Une question de dignité : la disposition sur l’indemnité de départ dans la LNE est inconstitutionnelle, selon un tribunal ontarien

Le 19 janvier 2004, une formation unanime de la cour divisionnaire de l’Ontario a jugé qu’une disposition de la Loi sur les normes d’emploi qui ôtait le droit à une indemnité de départ aux employés gravement handicapés était contraire au droit à l’égalité garanti par la Charte canadienne des droits et libertés. La disposition en cause était l’alinéa 58(5)(c) de la Loi, qui prévoyait que l’indemnité de départ n’était pas due à l’employé absent en raison d’une maladie ou d’une lésion, si l’exécution du contrat de travail était « devenue impossible en raison de cette maladie ou de cette lésion ».

L’affaire Ontario Nurses’ Association v. Mount Sinai Hospital fut le sujet d’une révision judiciaire d’une décision arbitrale portant sur le grief d’une infirmière de l’unité des soins intensifs aux nouveau-nés, qui avait été licenciée après 13 ans de service. L’infirmière avait cessé de travailler en janvier 1996 et on avait mis fin à son emploi en juin 1998. L’hôpital, invoquant l’alinéa 58(5)(c), avait refusé de lui payer l’indemnité de départ prévue par la Loi, et l’infirmière avait logé un grief contre ce refus. À l’arbitrage, le syndicat a soutenu que l’infirmière aurait dû recevoir l’indemnité parce que l’exécution de son contrat de travail n’était pas « devenue impossible » en raison de son invalidité. Le syndicat a également affirmé que bien qu’elle ait été en congé depuis deux ans et demi et qu’aucune date n’ait été fixée pour son retour, l’hôpital aurait dû prévoir un accommodement compatible avec le Code des droits de la personne en lui offrant de garder son poste jusqu’à ce qu’elle soit en mesure de revenir au travail.

CONSEIL D’ARBITRAGE : LA DISPOSITION DANS LA LNE EST CONSTITUTIONNELLE

Le conseil d’arbitrage a rejeté l’argument du syndicat, et a jugé que l’obligation d’accommodement n’obligeait pas l’hôpital à garder l’infirmière à son emploi indéfiniment. Il a par ailleurs rejeté l’argument subsidiaire du syndicat selon lequel l’alinéa 58(5)(c) de la Loi était contraire au paragraphe 15(1) de la Charte, qui garantit le droit à l’égalité. La majorité du conseil s’est inspirée de l’arrêt de la Cour suprême du Canada, Law c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), qui établit le critère pour déterminer s’il y a eu violation du droit à l’égalité garanti par la Charte. L’arrêt Law énonce trois questions qu’il faut considérer pour cette détermination :

  1. La loi contestée: a) établit-elle une distinction formelle entre le demandeur et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou b) omet-elle de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui-ci et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles?
  2. Le demandeur fait-il l’objet d’une différence de traitement fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues?
  3. La différence de traitement est-elle discriminatoire en ce qu’elle impose un fardeau au demandeur ou le prive d’un avantage d’une manière qui dénote une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou qui a par ailleurs pour effet de perpétuer ou de promouvoir l’opinion que l’individu touché est moins capable ou est moins digne d’être reconnu ou valorisé en tant qu’être humain ou que membre de la société canadienne, qui mérite le même intérêt, le même respect et la même considération?

La majorité du conseil a jugé qu’on avait satisfait aux deux premières exigences du critère, puisque l’alinéa 58(5)(c) imposait effectivement un traitement différent à l’infirmière en raison de la nature et de la gravité de son handicap. Toutefois, le conseil a jugé que la disposition ne privait pas l’infirmière d’un avantage selon la manière envisagée dans la troisième partie du critère. La majorité a souligné que la disposition ne privait pas tous les employés handicapés de l’indemnité de départ, mais seulement les employés dont le contrat était devenu inexécutable. Puisque l’indemnité était refusée non pas en raison du handicap mais en raison de l’inexécution du contrat, le paragraphe 15(1) n’était pas enfreint.

LA COUR : LA LOI EXCLUT LES PLUS DÉFAVORISÉS

La cour divisionnaire, dans un jugement qui cassait la sentence arbitrale, a débuté son analyse en considérant l’historique législatif de la disposition en cause. La cour a conclu que l’historique montrait clairement que l’objet de l’indemnité de départ – par opposition à l’indemnité de licenciement – était d’offrir à l’employé de longue date un avantage gagné, qui était payable pour toute cessation d’emploi non fautive.

Dans son analyse du troisième volet du critère de l’arrêt Law, la cour a rejeté la position de l’hôpital que l’infirmière n’avait pas droit à l’indemnité de départ parce que son contrat était devenu inexécutable. La cour a fait remarquer que le paragraphe 58(5) envisageait d’autres circonstances où, malgré l’inexécution du contrat de travail, le droit à l’indemnité de départ demeurait (par exemple, lorsqu’il y a « interruption permanente de l’ensemble ou d’une partie des activités d’un employeur, quelle qu’en soit la raison, notamment les désastres naturels,et les événements fortuits ou imprévus »). D’après la cour, le traitement différentiel se fondait ultimement sur le handicap, malgré le fait que ce n’était pas tous les employés handicapés qui seraient privés de l’indemnité de départ :

    « [TRADUCTION] Le traitement différentiel ne se fonde pas uniquement sur l’inexécution du contrat. Il se fonde exclusivement sur l’inexécution due à une invalidité grave et prolongée. … En outre, le groupe d’employés handicapés que la loi exclut est justement le groupe le plus défavorisé, puisqu’il est composé uniquement d’employés si gravement handicapés qu’ils ne peuvent continuer dans leur emploi actuel. L’exclusion ajoute un fardeau à ce groupe de personnes handicapées. Ce fait aggrave les conséquences de l’alinéa 58(5)(c) de la LNE. »

La cour a jugé que le fait que certains employés gravement handicapés étaient protégés financièrement en ayant accès à des prestations d’invalidité à long terme n’avait aucune incidence sur l’analyse de la discrimination. L’indemnité de départ est un autre type de prestation, accordée dans un autre but. De plus, ce ne sont pas tous les employés qui ont droit à l’assurance-invalidité à long terme, un avantage négocié et accessoire.

La cour a souligné l’importance de l’emploi pour le sens de l’identité et pour l’estime de soi, et a conclu en déclarant que l’alinéa 58(5)(c) avait un effet profondément discriminatoire sur les personnes les plus handicapées :

    « [TRADUCTION] En privant une personne d’un avantage lié à son investissement dans l’entreprise où elle a travaillé, en raison d’un handicap grave, on s’attaque aux valeurs qui sont au coeur même du paragraphe 15(1) de la Charte. … L’alinéa 58(5)(c) cible les personnes gravement handicapées en leur refusant un avantage lié à l’emploi auquel elles auraient eu droit, n’eût été de leur handicap. L’effet est de dévaloriser leur contribution passée à leur travail. Le refus d’un avantage lié à l’emploi qui a été mis en place pour reconnaître la contribution d’une personne à l’entreprise de son employeur touche directement la dignité de la personne handicapée. »

Par conséquent, la cour a cassé la sentence arbitrale et rendu une ordonnance qui déclarait l’alinéa 58(5)(c) nul et sans effet pour cause d’inconstitutionnalité.

Notre point de vue

Il convient de souligner que cette décision a trait à l’ancienne Loi sur les normes d’emploi. En vertu de la nouvelle Loi de 2000 sur les normes d’emploi, les dispositions qui prévoient le non versement de l’indemnité de départ aux employés dont le contrat est rendu inexécutable en raison d’un handicap se trouvent dans le Règlement 288/01, article 9.

Pour suivre l’évolution de cette affaire, voir « La Commission des relations du travail étudie les dispositions sur le congé spécial dans la LNE » sous la rubrique « Nouveautés ».

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec André Champagne au (613) 940-2735.

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