Cris, coercition et intimidation par le superviseur justifient le refus de travailler

Lorsqu’un travailleur syndiqué conteste la directive de travailler que donne un superviseur, il est censé se conformer à la directive et, le cas échéant, déposer ensuite un grief. Une des principales exceptions à cette règle est le refus de travailler pour des raisons de santé ou de sécurité. En vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail de l’Ontario et d’après la jurisprudence arbitrale, lorsqu’un travailleur croit sincèrement qu’un ordre de travailler le met en danger, il a le droit de refuser de travailler.

Dans une affaire récente, pourtant, on a allégué que la façon même dont l’ordre avait été donné créait une situation dangereuse. Dans l’affaire Lennox Industries (Canada) Ltd. v. United Steelworkers of America, Local 7235 (3 mars 1999), le travailleur a déposé un grief pour contester une suspension de deux jours pour insubordination. Il soutenait dans son grief que son refus de travailler se justifiait pour des raisons de santé et de sécurité.

RÉCITS CONTRADICTOIRES

À l’audience, les témoignages du superviseur et du plaignant étaient contradictoires. Selon le superviseur, alors qu’il faisait enquête sur un ralentissement de la chaîne de montage, on lui a dit que le plaignant n’avait pas les pièces nécessaires pour travailler. Le superviseur ayant trouvé des pièces, le plaignant a terminé une unité de travail, pour ensuite refuser de continuer, sans donner de motif pour son refus. Conséquemment, toujours selon le superviseur, le plaignant a invoqué des raisons de sécurité, sans préciser ce qui présentait un danger. Puisque le superviseur pensait que le plaignant travaillait avec le même équipement et dans les mêmes conditions qu’à l’habitude, il a décidé qu’aucune enquête n’était nécessaire et il a refusé de faire venir le délégué à la santé et à la sécurité.

Le plaignant, quant à lui, a déclaré qu’il ne pouvait travailler parce que sa zone de travail était bloquée par des unités. Lorsque la chaîne de montage a commencé à avancer, il a repris son travail sur une unité, et indiqué au superviseur que celui-ci pouvait partir. « Je ne pars pas d’ici », aurait répondu le superviseur, qui aurait alors ordonné au plaignant de continuer à travailler. Le plaignant aurait alors dit au superviseur que sa proximité et [TRADUCTION] « ses cris, sa coercition et son intimidation » lui causaient des tremblements dans les mains, condition dangereuse puisqu’il pourrait se couper sur les bords tranchants des unités. Le superviseur a refusé de faire appel au délégué à la santé et à la sécurité. Il a, par la suite, imposé une mesure disciplinaire pour insubordination.

L’arbitre a jugé plus crédible la version du plaignant. Elle a remarqué que dans les notes du superviseur, prises au moment de l’incident, le superviseur avait indiqué que le plaignant lui avait dit que la proximité du superviseur suscitait chez lui le sentiment d’être en danger s’il reprenait son travail.

LA LOI ET LE CRITÈRE EMPLOYÉ PAR LES ARBITRES

Le paragraphe 43(3) de la Loi sur la santé et la sécurité au travail précise plusieurs circonstances où le travailleur peut refuser de travailler, notamment lorsque le travailleur « a des raisons de croire … que les conditions matérielles qui existent dans le lieu de travail ou la partie où il exécute ou doit exécuter son travail sont susceptibles de le mettre en danger ». En vertu du paragraphe 43(4), le travailleur qui refuse de travailler « communique promptement à l’employeur ou au superviseur les circonstances qui ont provoqué son refus. L’employeur ou le superviseur fait une enquête sans délai en présence du travailleur et … [d’un] délégué à la santé et à la sécurité… ».

Lorsque la Loi n’est pas applicable, les arbitres utilisent un critère semblable à quatre volets, pour déterminer si le refus est justifié :

1. Le plaignant croyait-il sincèrement que sa santé ou sa sécurité était en danger?
2. Le plaignant a-t-il communiqué cette croyance au superviseur de façon raisonnable et adéquate?
3. La croyance du plaignant était-elle raisonnable, compte tenu des circonstances?
4. Le danger était-il suffisamment grave pour justifier l’action du plaignant?

« CROYANCE SUBJECTIVE AU DANGER », VIOLATION DE LA LOI

Puisque le plaignant avait déjà admis qu’il avait refusé de travailler, il s’agissait de décider si son refus était justifié, soit en vertu de la Loi, soit en vertu de la jurisprudence arbitrale. L’arbitre a jugé que le plaignant croyait subjectivement qu’il se trouvait dans une situation dangereuse :

[TRADUCTION] « [Il] se sentait intimidé et forcé de travailler en raison de la proximité [du superviseur] et des ordres répétés de celui-ci de poursuivre le travail. … [Le plaignant] travaille avec du métal très tranchant. Personne ne conteste que le tremblement de ses mains le mettait en danger et aurait pu entraîner des coupures, comme il le soutient. »

L’arbitre a en outre conclu que le plaignant, lorsqu’il a demandé qu’on appelle le délégué à la santé et à la sécurité, avait effectivement communiqué que son refus de travailler était dû à la proximité du superviseur, ce qui obligeait le superviseur à faire enquête sur la plainte en présence du délégué. Le refus du superviseur contrevenait aux dispositions de la Loi, tout comme sa décision de discipliner le plaignant.

L’arbitre a aussi jugé que si jamais la Loi ne s’appliquait pas, le grief correspondait en tous points au critère à quatre volets élaboré dans la jurisprudence arbitrale. Elle a donc accueilli le grief et ordonné l’annulation de la suspension.

Notre point de vue

Le cas illustre bien l’importance d’enseigner aux superviseurs ce qu’il faut savoir en cas de refus de travailler et, faut-il ajouter, ce qu’il faut éviter quand on donne des ordres. Les employeurs d’entreprises syndiquées devraient savoir que même lorsque les dispositions de la Loi sur la santé et la sécurité au travail ne s’appliquent pas, les arbitres appliquent un critère qui prolonge les principes de la Loi.

Il convient de souligner qu’aux fins du paragraphe 43(3) de la Loi, l’arbitre n’avait pas à déterminer si, objectivement, le plaignant courait un danger mais bien si, subjectivement, il se croyait en danger. La prochaine étape consistait à déterminer si en demandant la présence du délégué à la santé et à la sécurité, le plaignant avait communiqué au superviseur « les circonstances qui [avaient] provoqué son refus ». Une fois que l’arbitre avait jugé que le plaignant avait effectivement communiqué la raison de son refus, le grief était tranché puisque, à ce moment-là, la Loi obligeait le superviseur à faire enquête en présence du délégué à la santé et à la sécurité, et lui interdisait toute mesure de représailles contre le plaignant.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Andrew Tremayne au (613) 563-7660, poste 236.

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