Les employés doivent considérer impartiales les personnes compétentes nommées en vertu du Code canadien du travail

Les lecteurs d’Au Point se souviendront qu’en vertu du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (le « Règlement ») pris en application du Code canadien du travail, lorsqu’une plainte de violence au travail ne peut pas être réglée de façon informelle avec l’employé plaignant, l’employeur est tenu de nommer une « personne compétente » chargée d’enquêter sur la plainte. L’article 20.9 du Règlement définit une « personne compétente » notamment comme une personne qui « est impartiale et est considérée comme telle par les parties » (soulignement ajouté). Dans une décision récente, le Tribunal de santé et sécurité au travail Canada (le « Tribunal ») a conclu que cette exigence signifie que l’employé plaignant et l’employé qui se serait livré à un acte de violence au travail doivent convenir que l’enquêteur proposé est impartial.

Dans Association des employeurs maritimes c. Syndicat des débardeurs, Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), section locale 375 (septembre 2016), le Tribunal était saisi de la question de savoir si l’employeur avait contrevenu à son obligation de nommer une personne compétente chargée d’enquêter sur une plainte de violence au travail en raison du fait que l’employé qui avait déposé la plainte a exprimé son désaccord au sujet de l’impartialité de l’enquêteur nommé par son employeur. L’employeur a soutenu qu’il incombait à l’employé de fournir les motifs justifiant son allégation de partialité. L’employeur a affirmé qu’en l’absence d’une telle exigence, un employé pourrait être en désaccord avec le choix d’enquêteur de l’employeur pour des raisons inappropriées, comme des considérations discriminatoires ou sexistes, ou simplement pour faire obstacle à l’enquête.

Le Tribunal a rejeté la position de l’employeur au motif qu’elle était incompatible avec le libellé clair de l’article 20.9 du Règlement. Le Tribunal était d’avis qu’il était incontestable que le libellé de l’alinéa a) de l’article 20.9 « évoque une notion subjective de l’impartialité et s’en remet à la perception des parties en cause ». Selon le Tribunal, les termes utilisés dans le Règlement indiquent clairement que ce qui est requis, c’est que les parties à une plainte s’entendent pour dire que la personne proposée par l’employeur comme enquêteur est impartiale. Le Tribunal a rejeté la prétention de l’employeur selon laquelle les employés qui contestent l’impartialité d’un enquêteur proposé sont tenus d’étayer ou de justifier leur allégation. Le Tribunal était d’avis que cette approche ajouterait au Règlement une condition de fond qui ne s’y trouve pas à la lumière du libellé de la disposition. Le Tribunal a conclu que le désaccord de l’employé quant à l’impartialité de l’enquêteur proposé suffit pour empêcher l’employeur de mener l’enquête à l’aide de cet enquêteur.

Le Tribunal a ensuite analysé l’argument de l’employeur selon lequel si on omet d’exiger de l’employé qu’il justifie son désaccord, l’employé peut agir de façon arbitraire ou pour des raisons inappropriées. Le Tribunal a déclaré ce qui suit :

Il est un principe de droit que personne ne peut abuser de ses droits. Une telle approche abusive ou discriminatoire n’a bien sûr pas sa place et pourrait selon moi être sanctionnée par des mesures disciplinaires ou interprétée comme une renonciation aux droits que confère aux parties le paragraphe 20.9(3) du Règlement.

Par conséquent, le Tribunal a rejeté l’appel interjeté par l’employeur.

 

À notre avis

Les lecteurs d’Au Point se souviendront que la nomination d’une « personne compétente » aux fins de l’enquête sur des plaintes de violence au travail en vertu du Code canadien du travail a récemment été examinée par la Cour d’appel fédérale dans Procureur général du Canada et Alliance de la fonction publique du Canada (novembre 2015) (voir Les employeurs de réglementation fédérale ne peuvent pas évaluer au préalable les plaintes de violence dans le lieu de travail et doivent nommer une personne compétente pour enquêter sur les allégations non réglées). Cette affaire portait principalement sur la question de savoir si les employeurs de réglementation fédérale peuvent évaluer au préalable les plaintes de violence au travail ainsi que le moment auquel ils sont tenus de nommer une personne compétente chargée d’enquêter sur de telles plaintes. Néanmoins, la décision fait ressortir l’importance pour l’employeur de nommer un enquêteur impartial chargé d’enquêter sur les plaintes de violence au travail. D’ailleurs, le Tribunal en l’espèce a cité de grands extraits de la décision de la Cour d’appel fédérale.

Pour les employeurs de réglementation fédérale, l’essentiel à retenir de ces décisions, c’est qu’un enquêteur proposé ne sera pas considéré comme une personne compétente si l’une ou l’autre des parties à une plainte conteste son impartialité. Même s’il sera loisible à l’employeur d’établir que les motifs pour lesquels l’employé conteste l’impartialité de l’enquêteur proposé constituent un abus de droit (p. ex., parce que ses motifs sont fondés sur des considérations discriminatoires), il n’incombe pas initialement à l’employé de justifier sa contestation de l’impartialité de l’enquêteur. Par suite de cette décision, les employeurs qui sont incapables de régler une plainte de violence au travail de façon informelle et sont donc tenus de nommer un enquêteur doivent veiller à ce que les deux parties à la plainte soient d’accord avec la nomination.

Il faut souligner qu’un régime différent s’applique aux employeurs de réglementation provinciale en Ontario en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail. Par suite des modifications apportées à la LSST en raison du projet de loi 132, qui est entré en vigueur le 8 septembre 2016, les employeurs ontariens doivent maintenant faire enquête sur toutes les plaintes de harcèlement au travail (ce qui comprend le harcèlement sexuel au travail). Toutefois, les employeurs de réglementation provinciale en Ontario bénéficient d’un niveau beaucoup plus élevé de pouvoir discrétionnaire dans la façon de mener ces enquêtes, car la seule obligation législative veut que l’enquête soit « appropriée dans les circonstances ». Les employeurs en Ontario devraient néanmoins se montrer prudents dans la conduite de telles enquêtes, car le défaut d’enquêter convenablement peut faire en sorte que des inspecteurs du ministère du Travail nomment un enquêteur externe, lequel devrait être payé par l’employeur.

Si vous voulez davantage d’information, veuillez communiquer avec Carole Piette au 613-940-2733.

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