« Stéréotypes inadmissibles » : La Cour d’appel maintient la décision que la disposition sur l’indemnité de départ dans la LNE est inconstitutionnelle

Dans une décision rendue le 4 mai 2005, la Cour d’appel de l’Ontario a maintenu une décision de la Cour divisionnaire de l’Ontario à l’effet qu’une disposition de la Loi sur les normes d’emploi qui privait les employés gravement handicapés de leurs droits à une indemnité de départ était contraire aux droits à l’égalité garantis par la Charte canadienne des droits et libertés (voir « Une question de dignité : la disposition sur l’indemnité de départ dans la LNE est inconstitutionnelle, selon un tribunal ontarien »). La disposition en cause était l’alinéa 58(5)c) de la Loi, qui prévoyait que l’indemnité de départ n’était pas due à un employé absent en raison d’une maladie ou d’une lésion, si l’exécution du contrat de travail était « devenue impossible en raison de cette maladie ou de cette lésion ».

L’affaire Ontario Nurses’ Association v. Mount Sinai Hospital avait trait au grief d’une infirmière de l’Unité des soins intensifs aux nouveau-nés qui avait été licenciée après 13 ans de service. L’infirmière avait cessé de travailler en janvier 1996 et on avait mis fin à son emploi en juin 1998. L’hôpital, invoquant l’alinéa 58(5)c), avait refusé de lui verser l’indemnité de départ prévue par la Loi et l’infirmière avait logé un grief contre ce refus. Le syndicat a perdu en arbitrage mais a eu gain de cause devant la Cour divisionnaire, qui a annulé la sentence arbitrale.

La Cour divisionnaire a appliqué le critère de discrimination énoncé dans l’arrêt de la Cour suprême Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration). L’arrêt Law établit qu’il y a trois questions à considérer pour déterminer si les droits à l’égalité d’un demandeur ont été violés. Ces questions sont les suivantes :

  1. La loi contestée (a) établit-elle une distinction formelle entre le demandeur et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou (b) omet-elle de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre le demandeur et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles?
  2. Le demandeur fait-il l’objet d’une différence de traitement fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues aux termes du paragraphe 15(1) de la Charte?
  3. La différence de traitement est-elle discriminatoire en ce qu’elle impose un fardeau au demandeur ou le prive d’un avantage d’une manière qui soit dénote une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou collectives, soit a pour effet de perpétuer ou de promouvoir l’opinion que la personne touchée est moins capable ou est moins digne d’être reconnue ou valorisée en tant qu’être humain ou que membre de la société canadienne méritant le même intérêt, le même respect et la même considération?

La majorité du conseil arbitral avait jugé que les deux premières conditions du critère étaient remplies, mais non la troisième. Le conseil arbitral avait jugé que l’alinéa 58(5)c) ne privait pas tous les employés handicapés de l’indemnité de départ, mais seulement ceux dont le contrat de travail avait été rendu inexécutable. Puisque l’avantage de l’indemnité était refusé non pas en raison d’un handicap mais en raison de la non-exécution du contrat, il n’y avait pas violation du paragraphe 15(1) de la Charte.

La Cour divisionnaire n’était pas d’accord, et a statué que le traitement différentiel se fondait non pas uniquement sur l’inexécution du contrat, mais en dernière analyse sur le handicap. La Cour a statué que la disposition excluait « [TRADUCTION] justement le groupe le plus défavorisé, puisqu’il est composé uniquement d’employés si gravement handicapés qu’ils ne peuvent continuer dans leur emploi actuel ».

OBJET DE LA DISPOSITION

Devant la Cour d’appel, les parties n’étaient pas d’accord sur l’objet de l’alinéa 58(5)c). L’employeur a soutenu que l’objet principal de l’indemnité de départ est prospectif, c’est-à-dire que l’indemnité de départ vise à compenser les employés pour les pertes en capital futures alors qu’ils cherchent un nouvel emploi. Ces « [traduction] pertes en capital » incluent l’ancienneté, les avantages sociaux et les compétences particulières à un emploi qui s’accumulent avec le service et qui ne peuvent être transférées dans un nouveau milieu de travail. Puisque les employés dont le contrat a été rendu inexécutable en raison d’une maladie ou d’une lésion ne sont pas susceptibles de réintégrer le marché du travail, il n’est pas discriminatoire de leur refuser l’indemnité de départ.

L’employeur s’est appuyé sur l’arrêt de 2002 de la Cour suprême du Canada, Gosselin c. Québec, où la Cour suprême a affirmé la constitutionnalité d’un règlement provincial qui prévoyait la réduction des prestations d’assurance sociale aux personnes de moins de 30 ans qui ne participaient pas à divers programmes de travail. Dans l’arrêt Gosselin, la Cour suprême a statué que l’objet du règlement contesté n’était ni stéréotypé ni arbitraire, mais correspondait plutôt aux besoins et circonstances réelles des personnes de moins de 30 ans. La Cour a en outre jugé que bien que les postulats du programme ne correspondaient pas exactement à la situation de toutes les personnes de moins de 30 ans, une loi n’avait pas à correspondre exactement à la réalité sociale pour être conforme aux dispositions sur l’égalité de la Charte. Le législateur a le droit d’agir en se fondant sur des présomptions générales sans contrevenir pour autant à l’article 15 de la Charte, pourvu que ces présomptions ne soient pas fondées sur des stéréotypes arbitraires et dégradants.

Le syndicat a soutenu que le but de l’indemnité de départ est plutôt rétrospectif, c’est-à-dire que l’indemnité de départ vise à compenser un employé de longue date de ses années de service et de son investissement dans l’entreprise de l’employeur. Les employés dont le contrat a été rendu inexécutable en raison d’une maladie ou d’une lésion ont contribué tout autant que les employés qui eux ont droit à l’indemnité de départ. Par conséquent, le refus de verser l’indemnité de départ à de tels employés constitue de la discrimination.

COUR D’APPEL : IL N’EST PAS VRAI QU’UNE PERSONNE GRAVEMENT HANDICAPÉE NE TRAVAILLERA PLUS JAMAIS

La Cour d’appel a jugé que l’employeur avait tort de s’appuyer sur l’arrêt Gosselin parce que dans cet arrêt, la Cour avait conclu que les personnes de moins de 30 ans ne souffrent pas d’une stigmatisation fondée sur l’âge. Par contraste, en l’espèce, la présomption sous-jacente au traitement différentiel prévu à l’alinéa 58(5)c) se fondait sur le stéréotype que les personnes qui ont des déficiences graves et prolongées ne peuvent revenir sur le marché du travail :

    « [traduction] L’arrêt Gosselin n’est d’aucun secours à l’appelant en l’espèce. Le législateur ne peut traiter les employés dont le contrat a été rendu inexécutable en raison d’un handicap comme étant dans la même situation que les employés qui ne travailleront plus jamais, parce que cette présomption se fonde sur un stéréotype inadmissible qu’une personne handicapée ne peut pleinement participer dans le marché du travail. Même s’il s’agissait d’un cas où une présomption générale est permise, l’argument de l’employeur échouerait quand même parce que la généralisation à l’effet que les personnes dont l’emploi a été rendu impossible en raison d’un handicap sont susceptibles de ne plus jamais participer au marché du travail n’est pas vraie. »

La généralisation n’est pas vraie, a déclaré la Cour, parce que si les employés qui ont des handicaps graves et prolongés peuvent être incapables d’être employés dans un lieu de travail, il se peut qu’ils puissent trouver un emploi dans un autre lieu de travail en raison de la différence des conditions de travail, de la gamme de postes offerts ou d’une capacité accrue de la part d’un employeur de composer avec des absences prolongées. En outre, la situation d’une personne handicapée peut changer et elle peut être capable de travailler de nouveau malgré l’inexécution du contrat de travail avec l’employeur qui l’a licenciée. En fait, la plaignante en l’espèce a trouvé un autre emploi après son licenciement par l’hôpital.

La Cour a noté que même si la disposition était compatible avec l’idée de compenser un employé qui reste sur le marché du travail pour la perte en capital prospective, elle n’était pas compatible avec l’autre objet de l’indemnité de départ, soit la compensation de l’employé pour sa contribution passée à l’entreprise de l’employeur. La Cour a noté que l’alinéa 58(5)d) prévoyait le versement de l’indemnité de départ aux employés qui décèdent avant de recevoir leur avis de licenciement, ce qui démontre la nature compensatoire et rétrospective des dispositions sur l’indemnité de départ.

LA LIMITE N’EST PAS RAISONNABLE

La Cour a poursuivi en déclarant que la disposition ne pouvait être maintenue comme limite raisonnable aux droits d’égalité parce qu’il n’y avait aucun lien rationnel entre l’objectif d’accorder l’indemnité de départ aux employés qui réintégreront le marché du travail et le refus de verser une indemnité à ceux dont le contrat a été rendu inexécutable en raison d’une maladie ou d’une lésion. La généralisation qui prétendait établir le lien rationnel reflétait plutôt la présomption stéréotypée au sujet de « [traduction] l’adaptabilité, le zèle et l’engagement » de l’employé handicapé.

Enfin, a déclaré la Cour, l’alinéa 58(5)c) ne représente pas une ingérence minimale dans les droits garantis par la Charte. Bien qu’un des objets de l’indemnité de départ soit d’aider les employés à réintégrer le marché du travail, le paragraphe 58(5)c) refuse l’avantage de l’indemnité de départ à toutes les personnes dont le contrat de travail a été rendu inexécutable en raison d’une invalidité, sans égard à leurs efforts éventuels pour réintégrer le marché du travail.

Par conséquent, la Cour a rejeté l’appel de l’employeur et a déclaré l’alinéa 58(5)c) inconstitutionnel et sans effet.

Notre point de vue

Comme nous l’avions noté dans notre article sur le jugement de la Cour divisionnaire, cet arrêt a trait à l’ancienne Loi sur les normes d’emploi. En vertu de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi, les dispositions qui prévoient le non-versement de l’indemnité de départ aux employés dont le contrat est rendu inexécutable en raison d’un handicap se trouvent au règlement 288/01, article 9 :

    « [traduction]

    9.  (1)  Les employés suivants sont prescrits aux fins du paragraphe 64 (3) de la Loi comme étant des employés qui n’ont pas droit à l’indemnité de départ en vertu de l’article 64 de la Loi :

    2. Sous réserve du paragraphe (2), un employé dont le contrat de travail est devenu ou a été rendu inexécutable.

    (2)  L’alinéa 2 du paragraphe (1) ne s’applique pas si,

     b) l’impossibilité d’exécuter ou l’inexécution résulte d’une maladie ou d’une lésion subie par l’employé, et le Code des droits de la personne interdit de mettre fin à l’emploi. »

Bien que cette disposition diffère de la disposition antérieure en ce qu’elle protège les employés dont l’emploi a été terminé contrairement aux dispositions du Code des droits de la personne, il n’est pas clair que cette distinction mettrait la disposition à l’abri d’un contrôle constitutionnel. La Cour a signalé que bien qu’il puisse être impossible en vertu du Code pour un employeur d’accommoder un employé handicapé en raison de la gamme de positions que l’employeur peut offrir, les conditions de travail ou la capacité de l’employeur de composer avec des absences prolongées, il est possible qu’un autre employeur puisse le faire. Par ailleurs, la Cour a noté qu’un employé dont l’emploi est rendu impossible en raison d’un handicap pourrait trouver du travail à l’avenir grâce à un recyclage, à de nouvelles technologies d’aide ou parce qu’il se remet de sa maladie ou de sa lésion. Selon ce raisonnement, même si un employé handicapé est licencié conformément aux dispositions du Code, un règlement qui refuse l’indemnité de départ à un tel employé pourrait encore être contraire aux droits à l’égalité en vertu de la Charte.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Sébastien Huard au (613) 940-2744.

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