Un arbitre juge qu’un programme d’aide aux études après l’école ne relève pas exclusivement de la compétence du personnel enseignant

Dans une récente décision arbitrale, il est question du droit d’un conseil scolaire d’offrir un programme d’aide aux études après l’école, non par des enseignants, mais par des aides-enseignants. Dans l’affaire Conseil scolaire du district catholique de Hamilton-Wentworth c. OECTA (décembre 2011), l’Ontario English Catholic Teachers Association (l’« Association ») a déposé un grief au sujet du recrutement d’aides-enseignants pour un tel programme, alléguant que les tâches ainsi confiées à des aides-enseignants constituaient des tâches d’enseignement et relevaient donc de la compétence des membres de l’unité de négociation. L’arbitre a rejeté le grief en statuant que ce programme ne faisait pas partie du programme d’enseignement du conseil scolaire et que les aides-enseignants n’exécutaient pas des tâches d’enseignement.

PROGRAMME DE RATTRAPAGE EN LECTURE

Le programme après l’école visé par ce grief est un programme de rattrapage en lecture. Il est offert aux élèves de troisième et quatrième années qui, selon l’évaluation de leurs enseignants, n’atteignent pas le niveau de compétence en lecture correspondant à leur année d’études, tel que défini par les normes provinciales. Ce programme, offert à la fin de la journée scolaire, exige l’engagement écrit des parents de faire faire de la lecture à leurs enfants pendant 15 à 20 minutes chaque jour. Le programme est donné deux fois par semaine, en séances d’une heure, sur une période de six semaines. Une fois terminé, l’enseignant en classe réévalue les compétences de l’élève en littératie et juge de ses progrès suite à sa participation au programme.

Il s’agit d’un programme informatisé Web comprenant 50 modules. Les élèves participants s’assoient à l’ordinateur avec des écouteurs. Chaque module commence par une vidéo que suit une leçon de littératie où l’élève se voit présenter des messages-guides ou des questions. S’il répond bien aux questions, il passe au module suivant. En dehors de ce volet après l’école, les élèves participants ont droit à 20 minutes à l’ordinateur pendant la journée scolaire avec un tuteur. Ce temps supplémentaire à l’ordinateur fait généralement partie de la période de lecture ou de travail autonome dans le cadre de la journée ordinaire d’enseignement en classe. Les élèves participants se voient également assigner des lectures à la maison pendant la période imposée de 15 à 20 minutes.

TÂCHES DES AIDES-ENSEIGNANTS DANS LE CADRE DU PROGRAMME

Les éléments de preuve présentés à l’audience indiquent que, dans le programme après l’école, le rôle de l’aide-enseignant consistait principalement à surveiller les élèves et à s’assurer qu’ils demeurent concentrés sur le module de rattrapage. Le programme informatisé fonctionnait de manière largement autonome et les aides-enseignants n’étaient appelés à intervenir que si la technologie posait un problème. Ils arpentaient généralement la classe en veillant à ce que les élèves s’occupent uniquement des modules et ne dérangent pas les autres. En règle générale, si un élève éprouvait des difficultés dans son cheminement à travers les modules, l’aide-enseignant le signalait à l’enseignant-ressource en éducation de l’enfance en difficulté ou au titulaire de la classe. De même, les progrès étaient rapportés par l’aide-enseignant à l’enseignant-ressource. Une partie de la séance d’une heure était consacrée à un entretien direct de l’aide-enseignant et de l’élève, mais c’était surtout l’occasion pour ce dernier de choisir un livre à emporter à la maison.

OBJET DU GRIEF

L’Association a contesté par son grief le recrutement d’aides-enseignants pour ce programme, alléguant que l’employeur contrevenait ainsi à la convention collective et à la Loi sur l’éducation. Elle a fait valoir que le « tutorat » des aides-enseignants dans le cadre de ce programme revêtait un caractère pédagogique et devait donc relever exclusivement de la compétence du personnel enseignant. Il était clair à ses yeux que l’aide-enseignant affecté à ce programme avait pour responsabilité la gestion, la supervision et le maintien de l’ordre dans la classe. Il devait interagir avec les élèves afin qu’ils restent concentrés sur leur tâche. Il remettait également aux élèves de la documentation à emporter à la maison, notamment des livres dont il influencerait le choix en évaluant la compétence en lecture de l’élève.

L’Association a aussi fait valoir que le programme de rattrapage en lecture se situait dans le prolongement de la journée d’enseignement, bien qu’intervenant à la fin de la journée scolaire. Comme le personnel enseignant assumait la responsabilité du programme pédagogique du conseil scolaire, l’employeur avait l’obligation en l’occurrence d’affecter des enseignants au programme de rattrapage.

DÉLIBÉRATIONS DE L’ARBITRE

L’arbitre a énoncé de la manière suivante l’objet premier de ce grief :

[Traduction]  Dans cette décision, la question est de savoir si l’employeur a manqué ou non à son obligation d’affecter des enseignants de l’unité de négociation de l’OECTA au programme de rattrapage en lecture. D’après les éléments de preuve et les observations dont l’arbitre a été saisi, il s’agit de déterminer si le travail que font les aides-enseignants dans ce programme devrait être confié exclusivement à des enseignants agréés (que sont évidemment les membres de l’unité de négociation de l’OECTA). Il faut donc examiner de près ce qui constitue le travail d’un enseignant agréé.

L’arbitre s’est ensuite attaché aux dispositions de la Loi sur l’éducation et de ses règlements d’application qui prescrivent les tâches d’enseignement et de surveillance d’un enseignant agréé.

TÂCHES D’ENSEIGNEMENT ET DE SURVEILLANCE DES ENSEIGNANTS AGRÉÉS

L’arbitre a attribué les tâches et responsabilités suivantes aux enseignants agréés dans le programme pédagogique offert aux élèves :

  • choisir le matériel pédagogique afin de concevoir leurs leçons;
  • décider des méthodes à employer pour évaluer l’efficacité de ce matériel pédagogique;
  • décider de la méthode à appliquer pour évaluer ou noter l’apprentissage ou les progrès visés pour les élèves;
  • planifier l’exécution des leçons, c’est‑à-dire :
    • le facteur temps
    • les activités à exercer
    • le matériel que doivent utiliser les élèves
  • donner les leçons aux élèves;
  • évaluer ou noter l’efficacité des leçons, ainsi que l’apprentissage ou les progrès consécutifs des élèves;
  • consigner et rapporter les efforts et les progrès des élèves dans les leçons.

En ce qui concerne les tâches de surveillance, l’arbitre a jugé que les enseignants agréés devaient notamment :

  • expliquer le contenu des leçons et les activités assignées aux élèves;
  • diriger les activités des élèves, y compris individuellement;
  • répondre aux questions des élèves au sujet de leurs activités et du matériel des leçons;
  • surveiller les efforts des élèves;
  • gérer l’emploi du temps dans les leçons;
  • veiller à la discipline en classe.

Ayant ainsi précisé les tâches d’enseignement et de surveillance des enseignants agréés, l’arbitre a comparé ces tâches à celles qui étaient exigées des aides-enseignants dans le programme de rattrapage en lecture. Il a estimé que les tâches d’enseignement dans ce programme ne comprenaient pas ce qui suit :

  • choix du matériel pédagogique;
  • évaluation ou notation de ce matériel;
  • choix de la méthode d’évaluation ou de notation du rendement des élèves dans chaque module;
  • planification de l’exécution des leçons et, en particulier, de l’emploi du temps des élèves dans le cadre du programme;
  • choix du matériel du programme.

Vu l’absence de prise de décision et d’évaluation des progrès des élèves, l’arbitre a jugé que les tâches d’enseignement limitées restaient bien en deçà des tâches relevant exclusivement de la compétence des membres de l’unité de négociation.

Concernant les tâches de surveillance dans le programme de rattrapage en lecture, il a fait les constatations suivantes :

  • l’aide-enseignant n’explique pas le contenu des leçons ni les activités assignées aux élèves;
  • le programme fixe lui-même le temps d’exécution de chaque module;
  • l’aide-enseignant est appelé par moments à répondre aux questions des élèves au sujet du contenu ou de la technologie du programme;
  • il a aussi à veiller à la discipline, individuelle et du groupe;
  • l’interaction individuelle avec les élèves reste optionnelle.

L’arbitre est parvenu à la conclusion que les tâches limitées de surveillance de l’aide-enseignant dans ce programme relevaient de ses tâches et responsabilités générales, et non de la compétence exclusive du personnel enseignant. Il a ainsi résumé ses constatations :

[Traduction] […] j’estime que le tutorat effectué dans le cadre du programme de rattrapage en lecture ne correspond pas à l’enseignement habituel ou caractéristique des enseignants agréés qui sont membres de l’unité de négociation. À mon avis, les tâches de surveillance des aides-enseignants dans ce programme relèvent bel et bien de leurs tâches habituelles ou ordinaires.

LE PROGRAMME DE RATTRAPAGE EN LECTURE SE SITUE‑T‑IL DANS LE PROLONGEMENT DU PROGRAMME D’ENSEIGNEMENT?

L’arbitre a ensuite examiné l’argument de l’Association selon lequel le programme de rattrapage en lecture se situait dans le prolongement du programme d’enseignement de l’employeur. Comme le programme pédagogique d’un conseil scolaire est assigné au personnel enseignant, l’Association a fait valoir que l’employeur avait l’obligation d’affecter des enseignants à ce programme.

L’arbitre a jugé que le programme d’enseignement d’un conseil scolaire est celui qu’il met en place pour l’ensemble de ses élèves. Le programme de rattrapage en lecture, quant à lui, n’avait lieu qu’à la fin de la journée scolaire. L’arbitre s’est ainsi exprimé :

[Traduction]  Par définition donc, ce programme ne fait pas partie du programme d’enseignement de l’employeur. […] Comme nous l’avons déjà indiqué, le personnel enseignant a pour responsabilité la mise en place du programme pédagogique obligatoire d’un conseil scolaire pour les élèves. La tâche de l’enseignant est donc d’exécuter le programme d’enseignement du conseil scolaire. […] cette tâche d’enseignement se termine avec le programme pédagogique de chaque journée scolaire.

L’arbitre a conclu que le programme de rattrapage en lecture ne se situait pas dans le prolongement du programme d’enseignement de l’employeur et a rejeté le grief.

À notre avis

Un aspect intéressant de ce différend est que le conseil scolaire avait invité les enseignants de troisième et quatrième années à assister à la séance de formation interne organisée pour le programme de rattrapage en lecture. Les enseignants en question ont choisi de ne pas participer à ce programme, mais l’Association a prétendu que ce fait prouvait bien que les taches inhérentes au programme étaient du type assigné au personnel enseignant. L’arbitre a refusé cette interprétation, voyant plutôt dans le choix des enseignants de ne pas participer au programme la preuve que l’obligation d’enseignement se terminait avec la fin de la journée scolaire; ce qui, à son tour, venait confirmer que le programme de rattrapage en lecture ne se situait pas dans le prolongement du programme pédagogique offert par le conseil scolaire.

Si vous voulez davantage d’information, communiquez avec Paul Marshall au (613) 940 ‑ 2754.

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