L’intention véritable : la Cour d’appel juge que les arbitres peuvent corriger des erreurs dans les conventions collectives

S’écartant d’un précédent qu’elle avait établi en 1972, la Cour d’appel de l’Ontario a jugé que les arbitres avaient la compétence de corriger ou rectifier les erreurs dans les conventions collectives. Ce pouvoir existe meme lorsque la convention spécifie que l’arbitre ne peut en modifier les conditions.

Dans l’affaire Public Service Alliance of Canada v. NAV Canada (19 avril 2002), les parties avaient signé une convention qui prévoyait une réduction des heures de travail dont le nombre passait de 40 a 37,5. Les parties avaient convenu oralement que cette réduction du nombre d’heures n’entraînerait aucune réduction de salaire, mais n’avaient pas convenu d’une formule précise permettant la mise en oeuvre de la réduction d’heures sans réduction correspondante de la rémunération.

L’employeur a dressé les échelles salariales des employés dans l’annexe de la convention collective. Une fois la convention signée, l’employeur a mis en oeuvre les nouvelles échelles salariales et a commencé a verser des paiements rétroactifs aux employés. L’employeur a alors découvert une erreur dans son calcul des échelles salariales figurant a l’annexe. Lorsqu’il a corrigé l’erreur et a versé les paiements rétroactifs conformément aux échelles révisées, le syndicat a déposé un grief. L’employeur a réagi en demandant a l’arbitre de rectifier la convention collective pour y intégrer les échelles salariales révisées.

L’ARBITRE : UNE ENTENTE EXPLICITE, DES CONDITIONS IMPLICITES

L’arbitre a rejeté le grief du syndicat, et a jugé que l’entente explicite des parties que la réduction d’heures n’entraînerait pas une réduction de salaire comportait certains éléments implicites : le taux horaire serait augmenté par un facteur de 40 sur 37,5, et ce taux entrerait en vigueur le jour ou les employés commenceraient a travailler des semaines de 37,5 heures. Il a en outre conclu que les parties avaient du comprendre que la nouvelle formule n’entraînerait pas une hausse de salaire pour les employés. Puisque ces termes implicites n’étaient pas correctement incorporés dans les échelles salariales figurant a l’annexe, l’arbitre a conclu que l’employeur avait fait erreur dans ses calculs, et il a accordé la demande de rectification.

La Cour divisionnaire a annulé la décision. Elle a déclaré que si la sentence arbitrale avait du mérite dans la perspective des relations du travail, elle allait a l’encontre du droit ontarien, en vertu duquel l’arbitre n’a aucun pouvoir de rectifier une convention collective. La Cour s’est appuyée sur un arret de la Cour d’appel de l’Ontario, Re Metropolitan Toronto Board of Commissioners of Police and Metropolitan Toronto Police Association, pour en arriver a cette conclusion. Dans cette affaire, la Cour d’appel avait jugé a la fois que les arbitres n’avaient aucun pouvoir inhérent de rectifier les conventions collectives, et que l’entente en question interdisait la rectification, puisqu’elle prévoyait expressément que l’arbitre ne pouvait modifier le contenu de la convention. L’employeur a interjeté appel de la décision.

LA COUR D’APPEL : L’ARRET METRO POLICE A ÉTÉ « ATTÉNUÉ » PAR DES DÉCISIONS SUBSÉQUENTES

La Cour d’appel a accueilli l’appel de l’employeur et a rétabli la décision de l’arbitre. La Cour a fait remarquer que les faits dans l’affaire PSAC étaient essentiellement semblables a ceux dans l’affaire Metro Police et que, regle générale, la Cour serait tenue de suivre son précédent qui remontait a 1972. La Cour a néanmoins observé que le domaine du droit du travail avait bien changé depuis 1972, et que la Cour supreme du Canada avait considérablement élargi le pouvoir des arbitres de résoudre des différends :

    « [TRADUCTION] La valeur de précédent de l’arret Metro Police a été atténuée par les déclarations subséquentes de la Cour supreme sur l’étendue des pouvoirs des arbitres. L’arret Metro Police était fondé sur une approche restrictive quant aux pouvoirs de réparation des arbitres. … Dans des décisions plus récentes, [la Cour supreme du Canada] a conclu que les arbitres avaient compétence exclusive pour résoudre les différends découlant de la convention collective et que, dans la résolution de ces différends, les arbitres avaient le pouvoir et le devoir d’appliquer « le droit du pays », d’origine jurisprudentielle et législative. Un des éléments du droit canadien est le pouvoir d’accorder la rectification comme réparation, et selon moi, la jurisprudence en est maintenant au point ou les arbitres ont le pouvoir d’accorder cette réparation lorsqu’ils tranchent un différend découlant d’une convention collective. »

La Cour a en outre jugé que l’interdiction faite a l’arbitre de modifier la convention collective, prévue dans le texte meme de la convention, ne l’empechait pas d’avoir recours a la rectification. Cette réparation, d’apres la Cour, ne modifiait pas les conditions de la convention mais corrigeait plutôt une erreur dans la convention, de façon a permettre aux termes de la convention de traduire l’intention véritable des parties. Par conséquent, a déclaré la Cour, l’arbitre n’avait pas enfreint les dispositions de la convention en rectifiant les échelles salariales erronées afin de faire état de la véritable entente des parties quant au nouveau taux salarial.

Ayant décidé que l’arbitre avait compétence pour rectifier la convention collective, la Cour a poursuivi en déclarant qu’en l’instance, il était approprié d’exercer cette compétence. Il existait une preuve convaincante a l’effet que les parties avaient convenu oralement que les taux horaires augmenteraient d’un facteur de 40 sur 37,5, que les échelles salariales inscrites dans la convention ne reflétaient pas cette entente et que les échelles salariales révisées proposées par l’employeur exprimaient correctement la véritable intention des parties. Par conséquent, la Cour a rétabli la décision de l’arbitre qui rectifiait la convention.

Notre point de vue

La Cour d’appel a adopté les conditions préalables a la rectification établies par la Cour supreme du Canada dans une décision rendue cette année. Ces conditions visent, selon la Cour, « [TRADUCTION] a assurer que le recours ne devient pas une échappatoire pour les parties qui tentent de se soustraire a un contrat marqué par l’imprévoyance ». Par conséquent, la partie qui cherche a faire rectifier une convention doit satisfaire aux exigences suivantes :

  • montrer l’existence et la teneur d’une entente orale antérieure, incompatible avec la convention;
  • montrer que le document écrit ne correspond pas a l’entente, et que de permettre a l’autre partie de prendre avantage de l’erreur dans le document écrit constituerait une fraude ou l’équivalent d’une fraude;
  • montrer la formulation précise qui permettrait au document d’exprimer l’intention antérieure;
  • établir tout ce qui précede par une preuve convaincante.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Sylvie Guilbert au (613) 563-7660, poste 256.

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