La Cour suprême du Canada a décrété qu’un différend sur les pensions touchant neuf syndicats et des centaines d’employés non syndiqués doit être soumis à l’arbitrage

Une décision partagée de la Cour suprême du Canada, Bisaillon c. Université Concordia (18 mai 2006), fait ressortir les difficultés que présente l’application des règles établies dans Weber c. Ontario Hydro. La décision Weber est bien connue des lecteurs de FOCUS Alert. Elle confirme le principe suivant : si, dans son essence, le litige qui oppose un employé syndiqué à son employeur résulte de la convention collective, il faut recourir à l’arbitrage et les tribunaux n’ont pas le pouvoir d’entendre une action relativement à ce litige. Dans Bisaillon, (par une marge de quatre contre trois) la Cour a déclaré qu’un litige complexe relatif au financement d’un régime de retraite doit être réglé par l’arbitrage. Fait révélateur, le Régime de retraite comportait 4 100 membres, dont 80 p. cent étaient syndiqués et relevaient de neuf conventions collectives différentes.

Le litige résulte du fait que l’Université Concordia aurait modifié son Régime de retraite pour payer des frais d’administration, se donner des congés de cotisation et réclamer une partie de l’excédent advenant la fermeture du régime de retraite. M. Richard Bisaillon (président d’un des sept syndicats) a présenté une demande visant à saisir la Cour supérieure du Québec d’un recours collectif. La requête de M. Bisaillon visait à faire déclarer nulles ces modifications au Régime de retraite et à obliger l’Université Concordia à rembourser à la Caisse de retraite les sommes qu’elle y aurait prélevées.

L’Université Concordia et un des syndicats, l’Association des professeurs de l’Université Concordia (APUC), ont demandé de rejeter la requête en autorisation de recours collectif. Ils ont fait valoir que cette question relevait exclusivement de l’arbitre de griefs et que la demande brimait le droit exclusif des syndicats de représenter leurs membres. La requête, qui a été accueillie par la Cour supérieure du Québec, a été rejetée par la Cour d’appel du Québec. Cette dernière a jugé que le différend relevait du Régime de retraite en tant que tel qui s’appliquait à Bisaillon, et non de la Convention collective. Selon la Cour d’appel, le régime était indépendant des conventions collectives établies entre l’Université Concordia et ses membres. L’Université Concordia et l’APUC ont interjeté appel devant la Cour suprême du Canada.

LE LITIGE DOIT ÊTRE SOUMIS À L’ARBITRAGE

Appliquant les principes établis dans Weber, la Cour suprême a décidé à la majorité que les tribunaux n’avaient pas compétence pour entendre le litige. En ce qui concerne l’objet du litige, la Cour a remarqué que toutes les conventions collectives renvoyaient, d’une façon ou d’une autre, au Régime de retraite et que Concordia gardait le contrôle de l’administration du Régime de retraite :

« […] Concordia s’était engagée auprès des syndicats à offrir aux salariés visés le Régime de retraite selon les conditions de celui-ci. Les syndicats ont ainsi obtenu certaines assurances quant au maintien du régime et à l’admissibilité des salariés qu’ils représentent. En fait, les parties ont décidé d’inclure les conditions d’application du Régime de retraite dans la convention collective. Dans ce contexte, l’employeur n’était pas dans la position d’un tiers comme un assureur fournissant une prestation d’assurance proposée par les parties à la convention collective. Au contraire, Concordia semblait conserver le contrôle effectif de l’administration du Régime de retraite, tout en s’engageant, au moins implicitement, à respecter divers droits et obligations prévus par ce régime ou découlant des lois qui s’y appliquent. De ce fait, elle reconnaissait aussi la compétence […] de l’arbitre de griefs.

La Cour a également déclaré que le fait de permettre un recours collectif constituerait une violation des droits de représentation des neuf syndicats régis par des lois provinciales du travail. Comme il a été incorporé à la convention collective, le Régime de retraite est devenu une condition de travail sur laquelle le salarié a perdu son droit d’agir sur une base individuelle. Qui plus est, les syndicats ne pouvaient pas exercer le choix tactique de permettre à M. Bisaillon de représenter les employés dans le litige sur les pensions. Les syndicats ne pouvaient ignorer leur obligation, aux termes de la législation du travail, de représenter leurs membres dans les litiges issus de la convention collective.

LE CHAOS PROCÉDURAL N’EST PAS INÉVITABLE

La Cour a admis que bien que sa décision n’était pas exempte de toute difficulté procédurale, notamment en raison de la multiplicité des recours possibles et des conflits potentiels entre des sentences arbitrales distinctes, les difficultés appréhendées n’étaient pas suffisantes pour reconnaître la compétence de la Cour.

La Cour a déclaré que la possibilité d’un chaos procédural attribuable à des décisions contradictoires n’avait pas réellement été démontrée. Il est possible que l’ensemble des syndicats ou, à tout le moins, un grand nombre d’entre eux décident de s’entendre avec l’employeur pour soumettre les différents recours à un seul arbitre de griefs. La Cour a estimé que cette approche était préférable dans ce cas-ci. Même si un arbitre rendait une décision relative à un grief déposé par l’un des syndicats concernés et se prononçait en faveur de celui-ci, ce serait l’ensemble des salariés qui en bénéficieraient. Comme la totalité des sommes prélevées sans droit serait remise à la Caisse de retraite, tous les employés bénéficieraient indirectement de cette décision. Selon la Cour, en mettant les choses au pire, en cas de sentences arbitrales contradictoires ou incompatibles, Concordia pourrait probablement, sous réserve des voies étroites du contrôle judiciaire par la Cour supérieure, régler tout conflit en se conformant à la sentence la moins favorable pour elle.

En conséquence, l’appel a été accueilli.

DISSIDENCE : LE FINANCEMENT DU RÉGIME TRANSCENDE LES CONVENTIONS COLLECTIVES

Les trois juges dissidents ont déclaré que les tribunaux devaient exercer leur compétence sur ce litige, étant donné qu’il portait sur le financement du Régime de retraite en tant que tel, une question qui transcende toutes les conventions collectives ou tous les contrats de travail.

« La demande de [Bisaillon] concerne le financement du Régime de retraite lui même. La convention particulière liant un participant au Régime de retraite à l’université appelante n’a pas d’incidence sur la demande. Par conséquent, bien que je sois moi aussi d’avis que les conventions collectives « absorbent » parfois les régimes de retraite en les incorporant par renvoi, j’estime que cela ne peut s’être produit en l’occurrence. Dans la présente affaire, […] la nature indivisible du patrimoine du Régime de retraite tranche directement avec les neuf différentes conventions collectives et les centaines de contrats de travail distincts qui lient les participants au Régime de retraite à l’université appelante. Plus simplement, le Régime de retraite transcende chacune des conventions collectives. »

La nature du litige s’expliquait essentiellement par la nature indivisible du Régime de retraite. Tous les bénéficiaires de la caisse avaient fait la même demande en ce qui concerne le Régime de retraite, du fait que cette demande découlait du régime et non des conventions collectives ou des contrats de travail. Le juge dissident a déclaré que lorsque le régime est sous financé, ce sont tous ses membres qui sont visés. De la même façon, comme le notent la majorité des juges de la Cour, dans l’hypothèse où un arbitre accueillait un grief portant sur le financement du régime, ce serait l’ensemble des membres qui en bénéficieraient. Du point de vue du juge dissident, cela démontrait que la demande de l’intimé transcendait toutes les conventions collectives.

Notre point de vue

Le juge dissident s’est montré critique à l’égard de la majorité qui a adopté une approche « si ce n’était de » envers l’arrêt Weber, dont le critère est le suivant : peut-on faire une demande en l’absence d’une convention collective? De l’avis du juge dissident, il s’agissait d’une erreur dans l’application des principes énoncés dans Weber, qui visent à déterminer la nature même du différend. Dans ce cas-ci, le juge dissident a déclaré que tout ce que Bisaillon a pu faire, c’était d’établir l’existence d’un « simple lien » entre la demande de l’intimé et les clauses de la convention collective.

Bien que les enjeux soient différents, les résultats dans cette affaire semblent être conformes à ceux obtenus avec la méthode traditionnelle à l’égard de l’arbitrabilité des demandes fondées sur des avantages sociaux. En général, c’était le libellé de la convention collective qui déterminait l’enjeu. Si la convention collective révélait que l’employeur avait l’intention de fournir des avantages sociaux, l’employé pouvait poursuivre sa demande à l’arbitrage. Si la convention ne faisait aucune référence aux avantages sociaux, l’employé devait intenter une poursuite contre l’assureur. (Pour une série de causes traitant de cette question, veuillez vous reporter à l’article intitulé « La Cour d’appel de l’Ontario se prononce à nouveau sur le caractère arbitrable des demandes de prestations » et aux liens relatifs à cet article, sous la rubrique « Publications »).

Dans cette affaire, il y avait sept conventions collectives qui stipulaient explicitement que les employés qu’elles régissaient étaient autorisés à participer au Régime de retraite de Concordia, conformément aux conditions qui y étaient énoncées. Une convention collective stipulait que Concordia avait accepté de conserver le régime existant pour les employés de son unité de négociation, et une autre renvoyait indirectement au régime en précisant les âges auxquels les employés devenaient admissible à toutes les prestations de retraite ou à une retraite anticipée. Cela pourrait être davantage que le « simple lien » mentionné par le juge dissident et répondre au critère utilisé par les arbitres pour déterminer si un différend sur les avantages sociaux peut faire l’objet d’un arbitrage ou d’un litige.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Sébastien Huard, au 613- 940-2744.

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