques de ceux-ci, le syndicat avait le droit d’obtenir des instructions completes de ses membres afin de bien les représenter. Cela exigeait que le syndicat puisse communiquer sans peine avec ses membres.

L’employeur avait soulevé entre autres arguments dans l’affaire Millcroft Inn la défense du droit a la vie privée de ses employés comme motif pour refuser la demande du syndicat. La Commission n’a pas retenu l’argument et a signalé qu’en tant que partenaire égal dans la négociation avec le syndicat, l’employeur n’était pas en meilleure posture que le syndicat par rapport aux employés. Dans la mesure ou la vie privée des employés était déja compromise du fait que l’employeur avait acces a leurs adresses et numéros de téléphone, il n’y avait aucune raison que le syndicat n’ait pas également acces a ces renseignements.

REFUS DE DIVULGUER EN VERTU DE LA LAIMPVP

Dans l’affaire Ottawa-Carleton District School Board, toutefois, la question de la vie privée des employés prenait une autre allure. Le conseil scolaire était lié par la LAIMPVP, une loi qui oblige l’employeur a refuser de divulguer des renseignements personnels dont il a la garde, mises a part quelques exceptions.

Dans son refus de divulguer les renseignements demandés par le syndicat, le conseil scolaire se rangeait a une décision rendue en vertu de la LAIMPVP par le Commissaire a l’information et a la protection de la vie privée, ou celui-ci avait confirmé le refus d’un autre conseil scolaire de divulguer les numéros de téléphone des employés au syndicat. Le Commissaire avait jugé que le statut du syndicat a titre d’agent négociateur n’était pas pertinent pour décider si les renseignements devraient etre divulgués. Apres avoir observé qu’en vertu de la LAIMPVP, une divulgation au syndicat équivalait a une divulgation publique, le Commissaire avait déclaré que les numéros de téléphone a domicile des employés ne devraient pas etre divulgués au syndicat.

« UNE CONSÉQUENCE NÉCESSAIRE D’UN DROIT EXCLUSIF DE NÉGOCIATION »

La Commission a refusé d’adopter le point de vue du Commissaire a la vie privée, et a signalé qu’au contraire, le statut du syndicat en tant qu’agent négociateur pour les employés était tres pertinent pour décider si le syndicat devrait avoir acces aux renseignements personnels des employés. Privé de ces renseignements, selon la Commission, le syndicat serait beaucoup moins en mesure de remplir son rôle.

Comment le syndicat pouvait-il tenir des votes de greve et de ratification, de s’interroger la Commission, s’il ne pouvait communiquer de façon efficace avec les employés en-dehors du milieu de travail ? La Commission a reconnu qu’il était difficile pour l’employeur de concilier les opinions de la Commission dans l’affaire Millcroft Inn, d’une part, et les vues du Commissaire a la vie privée, d’autre part; la Commission a ainsi critiqué la position du Commissaire :

    « [TRADUCTION] D’un point de vue des relations de travail, la position adoptée par le Commissaire a la vie privée pose de sérieux problemes. Lorsqu’un syndicat obtient le droit exclusif de négocier au nom d’un groupe d’employés en étant accrédité par la Commission, il devient le porte-parole des employés. … Il établit une relation de mandataire par rapport aux employés, ce qui entraîne de sérieuses obligations en vertu de la loi de les représenter équitablement … . Le syndicat doit pouvoir représenter tous les employés de l’unité de négociation. Dans la mesure ou certains droits individuels a la vie privée doivent céder a cet intéret, il s’agit d’une conséquence nécessaire du droit exclusif du syndicat de négocier et des obligations qu’il assume au nom des employés. »

La Commission a fait remarquer que le syndicat doit avoir acces, dans le cours normal de ses activités, aux renseignements personnels des employés tels que les conditions et modalités d’emploi des membres de l’unité de négociation, et, dans les cas de griefs relatifs aux postes affichés, aux appréciations morales et aux évaluations personnelles des employés. Pourtant, la divulgation de ce type de renseignement personnel est réputée une ingérence injustifiée dans la vie privée aux termes de la LAIMPVP, et ne pourrait ordinairement etre faite en vertu de cette loi. Par conséquent, selon la Commission, la non-divulgation des adresses et numéros de téléphone des employés paraissait d’autant moins justifiée, ces renseignements étant beaucoup moins délicats sur le plan de la vie privée.

La Commission a donc accueilli la requete du syndicat et ordonné a l’employeur de fournir les renseignements demandés par le syndicat.

Notre point de vue

Dans sa décision, la Commission a noté que le refus de l’employeur n’était pas motivé par une volonté d’entraver les activités syndicales, mais bien par une croyance de bonne foi qu’il défendait la vie privée de ses employés. Néanmoins, l’intention n’est pas un facteur qui joue lorsqu’il faut déterminer si l’employeur a commis une pratique déloyale. Il s’agit plutôt de mettre dans la balance l’objectif d’entreprise de l’employeur qui sous-tend son action et l’effet de cette action sur l’activité syndicale protégée par la loi sur les relations de travail. En l’espece, malgré la bonne foi de l’employeur, son refus de divulguer les renseignements n’avait pas d’objectif d’affaires qui l’emportait sur le préjudice causé aux droits du syndicat.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Carole Piette au (613) 563-7660, poste 227.

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