Les employeurs de règlementation fédérale ne peuvent pas évaluer au préalable les plaintes de violence dans le lieu de travail et doivent nommer une personne compétente pour enquêter sur les allégations non réglées

Dans Procureur général du Canada et Alliance de la fonction publique du Canada (novembre 2015), la Cour d’appel fédérale a confirmé que les employeurs n’ont pas le droit de déterminer unilatéralement si une plainte expose des faits constituant de la « violence dans le lieu de travail ». À moins qu’il soit « évident » que les faits exposés dans une plainte ne constituent pas de la « violence dans le lieu de travail » au sens du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (Règlement), l’employeur doit nommer une « personne compétente » impartiale pour qu’elle effectue une enquête si la situation ne peut pas être réglée à l’amiable avec l’employé.

Le contexte était le suivant. En décembre 2011, un employé de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) a déposé une plainte de harcèlement auprès de son employeur. L’employé a allégué que son superviseur avait commis à son endroit divers actes humiliants et manifestant un manque de respect. L’ACIA a nommé l’un de ses directeurs régionaux pour qu’il effectue un examen des faits concernant la plainte de l’employé. Il a conclu que malgré l’existence de problèmes entre l’employé et son superviseur, rien ne permettait de conclure à l’existence de harcèlement, de sorte qu’une enquête plus poussée n’était pas nécessaire. Le directeur régional a toutefois recommandé qu’une tierce partie indépendante soit embauchée pour aider l’employé et son superviseur à trouver une solution à leurs problèmes relationnels.

L’employé s’est plaint au sujet de l’enquête auprès d’une agente de santé et sécurité (ASS) et a demandé qu’une enquête soit entreprise par une « personne compétente » en vertu de l’article 20.9 du Règlement pris en application du Code canadien du travail (Code). L’article 20.9 établit le régime suivant applicable aux allégations de violence dans le lieu de travail :

20.9     (1) Au présent article, « personne compétente » s’entend de toute personne qui, à la fois :
a) est impartiale et est considérée comme telle par les parties;
b) a des connaissances, une formation et de l’expérience dans le domaine de la violence dans le lieu de travail;
c) connaît les textes législatifs applicables.

(2) Dès qu’il a connaissance de violence dans le lieu de travail ou de toute allégation d’une telle violence, l’employeur tente avec l’employé de régler la situation à l’amiable dans les meilleurs délais.

(3) Si la situation n’est pas ainsi réglée, l’employeur nomme une personne compétente pour faire enquête sur la situation et lui fournit tout renseignement pertinent qui ne fait pas l’objet d’une interdiction légale de communication ni n’est susceptible de révéler l’identité de personnes sans leur consentement.

(4) Au terme de son enquête, la personne compétente fournit à l’employeur un rapport écrit contenant ses conclusions et recommandations.

L’ACIA a répondu à la demande de l’employé en déclarant que l’examen des faits effectué par le directeur régional satisfaisait aux exigences prescrites par l’article 20.9 du Règlement. L’ASS était en désaccord. Elle estimait que le directeur régional n’était pas impartial et n’était donc pas une « personne compétente » au sens du Règlement. Elle a donné instruction à l’ACIA de nommer une « personne compétente » impartiale pour mener l’enquête.

L’ACIA a interjeté appel contre cette instruction auprès d’un agent d’appel en vertu du paragraphe 146(1) du Code. L’appel a été accueilli au motif que le présumé harcèlement ne constituait pas de la « violence dans le lieu de travail », de sorte que l’employeur n’était pas tenu de nommer un enquêteur. Selon l’agent d’appel, l’employeur pouvait déterminer si la plainte avait trait à de la violence dans le lieu de travail avant de nommer une personne compétente pour faire une enquête.

L’employé a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent d’appel. Le juge des requêtes de la Cour fédérale était d’avis que la notion de « violence dans le lieu de travail » au sens du Règlement était suffisamment vaste pour comprendre le harcèlement lorsque le présumé harcèlement risquait de causer un dommage mental ou psychologique ou une maladie. En tirant cette conclusion, il a reconnu que « l’intimidation psychologique peut constituer au fil du temps une des pires formes de dommage qui puissent être infligées à une personne ». Il a conclu que l’évaluation préalable d’une plainte doit se limiter à l’examen des faits afin de parvenir à une solution avec l’employé ou de faciliter une médiation. Il a ajouté qu’en menant une enquête complète sur la plainte de l’employé, le directeur régional de l’ACIA visait à agir à titre de « personne compétente » en vertu de l’article 20.9 du Règlement. Toutefois, puisque l’employé ne convenait pas que le directeur régional était une personne impartiale, ce dernier n’était pas une « personne compétente », de sorte qu’il n’avait pas le pouvoir de mener l’enquête. Le juge des requêtes a conclu que la décision de l’agent d’appel était déraisonnable et a renvoyé l’affaire à l’agent d’appel pour qu’il rende une nouvelle décision conformément à ses motifs.

L’ACIA a interjeté appel contre cette décision auprès de la Cour d’appel fédérale. En appel, la question en litige avait trait à l’interprétation qu’il convenait de donner à l’article 20.9 du Règlement et, plus précisément, à la question de savoir si l’employeur peut de son propre chef évaluer au préalable les plaintes alléguant la violence dans le lieu de travail afin de déterminer si ces plaintes entraînent l’obligation de nommer une personne compétente pour mener une enquête.

La Cour d’appel fédérale a déclaré que l’article 20.9 avait comme objectif d’offrir un recours aux employés victimes de violence dans le lieu de travail en obligeant l’employeur à s’occuper convenablement de la situation. En fonction de cet objectif, la Cour d’appel fédérale ne pouvait pas accepter l’interprétation adoptée par l’agent d’appel :

[TRADUCTION]
« permettre aux employeurs de mener leur propre enquête sur les plaintes de violence dans le lieu de travail et de tirer leur propre conclusion quant à savoir si ces plaintes méritent de faire l’objet d’une enquête par une personne compétente rendrait illusoire le régime réglementaire et éliminerait dans les faits le droit des employés à une enquête impartiale sur leurs plaintes en vue de prévenir d’autres cas de violence. »

La Cour d’appel fédérale a confirmé que l’employeur est tenu de nommer une personne compétente pour enquêter sur la plainte si la situation n’est pas réglée à l’amiable, [TRADUCTION] « sauf s’il est évident que les allégations n’ont pas trait à de la violence dans le lieu de travail même si on en tient pour acquis la véracité ». Elle a convenu avec le juge des requêtes que la décision de l’agent d’appel ne constituait pas une issue possible et acceptable et qu’elle était en réalité déraisonnable. L’appel de l’ACIA a été rejeté avec dépens.

Bien qu’il soit raisonnable pour les employeurs d’exercer des activités de recherche des faits à la suite d’allégations de violence dans le lieu de travail, la décision rendue dans Procureur général du Canada et Alliance de la fonction publique du Canada indique clairement que les employeurs ne peuvent pas évaluer au préalable les plaintes de violence dans le lieu de travail. Sauf s’il est évident que les allégations, même en tenant pour acquis leur véracité, n’ont pas trait à de la violence dans le lieu de travail ou à moins que la plainte ne soit réglée à l’amiable avec l’employé, l’employeur est tenu de nommer une « personne compétente » impartiale pour mener une enquête.

Si vous voulez davantage d’information, veuillez communiquer avec Carole Piette au 613‑940‑2733.

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