Le Tribunal canadien des droits de la personne ordonne la réintégration et des dommages-intérêts pour l’employée congédiée malgré plus de 365 jours d’absence en neuf ans

La décision Desormeaux c. Commission de transport régionale d’Ottawa-Carleton (14 janvier 2003) du Tribunal canadien des droits de la personne ne rassurera sans doute pas les employeurs qui s’inquietent du taux d’absentéisme involontaire au travail. La décision, qui a donné raison a l’employée demanderesse, est d’autant plus remarquable qu’elle fait suite au rejet par un arbitre de son grief pour congédiement.

Embauchée en 1989 comme conductrice d’autobus, Francine Desormeaux a manqué au moins 365 pleines journées et 24 journées partielles pendant ses presque neuf années d’emploi a la Commission de transport régionale d’Ottawa-Carleton (OC Transpo), en raison de divers problemes de santé. Ceux-ci comprenaient notamment des migraines, la bronchite, des problemes de vésicule biliaire, des grippes, des maux de dos, des kystes ovariens, des calculs rénaux et une cheville cassée. Bien que le fort taux d’absentéisme de Mme Desormeaux ait d’abord été traité comme une question disciplinaire, OC Transpo avait mis en oeuvre des 1996 une politique d’assiduité au travail, en vertu de laquelle l’employeur devait déterminer si les employés dont le dossier indiquait l’absence chronique souffraient d’une déficience qui nécessitait un accommodement.

En 1997, une année ou Desormeaux avait manqué 41 pleines journées, dont 14 a cause de migraines et 21 a cause de calculs rénaux, l’employeur a exercé son droit aux termes de la convention collective de demander un certificat médical qui indiquerait son aptitude a travailler. Le médecin de Mme Desormeaux a fait état de ses problemes de santé a ce moment-la, mais a laissé entendre que le seul qui pouvait avoir des conséquences a long terme était le probleme des migraines. Le médecin a en outre indiqué que les migraines n’étaient pas susceptibles [TRADUCTION] « de gener indument la capacité [de Mme Desormeaux] d’exécuter ses fonctions a temps complet ». La lettre ne disait pas si Mme Desormeaux souffrait d’une déficience ni si elle avait besoin d’un accommodement au travail. Personne chez OC Transpo n’a assuré le suivi aupres du médecin ni tenté d’obtenir une évaluation médicale indépendante.

Peu de temps apres avoir reçu la lettre du médecin, l’employeur a rencontré Mme Desormeaux avec un représentant syndical. Le Tribunal a considéré comme un fait établi qu’a cette rencontre, le représentant syndical avait parlé de la possibilité que les migraines de Mme Desormeaux constituaient une déficience au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Malgré ces renseignements sur la question de la déficience, OC Transpo n’a pris aucune mesure, comme le prévoyait le programme d’assiduité, pour déterminer si Mme Desormeaux souffrait d’une déficience et s’il était possible de lui offrir un accommodement.

Environ trois mois apres cette rencontre, le 30 janvier 1998, on a mis fin a l’emploi de Mme Desormeaux. Au cours de cette période de trois mois, elle avait manqué sept jours de travail, a cause de migraines, toutes documentées par son médecin. Elle était également arrivée en retard a deux occasions parce qu’elle ne s’était pas levée a temps.

Au cours de la rencontre ou elle a été congédiée, Mme Desormeaux a laissé savoir a l’employeur que toutes ses absences étaient dues aux migraines, et le syndicat a indiqué qu’elle souffrait d’une déficience et qu’elle avait besoin d’un accommodement. L’employeur a répondu que la lettre du médecin avait indiqué que Mme Desormeaux était apte a travailler ses heures régulieres et a déclaré qu’au vu du dossier récent d’absences de Mme Desormeaux, il en était arrivé a la conclusion qu’il était peu probable qu’on puisse compter sur son assiduité au travail. Par conséquent, il maintenait sa décision de congédier Mme Desormeaux. Celle-ci a déposé un grief alléguant que le congédiement n’était pas justifié. Apres avoir perdu a l’arbitrage, elle a porté plainte aupres du Tribunal canadien des droits de la personne.

TRIBUNAL : DISCRIMINATION PRIMA FACIE

OC Transpo a prétendu devant le Tribunal que Mme Desormeaux n’était pas atteinte d’une déficience au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et que si elle était atteinte d’une déficience, ce n’était pas la raison de son congédiement. L’employeur a prétendu que la preuve qu’elle souffrait de migraines était insuffisante, car le diagnostic avait établi non pas par un neurologue mais par un médecin de famille. En outre, les autres problemes de santé qui avaient causé ses absences étaient de nature transitoire et ne constituaient pas des déficiences. Le Tribunal a rejeté ces arguments, et a jugé que le médecin de famille qui traitait Mme Desormeaux avait la compétence voulue pour établir un diagnostic de migraines, et que meme si elle ne souffrait pas de migraines, le fait que ses maux de tete étaient chroniques et incapacitants permettait de les assimiler a la notion de déficience au sens de la loi.

Quant a la prétention de l’employeur que le congédiement de Mme Desormeaux n’était pas du a la déficience, le Tribunal a déclaré que peu importe si l’on considérait les raisons médicales de ses absences comme équivalant a des déficiences, il était clair qu’une bonne partie de ses absences étaient dues a ses maux de tete. S’appuyant sur la jurisprudence en matiere de droits de la personne, le Tribunal a souligné qu’il n’est pas nécessaire que des considérations discriminatoires soient le seul motif de l’action contestée pour que la plainte soit jugée fondée. Selon le Tribunal, le fait que Mme Desormeaux était atteinte d’une déficience, et que cette déficience était au moins partiellement responsable de son congédiement, signifiait qu’une discrimination prima facie avait été établie.

L’OBLIGATION D’ACCOMMODEMENT N’AVAIT PAS ÉTÉ REMPLIE

Le Tribunal devait ensuite décider si OC Transpo avait rempli son obligation d’accommoder Mme Desormeaux jusqu’au seuil de la contrainte excessive. Afin de répondre a cette question, il fallait évaluer quel était l’état de santé de Mme Desormeaux au moment de son congédiement. Le Tribunal a conclu qu’il n’y avait aucune preuve a l’effet que les divers problemes de santé de Mme Desormeaux étaient reliés entre eux; il a également conclu qu’au moment de son congédiement, son probleme de migraines était le seul probleme de santé susceptible de causer a long terme des problemes d’assiduité.

Cette conclusion permettait au Tribunal d’examiner la question de l’accommodement sous l’angle uniquement des migraines, qui avaient causé a Mme Desormeaux quelques 57 journées entieres et 11 journées partielles d’absences au cours de ses 8,75 années d’emploi. Cela signifiait 6,5 jours entiers et 1,25 jours partiels d’absences par année en raison des migraines. Le Tribunal a jugé que cela représentait le pronostic le plus juste de l’assiduité future de Mme Desormeaux, bien en deça du taux d’absentéisme de 25 % des conducteurs d’autobus d’OC Transpo.

OC Transpo avait soutenu qu’il était plus difficile de composer avec des absences intermittentes de derniere minute, mais le Tribunal n’était pas d’avis qu’un employeur important comme OC Transpo subirait une contrainte excessive du fait de garder a son emploi une conductrice avec un taux d’absentéisme imputable aux migraines qu’avait Mme Desormeaux. Le Tribunal a fait remarquer que l’employeur tenait une liste de quelques 100 conducteurs suppléants, sans itinéraire précis, dont la fonction était précisément de remplacer ponctuellement les conducteurs absents :

    [TRADUCTION] « OC Transpo emploie une main d’oeuvre considérable, et les fonctions de conducteur d’autobus sont en bonne partie interchangeables. OC Transpo reconnaît qu’a tous les jours, un certain nombre des conducteurs ne pourront se présenter au travail. En raison de la nature du service qui doit etre fourni a des heures déterminées, la Commission de transport a prévu, pour parer a ces absences, une liste de chauffeurs suppléants, un systeme qui semble bien fonctionner. D’apres la preuve qui m’a été présentée, je ne suis pas convaincu que Mme Desormeaux entraînerait une charge indue pour le systeme des suppléants a l’avenir. Par conséquent, OC Transpo n’a pas établi a ma satisfaction qu’elle subirait une contrainte excessive si elle continuait d’employer Mme Desormaux. »

De plus, le Tribunal a exprimé l’avis qu’il était peut-etre possible pour OC Transpo de donner a Mme Desormeaux des tâches autres que la conduite d’un autobus, mais que cette possibilité n’avait pas été étudiée. La Commission de transport n’avait pas envisagé non plus de placer Mme Desormeaux sur la liste des suppléants. Puisque les conducteurs suppléants n’étaient pas toujours appelés a conduire, un conducteur suppléant qui était absent était moins susceptible de causer une perturbation dans le service.

Puisqu’aucune des solutions de rechange n’avait été envisagée, le Tribunal a jugé qu’OC Transpo n’avait pas rempli son devoir d’accommodement. Le Tribunal a conclu que l’employeur avait plutôt choisi d’imposer a Mme Desormeaux toute la responsabilité d’améliorer la situation.

Le Tribunal a ordonné comme réparation la réintégration de Mme Desormeaux, avec plein salaire depuis sa congédiement ainsi que les intérets, sans déduction parce qu’elle n’avait pas tenté de minimiser les dommages, avec une somme additionnelle pour compenser l’effet fiscal d’un paiement forfaitaire. Le Tribunal a en outre accordé 4 000$ en dommages-intérets pour souffrance morale.

Notre point de vue

Le Tribunal a considéré les problemes, maladies et blessures de Mme Desormeaux comme étant des conditions isolées, qui témoignaient de la malchance de Mme Desormeaux au chapitre de la santé. Cela peut etre vrai, mais on pourrait s’interroger sur le bien-fondé, dans les circonstances, de séparer artificiellement ses absences dues aux migraines de ses autres absences. En adoptant cette perspective, le Tribunal semble avoir perdu de vue le caractere clairement excessif du bilan total d’absentéisme de Mme Desormeaux et, malgré l’avis de son médecin, l’improbabilité que l’assiduité s’améliore a l’avenir. A titre d’exemple, pour ne prendre que sa derniere année complete d’emploi, Mme Desormeaux avait manqué 41 pleines journées de travail, dont seulement 14 a cause de ses migraines.

Dans de telles circonstances, on serait porté a croire que l’accommodement que suggere le Tribunal est plus que l’accommodement d’une déficience. Il s’agirait plutôt de l’accommodement d’une employée qui, meme si cela est involontaire, n’arrive pas a maintenir un niveau d’assiduité acceptable au travail. A notre avis, cette obligation dépasse que ce qui devrait etre exigé meme d’un employeur d’importance, et cela constitue, au sens de la terminologie des droits de la personne, une contrainte excessive. OC Transpo a déja indiqué qu’elle entend interjeter appel de la décision.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Carole Piette au (613) 940-2733.

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