La Cour d’appel de la Colombie-Britannique confirme la validité des dispositions législatives obligeant les enseignants à subir un examen psychiatrique

Dans une décision rendue le 19 février 2003, une majorité de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a maintenu la constitutionnalité des dispositions du School Act de Colombie-Britannique, en vertu desquelles on peut obliger un enseignant a subir un examen psychiatrique sous peine d’etre congédié. La fédération des enseignants de Colombie-Britannique avait contesté ces dispositions en vertu des articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui prévoient :

  1. Chacun a droit a la vie, a la liberté et a la sécurité de sa personne; il ne peut etre porté atteinte a ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.
  2. Chacun a droit a la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

Dans cette affaire, B.C. Teachers’ Federation v. Board of School Trustees of School District No 39 (Vancouver), une enseignante aux adultes et aux éleves âgés de 16 a 19 ans avait été congédiée apres six ans et demi de service. A l’insu du conseil scolaire, l’enseignante s’était lourdement endettée en 1998. Cette situation avait entraîné des troubles de comportement tels un manque d’assiduité, l’omission de fournir un numéro de téléphone ou une adresse postale ou la joindre, des retards dans la préparation des feuilles de présence, et une correspondance [TRADUCTION] « inusitée » avec le conseil, dans laquelle elle prétendait que le conseil avait fourni des renseignements personnels a son sujet a des personnes qui la poursuivaient.

Ayant reçu un avis du médecin de l’école a l’effet que l’enseignante souffrait peut-etre de troubles physiques, mentaux ou émotifs, le conseil a invoqué son pouvoir aux termes du School Act pour obliger l’enseignante a subir un examen psychiatrique et a fournir au conseil un certificat du psychiatre dans un délai de quatorze jours, a défaut de quoi elle risquait d’etre congédiée. L’enseignante a refusé de se soumettre a un examen psychiatrique, et le conseil l’a congédiée.

Le syndicat a déposé un grief contre le congédiement, et a soulevé la question de la constitutionnalité des dispositions pertinentes du School Act dans une motion préliminaire. L’arbitre a jugé que la loi n’enfreignait pas la Charte; le syndicat a interjeté appel de la décision a la Cour d’appel.

LA COUR D’APPEL : AUCUNE VIOLATION DE LA CHARTE

La majorité d’une formation de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a noté que les responsables des établissements d’enseignement [TRADUCTION] « ont le devoir d’assurer un environnement positif parce que l’enseignement remplit une fonction tellement importante dans notre société », et a rejeté l’appel du syndicat. La Cour a abordé en premier lieu l’article 8 de la Charte, et s’est interrogée sur la qualification de fouille ou de saisie d’un examen psychiatrique :

    [TRADUCTION] « … Je ne suis pas d’avis que ce qui était exigé de l’employée s’inscrivait dans les parametres de l’article 8 de la Charte. L’enseignante devait simplement consulter un psychiatre qui aurait ensuite remis un rapport au conseil faisant état de ses conclusions quant a la santé mentale ou émotive de l’enseignante… . Il ne me paraît pas évident de qualifier une consultation psychiatrique de « fouille », et je ne vois pas comment on pourrait dire qu’il y aurait une « saisie » dans de telles circonstances. [D’autres situations ou l’on a constaté une violation de l’article 8] mettant en cause la perquisition ou la surveillance d’un lieu, la saisie de documents ou la prise d’échantillons sanguins me paraissent bien éloignées des faits de l’espece. A mon avis, les affaires qui traitent de telles questions sont tellement différentes quant aux faits qu’elles ne me paraissent pas applicables a l’espece. »

En outre, d’ajouter la Cour, l’affaire se distinguait d’autres affaires mettant en cause l’article 8 parce qu’aucune peine criminelle ou civile ne pouvait etre imposée; la seule conséquence était la perte d’emploi, ce qui d’apres la Cour était une conséquence corrective et non pénale.

La Cour a par ailleurs rejeté la contestation fondée sur l’article 7 au motif que le différend surgissait dans un contexte d’emploi :

    [TRADUCTION] « La question en litige ne souleve, a mon avis, aucun droit relatif a la vie, a la liberté ou a la sécurité de la personne qui permettrait d’appliquer l’article 7 de la Charte… . Puisque, selon moi, la question en l’espece touche une relation d’emploi particuliere, et une question connexe de santé, je ne crois pas qu’il convient d’invoquer l’article 7 de la Charte. Je n’arrive pas a voir ici une ingérence de l’État dans la vie ou la sécurité de la personne a laquelle l’article 7 devrait s’appliquer. »

DISSIDENCE : L’EXAMEN PSYCHIATRIQUE EST UNE « FOUILLE ABUSIVE »

La juge dissidente a souligné que le droit relatif a l’article 8 de la Charte a évolué, et que le droit reconnaît que des atteintes a l’intégrité corporelle, par exemple le prélevement d’échantillons sanguins, peut constituer une fouille. D’apres elle, il n’y avait aucune raison de refuser d’étendre l’article 8 a l’imposition d’un examen psychiatrique :

    [TRADUCTION] « Y a-t-il une différence, en principe, entre le degré de protection de la vie privée qu’une personne peut raisonnablement attendre en cas d’atteinte a l’intégrité physique au moyen, par exemple, de fouilles a nu, de fouilles des cavités corporelles, du prélevement d’échantillons de sang ou d’autres fluides corporels, et celui qui devrait etre accordé en cas d’atteinte a l’intégrité psychologique pour obtenir des renseignements liés a ses pensées et sentiments les plus intimes? … A mon avis, les gens ont au moins autant intéret a protéger leur intégrité psychologique contre l’ingérence de l’État qu’a préserver leur intégrité physique. En fait, se soumettre a un examen sanguin ou fournir un échantillon de cheveux pour un test d’ADN pourrait etre considéré comme une atteinte beaucoup moindre que de subir un examen psychiatrique administré par un psychiatre désigné par l’État. »

Ayant conclu que l’examen constituait une « fouille », la juge dissidente a jugé que les dispositions de la Loi qui autorisaient l’examen étaient déficientes, du fait qu’elles ne fournissaient pas de criteres clairs et précis sur lesquels fonder la décision d’obliger l’enseignante a se soumettre a l’examen. Si la Loi avait précisé que l’examen devait avoir lieu seulement si l’on avait déterminé que l’état d’esprit ou la conduite de l’enseignant posait un risque réel pour les éleves, le juge aurait jugé que la fouille exigée par la Loi n’était pas abusive.

Le juge dissident a également statué que la Loi violait l’article 7 de la Charte, puisqu’elle obligeait l’enseignante a choisir entre sacrifier la protection de sa vie privée ou perdre son emploi. L’atteinte au droit a la vie privée équivalait a une atteinte a la liberté :

    [TRADUCTION] « L’enseignante a établi a ma satisfaction que son droit a la liberté, au sens de l’article 7, était en jeu dans les circonstances. Je suis également convaincue que … l’État a porté atteinte au droit a la liberté de l’enseignante en l’obligeant a renoncer a son droit a l’intégrité personnelle et psychologique sous peine de perdre son moyen de subsistance.»

Notre point de vue

La Loi sur l’éducation de l’Ontario n’autorise pas expressément un conseil scolaire a exiger d’un employé qu’il se soumette a un examen médical sous peine de congédiement. Elle autorise toutefois le directeur d’école a « refuser d’admettre dans une classe ou a l’école la personne dont la présence dans cette classe ou a l’école pourrait, a son avis, nuire au bien-etre physique ou mental des éleves ».

Bien qu’il soit possible d’envisager une contestation en vertu de la Charte a l’encontre d’un ordre d’un conseil scolaire qui exigerait d’un enseignant qu’il se soumette a un examen médical sous peine de congédiement, la Cour dans l’affaire B.C. Teachers’ Federation a reconnu le [TRADUCTION] « caractere raisonnable » des demandes d’ordre médical dans certains milieux de travail – y compris l’enseignement – lorsque la situation mérite un examen plus approfondi. Par conséquent, cette décision sera utile au conseils scolaires qui demandent des documents médicaux de leurs employés, que la demande soit faite en vertu de la convention collective, d’une loi sur l’éducation ou d’une autre loi relative a l’emploi.

Le syndicat étudie la possibilité d’interjeter appel a la Cour supreme du Canada. Nous tiendrons nos lecteurs au courant de l’évolution du dossier.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec André Champagne au (613) 940-2735.

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