Un arbitre déclare que la consommation de cannabis à des fins médicales par un travailleur entraîne « un risque accru inacceptable pour la sécurité » − grief rejeté

La récente légalisation du cannabis à des fins récréatives a fait ressortir le fait qu’il existe plusieurs questions concernant les effets d’affaiblissement des facultés du cannabis et comment ils peuvent être évalués. Ces questions sont généralement axées sur la conduite avec les facultés affaiblies par le cannabis et sur le manque apparent de technologie pour évaluer rapidement et efficacement les niveaux d’affaiblissement. Comme le démontre une décision arbitrale récente de Terre-Neuve, ces questions se posent également dans le milieu de travail dans le contexte de la consommation de cannabis à des fins médicales.

Dans l’affaire Re International Brotherhood Lower Churchill Transmission Construction Employers’ Assn. Inc. and IBEW, Local 1620 (Tizzard) (avril 2018), le plaignant a allégué que l’employeur avait manqué à son obligation d’accommoder son handicap lorsqu’il a refusé de l’embaucher au motif qu’il consommait du cannabis à des fins médicales. Pour situer les choses dans leur contexte, le plaignant était un travailleur de la construction qui souffrait d’arthrose et de la maladie de Crohn. Son médecin lui prescrivait du cannabis afin d’atténuer la douleur découlant de ses problèmes de santé. Le plaignant consommait le cannabis prescrit par son médecin la nuit avant de se reposer. Il affirmait que les effets d’affaiblissement des facultés du cannabis disparaissaient au lendemain matin.

À la fin de 2016 et au début de 2017, le plaignant a postulé pour deux postes concernant un projet comportant l’aménagement d’une centrale hydroélectrique. Dans chaque cas, l’employeur a refusé de l’embaucher parce qu’il consommait du cannabis à des fins médicales. Le plaignant a déposé un grief, soutenant qu’en refusant de l’embaucher, l’employeur avait indûment refusé de lui fournir un accommodement en matière d’emploi pour son handicap.

L’employeur a défendu sa décision en invoquant son obligation législative de garantir un milieu de travail sécuritaire à tous les travailleurs ainsi que le fait que les deux postes visés par le plaignant étaient critiques sur le plan de la sécurité. L’employeur a soutenu que même s’il avait respecté son obligation d’évaluer individuellement le handicap du plaignant et les accommodements possibles, les risques pour la sécurité qui découlaient en bout de ligne de la consommation de cannabis par le plaignant à des fins médicales causaient à l’employeur un préjudice injustifié.

En arbitrage, il n’était pas contesté que l’employeur était tenu de garantir un milieu de travail sécuritaire ni que la condition médicale du plaignant était un handicap nécessitant un accommodement jusqu’au point du préjudice injustifié. Il s’agissait de savoir si le plaignant pouvait bénéficier d’un accommodement lui permettant de travailler en toute sécurité en occupant l’un ou l’autre des deux postes. Dans la négative, ces risques pour la sécurité entraîneraient un préjudice injustifié pour l’employeur.

Une question fondamentale qui se posait ensuite était de savoir si le plaignant risquait d’avoir les facultés affaiblies au travail. L’arbitre a convenu que le plaignant consommait du cannabis en soirée, mais la durée des effets d’affaiblissement des facultés causés par le cannabis était incertaine. L’arbitre s’est appuyé sur l’absence de possibilités raisonnables d’évaluer l’affaiblissement des facultés auprès des personnes consommant du cannabis. Plus particulièrement, en raison du fait que les tests de sang et d’urine ne mesurent pas l’affaiblissement actuel en plus du manque de personnes expressément formées qui peuvent observer et mesurer l’affaiblissement des facultés, l’arbitre a estimé que ceci représentait un risque de préjudice qui ne pouvait être facilement atténué.

L’arbitre a examiné de façon exhaustive la preuve présentée par les parties et a tiré les conclusions suivantes :

[traduction]
1. La consommation régulière de produits du cannabis à des fins médicales peut entraîner l’affaiblissement des facultés d’un travailleur au travail. La durée de l’affaiblissement cognitif peut être supérieure au simple écoulement de quatre heures après l’ingestion. L’affaiblissement peut parfois exister jusqu’à 24 heures après la consommation.

2. Les personnes qui consomment du cannabis à des fins médicales le soir peuvent sincèrement croire que leurs facultés ne sont pas affaiblies dans leurs activités quotidiennes par la suite, mais elles peuvent cependant subir un affaiblissement résiduel allant au‑delà de la durée indiquée. L’absence de conscience ou de connaissance réelle de l’affaiblissement fonctionnel d’une personne peut découler de la consommation de cannabis. Dans ce contexte, une personne ne vit pas nécessairement d’euphorie (comme l’indiquent les lignes directrices de Santé Canada), mais ne fonctionne pas et ne réagit pas normalement lorsque ses facultés sont affaiblies par la consommation de cannabis.

2[sic]. Un médecin généraliste n’est pas en mesure de déterminer adéquatement, simplement après avoir vu un patient dans une clinique et avoir compris de façon générale le travail du patient, les risques quotidiens pour la sécurité dans un milieu de travail dangereux. Il est nécessaire d’avoir une formation spécialisée en matière de danger au travail pour comprendre pleinement l’interaction entre l’affaiblissement des facultés causé par la consommation de cannabis et les restrictions appropriées au travail dans une situation factuelle donnée.

3. Il n’existe à l’heure actuelle aucune ressource facilement disponible en matière d’administration de tests à Terre-Neuve-et-Labrador pour permettre à un employeur de mesurer adéquatement et efficacement l’affaiblissement qui découle de la consommation de cannabis quotidienne ou régulière.

C’est ce dernier point qui pourrait avoir fait pencher la balance en faveur de l’employeur. Si l’employeur pouvait être convaincu que le plaignant n’a pas les facultés affaiblies au travail, il n’y aurait pas de raison de refuser de l’embaucher. Mais, étant donné l’absence de mesures d’évaluation fiables, il était impossible de le confirmer. L’arbitre a déclaré ce qui suit :

[traduction]
Le risque pour la sécurité qui serait introduit dans le milieu de travail en l’espèce par l’affaiblissement résiduel des facultés découlant de la consommation, à chaque soir par le plaignant, de produits du cannabis ne pourrait pas être atténué au moyen de processus correctifs ou de surveillance. Par conséquent, un préjudice injustifié, consistant en l’augmentation inacceptable des risques pour la sécurité, serait imposé à l’employeur s’il embauchait le plaignant. Comme il a été déclaré auparavant, si l’employeur ne peut pas mesurer l’affaiblissement, il ne peut pas gérer le risque.

Ayant conclu que le risque accru pour la sécurité équivalait à un préjudice injustifié pour l’employeur, l’arbitre a rejeté le grief.

 

À notre avis

Cette décision confirme que le risque accru pour la sécurité découlant de l’affaiblissement des facultés au travail peut constituer un préjudice injustifié. Cela continuera vraisemblablement d’être le cas jusqu’à ce que des technologies fiables puissent adéquatement et efficacement mesurer l’affaiblissement des facultés. Cette décision est certainement positive, mais les employeurs se font rappeler que l’obligation d’accommodement exige une évaluation individuelle de chaque demande d’accommodement. Cela continue de s’appliquer dans le contexte de la consommation de cannabis à des fins médicales et des postes critiques sur le plan de la sécurité.

 

Si vous voulez davantage de renseignements, veuillez communiquer avec André Champagne au 613-940-2735, ou avec Sébastien Huard au 613-940-2744.

Related Articles

La CSPAAT impose désormais un délai de 3 jours ouvrables pour la déclaration initiale d’un accident par les employeurs

Le 29 septembre 2023, la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (« CSPAAT ») a…

Le gouvernement de l’Ontario propose d’importantes modifications à diverses lois dans le secteur de l’éducation

En avril, le gouvernement de l’Ontario a déposé le projet de loi 98, Loi de 2023 sur l’amélioration des écoles et…

La Cour supérieure de justice de l’Ontario déclare la Loi 124 nulle et sans effet

Le 29 novembre 2022, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a publié une décision très attendue sur dix demandes…