Un arbitre réfute le « droit à l’emploi » des employés non syndiqués en vertu du Code canadien du travail

Dans une décision récente en vertu du Code canadien du travail (ci-apres le Code), un arbitre a réfuté l’idée que les employés non syndiqués du domaine fédéral ne peuvent pas etre congédiés sans motif valable. Dans l’affaire Tony Klein et Monnaie royale canadienne (novembre 2012), l’employé a contesté son congédiement sans motif valable en vertu de l’article 240 de la partie III du Code, bien qu’ayant été licencié conformément a son contrat de travail. Rejetant sa plainte, l’arbitre a affirmé que la partie III du Code ne rendait pas inopérants les principes de common law régissant les relations d’emploi. Cette décision est un résultat positif pour les employeurs du domaine fédéral. Elle indique que, si un contrat de travail prévoit le licenciement sans motif valable selon des modalités égales ou supérieures aux exigences minimales de la réglementation en matiere de préavis et d’indemnité de départ, et que par ailleurs le licenciement n’est pas injustifié, le congédiement ne sera sans doute pas qualifié d’ « injuste » en vertu de l’article 240 du Code.

M. Klein (ci-apres le plaignant) avait été congédié en mai 2010 apres trois ans de service dans l’équipe de gestion. D’abord embauché par la Monnaie royale canadienne (ci-apres l’employeur) a titre d’employé syndiqué en 1998, il avait été mis a pied en 2002, réembauché au sein de l’unité de négociation en 2004 et enfin promu en 2007 a un poste de gestion, hors de l’unité de négociation. Cet avancement avait valu au plaignant une augmentation de son salaire annuel de 15 000 $. En contrepartie, il renonçait aux avantages et aux mesures de protection de la convention collective, y compris la procédure de reglement des griefs prévue par celle-ci.

LE CONTRAT DE TRAVAIL

Le contrat de travail liant le plaignant a l’employeur stipulait qu’il pouvait y avoir licenciement avec ou sans motif valable :

[Traduction] S’il est mis fin a votre emploi a la Monnaie pour un motif valable, en tout temps pendant ou apres votre période de probation, il est entendu et convenu que vous n’aurez droit ni a un préavis ni a aucune indemnité de fin d’emploi. S’il est mis fin a votre emploi sans motif valable apres votre période de probation, il est entendu que vous aurez droit a un préavis de deux (2) semaines et a un maximum de trois (3) semaines de salaire pour chaque année de service complete a la Monnaie, déduction faite des retenues réglementaires applicables et des sommes que vous pourriez vous-meme devoir a la Monnaie. Celle-ci pourrait souhaiter, a sa seule discrétion, accroître le nombre de semaines d’indemnisation pour chaque année de service complete.

LE CONGÉDIEMENT

Lors du congédiement, l’employeur a offert au plaignant une indemnité de départ a condition qu’il signe une convention de reglement dégageant l’organisme de toute responsabilité. L’entente prévoyait notamment un paiement forfaitaire de 33 571,11 $ tenant lieu de préavis et d’avantages sociaux (y compris les indemnités de licenciement et de cessation d’emploi). A cela s’ajoutait le paiement des vacances accumulées a la date du licenciement, ainsi qu’une somme de 3 000 $ pour les services de placement d’un conseiller professionnel. L’employeur a déclaré avoir établi le montant en se basant sur 6,5 années de service, alors meme que le contrat de travail précisait qu’il devait s’agir d’années de service completes. Il avait aussi majoré le montant salarial de 26 % afin de refléter la valeur des avantages sociaux. Le plaignant a refusé l’offre de l’employeur et déposé une plainte pour congédiement injuste en vertu de l’article 240 du Code :

240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite aupres d’un inspecteur si :

a) d’une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le meme employeur;
b) d’autre part, elle ne fait pas partie d’un groupe d’employés régis par une convention collective.

L’article 242(4) définit les recours en cas de congédiement injuste :

242. (4) S’il décide que le congédiement était injuste, l’arbitre peut, par ordonnance, enjoindre a l’employeur :

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu’il aurait normalement gagné s’il n’avait pas été congédié;
b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;
c) de prendre toute autre mesure qu’il juge équitable de lui imposer et de nature a contrebalancer les effets du congédiement ou a y remédier.

Le plaignant a demandé a etre réintégré dans son ancien poste au salaire annuel de 70 000 $. Il a fait valoir que l’article 240 du Code permet a un employé de contester son congédiement s’il le considere comme injuste, que l’employeur ait satisfait ou non a ses obligations en matiere de préavis et d’indemnité de départ. Il a soutenu jouir d’un droit sans réserve de contestation de tout congédiement injuste en vertu du Code.

Pour sa part, l’employeur a maintenu qu’il ne pouvait etre question de congédiement injuste dans ce cas, puisque le plaignant avait été licencié conformément aux dispositions de son contrat de travail, lequel permettait expressément le licenciement sans motif valable, a condition que l’employeur donne un préavis et verse une indemnité de départ. Il a en outre allégué que l’indemnisation offerte au plaignant était bien plus généreuse que celle requise par le contrat de travail.

UNE JURISPRUDENCE DIVERGENTE – AFFAIRES KNOPP ET CHAMPAGNE

L’arbitre Peltz a fait remarquer en début d’analyse qu’il existait deux écoles divergentes en ce qui concerne les moyens de protection accordés aux employés par la partie III du Code. A l’origine de la premiere, il y a l’affaire Knopp c. Western Bulk Transport Ltd. (1994) (ci-apres Knopp). Dans cette affaire, l’arbitre a affirmé qu’un licenciement ne saurait etre tenu pour injuste en vertu de l’article 240 si l’employeur n’invoquait pas le motif valable et qu’il versait la plus généreuse des indemnités suivantes :

(i) ce que prévoit le Code comme préavis et indemnité (préavis, ou paiement tenant lieu de préavis, de deux semaines en vertu du paragraphe 230(1) et le montant le plus généreux de deux jours de paie par année de service complete ou cinq jours de paie en vertu du paragraphe 235(1));
ou
(ii) ce qu’exige la common law comme préavis raisonnable ou indemnité en tenant lieu.

L’arbitre a cité l’analyse de la décision Knopp :

[Traduction] Si l’employeur n’allegue pas le licenciement pour « motif valable », le congédiement sera tenu pour « injuste » s’il n’a pas accordé a l’employé l’indemnisation la plus généreuse entre ce que prévoient les articles 230(1) et 235(1) du Code et ce qu’exige la common law. […]

Ceux qui se disent d’avis que le Code « confere un droit a l’emploi » doivent juger comparables le degré de sécurité d’emploi du secteur syndicalisé et celui du secteur non syndicalisé soumis au Code canadien du travail. Je ne vois pas les choses de cette maniere. Comment pourrait-il en etre ainsi alors que le Code canadien du travail confere expressément a l’employeur le droit de mettre fin a une relation d’emploi par un préavis ou une indemnité en vertu des articles 230(1) et 235(1)? […] Les conventions collectives énoncent rarement, sinon jamais, de telles dispositions. […]

Concluons en disant que les sections X, XI et XIV de la partie III du Code canadien du travail n’écartent pas les principes de common law régissant la cessation d’une relation d’emploi. Si le Parlement avait voulu instituer un régime juridique radicalement différent ou les principes de common law n’auraient joué aucun rôle, il l’aurait tout simplement dit. En adoptant la section XIV de la partie III du Code, il a créé a côté  des tribunaux une instance pouvant recevoir les plaintes pour congédiement injuste et conféré aux arbitres du Code des pouvoirs correctifs que n’ont pas les juges de common law. […] Cette réforme a donc son importance.

L’arbitre a poursuivi en énonçant les principes tirés des affaires qui ont suivi le raisonnement de l’affaire Knopp. Dans Daniels c. Premiere Nation Dakota Whitecap (2008), l’arbitre a confirmé le bien-fondé des dispositions de préavis du contrat de travail en disant qu’il s’agissait de mesures simples et que le contrat n’était ni complexe ni ambigu. Dans Halkowich c. Premiere Nation Fairford (1998), l’arbitre a affirmé que, si un contrat de travail vient a expiration ou qu’une partie a recours a la modalité convenue de préavis, il n’y a pas congédiement en vertu de l’article 240 du Code; ou, s’il y a congédiement, il n’est pas injuste. De meme, dans Prosper c. PPADC Management Co. (2010), l’arbitre a conclu a l’absence de congédiement injuste dans la mesure ou l’employeur payait l’indemnité la plus généreuse entre ce qu’impose le Code et ce que prévoit le manuel des politiques du personnel de l’employeur. Enfin, dans l’affaire plus récente Paul c. Centre national pour la gouvernance des Premieres Nations (2012), l’arbitre a fait valoir que si le contrat n’est pas considéré inadmissible, l’article 240 n’habilitait aucune instance a juger d’un licenciement effectué en application d’une méthode définie dans le contrat de travail.

Cette école doit etre confrontée a la décision rendue en 2012 dans l’affaire Champagne c. Énergie atomique du Canada limitée (2012) (ci-apres Champagne). Dans cette affaire, l’arbitre a fait observer que la partie III du Code a pour but de conférer des avantages et doit donc etre interprétée d’une maniere large et libérale. Au sujet de l’article 240 du Code, il a dit :

[Traduction] Le droit meme de congédier a été completement transformé afin de prévenir les mesures arbitraires de l’employeur et d’assurer la permanence de l’emploi. Il n’existe aujourd’hui qu’un droit de congédiement « juste », ce qui veut surement dire un congédiement dont le motif est objectif, réel et substantiel hors de tout caprice, complaisance ou grief purement personnel, la mesure adoptée devant l’avoir été exclusivement pour le bon fonctionnement de l’entreprise.

En outre, dans Champagne, l’arbitre a affirmé que le versement d’une indemnité tenant lieu de préavis raisonnable ne saurait contourner l’article 240, car ce serait le rendre inopérant.

ADOPTION PAR L’ARBITRE DE LA DÉCISION DANS L’AFFAIRE KNOPP ET REJET DE LA PLAINTE

Bien que la décision rendue dans l’affaire Champagne ait été reprise dans un certain nombre d’affaires, l’arbitre Peltz a préféré interpréter le Code en se reportant a l’affaire Knopp. A ses yeux, le plaignant avait signé le contrat de travail a des fins d’avancement et, ce faisant, il avait renoncé a la protection de la convention collective, y substituant un contrat individuel et les dispositions applicables de protection de la partie III du Code. Il a fait valoir que le contrat de travail n’était ni obscur ni ambigu et que rien ne permettait de croire que Klein n’en avait pas compris les éléments fondamentaux. Lorsque l’employeur a choisi de mettre fin a la relation d’emploi sans motif valable, il a rempli ses obligations en offrant l’indemnisation requise. Il était toujours loisible a M. Klein d’accepter l’indemnité de départ offerte. Pour ces raisons, l’arbitre a jugé que le congédiement n’avait rien d’injuste et a rejeté la plainte.

A notre avis

La décision dans Klein est un résultat positif pour les employeurs, livrant une interprétation plus raisonnable des dispositions de protection de la partie III du Code que celle de l’affaire Champagne. Cette affaire et celles qui l’ont suivie retiennent le principe selon lequel l’article 240 du Code confere un « droit a l’emploi » aux employés non syndiqués du domaine fédéral, ce qui n’autoriserait le congédiement qu’en cas d’inconduite. Comme l’a fait observer l’arbitre dans l’affaire Knopp, ce principe va a l’encontre d’autres énoncés du Code comme les articles 230 et 235, qui s’appliquent au meme groupe d’employés que l’article 240 et prévoient expressément le licenciement sans motif valable. A notre avis, la décision adoptée dans l’affaire Klein représente un pas en avant, clarifiant les dispositions de protection de la partie III du Code.

Si vous voulez davantage d’information, veuillez communiquer avec Sébastien Huard au (613) 940-2744.

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