Refus d’accorder des dommages-intérêts punitifs et exemplaires à un employé à qui on a refusé des prestations d’invalidité

Encore une fois, on a soulevé devant un tribunal le problème complexe des dommages-intérêts pour souffrance morale due au congédiement. Nous avons fait état de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Wallace c. United Grain Growers Ltd., où la Cour suprême a maintenu le jugement selon lequel ces dommages-intérêts doivent découler d’un tort ouvrant droit à une poursuite, c’est-à-dire, un tort qui en lui-même, indépendamment de toute cause première de l’action, peut donner lieu à une action en justice (voir « Équitablement, raisonnablement et décemment » : la Cour suprême juge que les employeurs doivent traiter avec bonne foi les employés qu’ils congédient » sous la rubrique « Publications »). Cette position vient d’être reprise par la Cour d’appel de l’Ontario, qui casse une décision de première instance accordant des dommages-intérêts à la fois exemplaires et punitifs.

Dans l’affaire Beaird v. Westinghouse Canada Inc. (29 mars 1999), un employé avait été congédié deux ans et demi après un accident de travail. Avant et après son congédiement, M. Beaird avait tenté de réintégrer la compagnie Westinghouse, mais il a finalement changé d’idée, exigeant plutôt que Westinghouse lui verse des prestations d’invalidité à long terme, pour le motif qu’il était handicapé de façon permanente au moment de son congédiement.

Le régime d’invalidité de Westinghouse prévoyait que la compagnie verserait des prestations d’invalidité à court terme pendant les deux premières années d’absence si l’employé ne pouvait exécuter ses fonctions normales. Après cette période l’assureur, Mutual Life, était obligé de verser des prestations si l’employé était incapable d’occuper un poste rémunérateur pour lequel il était raisonnablement qualifié. Puisque le congédiement de M. Beaird avait eu lieu plus de deux ans après son accident, le litige portait sur son droit aux prestations versées par Mutual Life.

PREMIÈRE INSTANCE : LA SOUFFRANCE MORALE EST UNE CONSÉQUENCE PRÉVISIBLE DES ACTIONS DE L’EMPLOYEUR

Au moment du procès, Mutual Life avait déjà réglé et reconnu sa responsabilité de payer à M. Beaird des prestations d’invalidité à long terme, et M. Beaird avait laissé tomber sa demande pour une déclaration de congédiement injustifié. Il restait néanmoins certaines questions à régler, notamment, sa demande de dommages-intérêts exemplaires et punitifs, parce que Westinghouse n’avait pas fait la demande en son nom auprès de Mutual Life pour obtenir des prestations d’invalidité à long terme.

Westinghouse a soutenu qu’elle n’avait pas présenté de demande parce qu’elle croyait que M. Beaird était apte à occuper un poste rémunérateur. Le tribunal a jugé que même si cette croyance pouvait être compréhensible, elle était erronée, et qu’en persistant à ne pas présenter de demande à Mutual Life, Westinghouse avait commis une faute à l’endroit de M. Beaird et devait donc l’indemniser des conséquences prévisibles de ses actions.

Le tribunal a jugé que la souffrance morale de M. Beaird résultait directement du refus de Westinghouse de se charger de sa réclamation, et lui a accordé des dommages-intérêts exemplaires de 15 000$. Il a ensuite ajouté 32 000$ en dommages-intérêts punitifs, jugeant que Westinghouse, même si ses motifs n’avaient pas été malveillants, avait agi de façon de plus en plus répréhensible en ne tenant pas compte de ses propres rapports médicaux qui indiquaient que M. Beaird était devenu handicapé de façon permanente. Westinghouse a interjeté appel des deux sommes de dommages-intérêts.

COUR D’APPEL : AUCUN TORT INDÉPENDANT DONNANT MATIÈRE À POURSUITE

La Cour d’appel a jugé que le tribunal avait fait erreur en déclarant qu’on pouvait accorder des dommages-intérêts pour souffrance morale si celle-ci constituait une conséquence prévisible d’un congédiement injustifié. Ces dommages-intérêts pour souffrance morale n’étaient possibles que s’ils découlaient d’un tort distinct, ouvrant droit à une poursuite.

Avant le procès en première instance, M. Beaird avait mis fin à sa poursuite pour congédiement injustifié, mais avait maintenu sa prétention que Westinghouse n’avait pas rempli son devoir en n’appuyant pas son droit aux prestations. Cette non-exécution d’une obligation était devenue la cause première devant le juge de première instance, cause dont l’élément compensatoire était réglé dès lors que Mutual Life reconnaissait sa responsabilité. Selon la Cour d’appel,

[TRADUCTION] « il n’y avait qu’une cause d’action, le fait de ne pas reconnaître et appuyer la réclamation [de M. Beaird] pour des prestations d’invalidité à long terme. Je ne suis pas sûr qu’une telle cause d’action soit admise, mais le cas échéant, il faut trouver un tort additionnel ouvrant droit à une action pour justifier la demande de dommages-intérêts exemplaires ».

Même si l’on acceptait que la nouvelle action de M. Beaird contre Westinghouse était encore viable, alors que Mutual Life avait déjà réglé, il était clair qu’il n’existait aucune autre action en justice qui justifierait des dommages-intérêts exemplaires.

Pour accorder des dommages-intérêts punitifs, a déclaré la Cour, il faut également conclure à un tort distinct et ouvrant droit à une poursuite, infligé au plaignant. Ce type de dommages-intérêts vise à punir; ils ne sont pas imposés simplement parce que le tribunal désapprouve des actions du défendeur. Il faut plutôt que la conduite soit suffisamment [TRADUCTION] « dure, vindicative, répréhensible et malveillante » pour que ces dommages-intérêts soient accordés. Or, en l’occurrence, a jugé la Cour, le tribunal n’avait même pas tenté de conclure que Westinghouse avait agi de cette façon.

Notre point de vue

La jurisprudence établit clairement que les poursuites pour congédiement injustifié se limitent au préjudice qui découle de l’absence d’un préavis raisonnable, hormis un tort distinct et donnant matière à poursuite, telle le libelle diffamatoire. La période de préavis peut toutefois être allongée en raison d’un traitement impitoyable au moment du congédiement.

La Cour n’avait pas à décider ici si le fait d’avoir abusivement négligé de présenter la demande de prestations d’un employé congédié constituait un tel tort distinct ouvrant droit à une action, puisque cette négligence était l’objet même du litige, et non une question distincte. Il convient toutefois de souligner que la Cour a jugé, dans une autre décision, que dans le cas d’une poursuite en dommages-intérêts pour pertes encourues dans le cadre d’une police d’assurance, la prétention que l’assureur a agi de mauvaise foi dans le traitement de la réclamation constitue cette fois un tort distinct pouvant faire l’objet d’une poursuite.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Carole Piette au (613) 563-7660, poste 227.

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