Employé de longue durée, contrats à court terme : préavis exemplaire et dommages punitifs

Un juge de la Cour de l’Ontario, dans un jugement rendu le 12 avril 1999, a réaffirmé le principe établi par la décision Ceccol v. Ontario Gymnastic Federation, dont faisait état le numéro de juillet 1999 d’AU POINT (voir « Un contrat a durée déterminée ne signifie pas nécessairement un employé temporaire » sous la rubrique « Publications »). On avait alors jugé que les employeurs ne peuvent se soustraire a leur obligation de payer un préavis raisonnable en embauchant leurs employés au moyen d’une série de contrats a court terme. Dans l’affaire qui nous occupe ici, le tribunal a accordé 30 mois de préavis a l’employé, un record pour l’Ontario, ainsi que des dommages punitifs de 20 000 dollars.

L’affaire Ben David v. Congregation B’nai Israel concerne un rabbin de 62 ans qui a reçu un préavis de neuf mois a l’effet que son contrat a durée déterminée ne serait pas renouvelé, apres plus de 25 ans de service en vertu de contrats a court terme. M. Ben David a plaidé que malgré les contrats a durée déterminée qui avaient régi son emploi, il avait été un employé permanent, et avait donc droit a un préavis raisonnable.

LES CONTRATS NE SONT PAS DES « DOCUMENTS SÉRIEUX »

Le tribunal lui a donné raison, et a jugé que le contrat a durée déterminée n’était pas juridiquement valide. Le tribunal a considéré la longue suite de contrats a court terme et a conclu qu’ils n’avaient jamais été [TRADUCTION] « des documents sérieux sur lesquels se fiaient les parties ». Le tribunal a noté, a l’appui de cette conclusion, qu’il était arrivé que M. Ben David travaille sans contrat, ou en vertu d’un contrat que les parties n’avaient pas signé.

En outre, a signalé le tribunal, l’employeur n’avait jamais donné a M. Ben David les avis de renouvellement requis par les contrats, et ne lui avait jamais expliqué que les contrats visaient une période déterminée. Comme dans l’affaire Ceccol, le tribunal a opiné que les contrats portaient davantage sur la renégociation du salaire que sur la durée de l’emploi.

UN COMPORTEMENT INACCEPTABLE ALLONGE LA PÉRIODE DE PRÉAVIS

Le tribunal a accordé 30 mois de préavis a M. Ben David, en se fondant sur les facteurs habituels : l’âge et le nombre d’années de service, la nature de l’emploi et les perspectives de trouver un emploi semblable. En accordant une longue période de préavis, le tribunal a également tenu compte de ce qu’il a jugé etre un comportement inacceptable de la part de l’employeur, c’est-a-dire induire l’employé en erreur quant a son statut pour ensuite mettre fin a son emploi sans donner d’explications :

[TRADUCTION] « [L’employé] était confiant que l’employeur le traiterait de façon équitable. Il pensait que les intérets de l’employeur coincidaient avec les siens. [L’employeur] préparait des documents et [l’employé] les signait, sans vérifier la période d’emploi. … A terme, [l’employeur] a tenté d’exercer unilatéralement son pouvoir en s’appuyant sur une disposition dans un document qu’il jugeait en sa faveur. Cette façon de faire n’est pas acceptable.

[L’employeur] n’agissait pas de bonne foi lorsqu’il a remis a [l’employé] une lettre l’informant de la cessation de son emploi… . Vu mes conclusions sur la façon dont [l’employeur] a appuyé et encouragé [l’employé a devenir rabbin et chef spirituel de la congrégation], il devait, en toute décence, lui expliquer pourquoi son contrat ne serait pas renouvelé. Or, il ne l’a pas fait. »

« CRUEL, ABUSIF, INSOLENT ET PRÉJUDICIABLE »

Comme l’a déclaré la Cour supreme du Canada dans l’arret Wallace c. United Grain Growers Ltd (voir « Équitablement, raisonnablement et décemment » : la Cour supreme juge que les employeurs doivent traiter avec bonne foi les employés qu’ils congédient » sous la rubrique « Publications »), un congédiement ne donne pas droit pour autant a une réclamation pour dommages punitifs ou exemplaires contre l’employeur, mais peut entrer en ligne de compte pour établir la longueur de la période de préavis. Pour avoir droit a plus que les simples dommages-intérets du préavis, l’employé doit montrer que la conduite inadmissible de l’employeur constitue une cause indépendante d’action, distincte du congédiement injustifié.

Le tribunal a convenu avec M. Ben David que le comportement de l’employeur, qu’il a qualifié de [TRADUCTION] « cruel, abusif, insolent et préjudiciable », constituait effectivement une cause indépendante d’action. Le tribunal a cité notamment la décision de l’employeur de plaider un renvoi justifié, en se basant sur des allégations qui selon le tribunal n’étaient pas fondées. L’employeur a retiré les allégations d’un motif valable pour le congédiement peu de temps avant le proces.

Sans préciser la nature de ces allégations, le tribunal les a décrites comme étant une [TRADUCTION] « attaque personnelle » non seulement contre M. Ben David mais aussi contre sa famille. L’attaque s’est ensuite aggravée du fait de la décision de l’employeur de congédier l’épouse de M. Ben David. Le tribunal a également signalé une lettre rédigée par le président du conseil des gouverneurs de l’employeur, qui critiquait M. Ben David pour sa décision de poursuivre; selon le tribunal, cette lettre avait pour objet de dénigrer M. Ben David aux yeux de la congrégation.

Enfin, le tribunal a mentionné un incident ou, lors d’une importante fete juive, un représentant de l’employeur a refusé de reconnaître la présence de M. Ben David et de son fils aux fins de constituer un « minyan », le groupe de fideles suffisant pour que le service religieux puisse débuter. Le tribunal a jugé ce comportement malveillant, d’autant que cette synagogue était la seule ou M. Ben David et sa famille pouvaient prier.

Notre point de vue

La Cour d’appel de l’Ontario ayant cassé la décision dans l’affaire Kilpatrick v. Peterborough Civic Hospital, qui accordait un préavis de 30 mois a un employé (voir « La décision Kilpatrick est cassée pour des motifs de procédure » et « Apres six ans de service, le PDG d’un hôpital a droit a 30 mois d’avis » sous la rubrique « Publications »), la présente affaire représente un record pour la longueur de préavis accordée par un tribunal ontarien. Il s’agit donc d’une indication supplémentaire de la volonté croissante des juges de dépasser la limite habituelle de 24 mois appliquée auparavant.

Si la décision est portée en appel, il est probable qu’on examinera de pres la condamnation a des dommages punitifs, surtout puisque la période de préavis avait déja été allongée a cause de l’insensibilité de l’employeur dans son congédiement de l’employé. La décision rappelle néanmoins quelles peuvent etre les conséquences du congédiement maladroit d’un employé de longue date.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec André Champagne au (613) 940-2735.

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