L’employeur et l’organisme d’indemnisation des travailleurs sont tenus responsables pour des conseils donnés avec négligence

Le délit de déclaration inexacte faite avec négligence est souvent lié au devoir de diligence que doivent les professionnels tels que les médecins, les avocats ou les comptables aux personnes qui se fient a leurs conseils a leurs propres dépens. Toutefois, une décision récente de la Cour d’appel de Terre-Neuve montre que les employeurs et les organismes d’indemnisation des travailleurs peuvent également etre tenus responsables pour des déclarations faites avec négligence qui entraînent des pertes financieres pour ceux qui se sont fiés a ces déclarations. La Cour supreme du Canada a rejeté la requete en pourvoi le 29 septembre, 2005.

Dans l’affaire Mandavia v. Central West Health Care Institutions Board (9 mars 2005), un médecin salarié est devenu handicapé de façon permanente en raison d’un accident au travail. Le contrat du Dr. Mandavia prévoyait qu’en cas de lésion au travail, l’employeur paierait la différence entre ses prestations d’indemnité et son salaire net jusqu’a ce qu’il atteigne l’âge de 65 ans.

En 1993, sur l’avis de son employeur et de la commission provinciale d’indemnisation des travailleurs (la Commission), le Dr. Mandavia a décidé de prendre sa retraite. On ne lui a pas dit que le versement de ses prestations de retraite avait pour effet d’annuler un montant correspondant des prestations d’indemnisation, éliminant celles-ci a toutes fins pratiques. Lorsque le Dr. Madavia l’a découvert, il a intenté une action contre son employeur et contre la Commission, alléguant qu’il n’aurait pas demandé ses prestations de retraite s’il avait su qu’elles auraient un tel effet sur ses prestations d’indemnité.

TRIBUNAL : DÉCLARATIONS INEXACTES FAITES AVEC NÉGLIGENCE PAR L’EMPLOYEUR ET LA COMMISSION

La Cour d’appel de Terre-Neuve a maintenu la conclusion du juge de premiere instance que le plaignant avait établi le délit de déclaration inexacte faite avec négligence. Le délit est établi quand les conditions suivantes sont remplies :

  1. Il doit exister un devoir de diligence fondé sur une « relation spéciale » entre la personne qui fait la déclaration et le destinataire;
  2. la déclaration doit etre fausse, inexacte ou trompeuse;
  3. la personne doit avoir fait la déclaration avec négligence;
  4. le destinataire doit s’etre fié, de façon raisonnable, a cette déclaration;
  5. le fait de s’etre fié a la déclaration doit avoir fait subir un préjudice au destinataire, c’est-a-dire qu’elle a entraîné des dommages.

Devoir de diligence

Pour établir l’existence d’un devoir de diligence, il faut répondre a deux questions :

  1. Existe-t-il un lien de proximité suffisant entre les parties qui fait que la personne qui fait la déclaration pourrait raisonnablement envisager que son manque de prudence pourrait causer un préjudice au destinataire? Dans ce cas, il existe prima facie un devoir de diligence.
  2. Le cas échéant, existe-t-il des considérations qui limitent ou annulent ce devoir?

L’employeur ne contestait pas qu’il avait un devoir de diligence a l’égard du  Dr. Mandavia, mais la Commission a soutenu que la proximité entre son personnel et le Dr. Mandavia était insuffisante pour permettre a la Commission de savoir qu’un manque de prudence de sa part ferait subir un préjudice au Dr. Mandavia. La Cour a rejeté cet argument, et a souligné que la personne qui avait conseillé le Dr. Mandavia avait été présentée par la Commission comme experte sur les prestations et au courant de la politique de la Commission quant a la réduction des prestations d’indemnité en cas de versement des prestations de retraite. La politique n’était pas publiée et les employés de la Commission étaient par conséquent la seule source de renseignements e ce sujet, de sorte qu’il avait été raisonnable de la part du Dr. Mandavia de se fier aux conseils de la Commission.

Déclaration inexacte

La Cour a jugé qu’en omettant d’aviser le Dr. Mandavia que son revenu de retraite entraînerait une retenue sur ses prestations d’indemnité, l’employeur et la Commission lui avaient fournis des renseignements inexacts. A cet égard, la Cour a observé que la notion de déclaration inexacte n’exige pas une déclaration comme telle : l’absence de renseignements sur des faits importants est tout aussi dommageable que la fourniture de renseignements inexacts.

Négligence

La Cour a statué que le conseiller de la Commission avait du se rendre compte que le Dr. Mandavia devait sérieusement se méprendre quant a son droit aux prestations s’il acceptait les prestations de retraite, et que le fait de ne pas l’aviser des conséquences de la retraite lui causerait un préjudice. Pour ce qui était de l’employeur, la Cour a jugé qu’en omettant de consulter la Commission au sujet des conseils donnés au Dr. Mandavia, il n’avait pas pris des mesures raisonnables pour s’assurer que ses conseils étaient exacts.

Confiance raisonnable

La Cour a jugé qu’il était raisonnable pour le Dr. Mandavia de se fier aux conseils donnés par son employeur et par la Commission. Dans les deux cas, les personnes fournissant les conseils étaient compétentes pour donner des conseils sur les prestations en cause.

Préjudice subi du fait de s’etre fié aux conseils

En suivant les conseils qui lui avaient été donnés avec négligence, d’apres la Cour, le Dr. Mandavia avait renoncé a son droit contractuel au supplément qui s’ajoutait aux prestations d’indemnité jusqu’a concurrence de son salaire net.

L’employeur et la Commission était chacun responsable de 50 pour cent des pertes subies par le Dr. Mandavia.

Notre point de vue

Si l’arret peut paraître inquiétant parce qu’il signifie que les employeurs ont un devoir de diligence a l’égard de leurs employés et qu’ils doivent faire montre de prudence dans leurs déclarations, il peut également etre a l’avantage des employeurs dans certaines circonstances. Ainsi, il arrive assez souvent que les employeurs reçoivent des renseignements assez douteux de la part des organismes d’indemnisation des travailleurs. L’arret semble indiquer que lorsque les employeurs se fient a ces renseignements et en subissent un préjudice, ils pourraient poursuivre ces organismes pour délit civil.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Sébastien Huard au (613) 940-2744.

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