La cour fédérale annule la réintégration des chauffeurs d’autobus d’OC Transpo

Dans la décision Desormeaux c. Commission de transport régionale d’Ottawa-Carleton rendue le 23 décembre 2004, un juge de la cour fédérale a renversé deux décisions du Tribunal canadien des droits de la personne qui avait rétabli deux employés dans leurs fonctions. Ils avaient été congédiés apres avoir été absents, respectivement, 365 jours en neuf ans et 1700 jours en douze ans. Les décisions du Tribunal avaient donné lieu a certaines inquiétudes, a savoir que les employeurs auraient désormais a accommoder des employés simplement incapables de maintenir un niveau d’assiduité acceptable. (Pour plus de détails sur la décision du Tribunal, voir « Le Tribunal canadien des droits de la personne ordonne la réintégration et des dommages-intérets pour l’employée congédiée malgré plus de 365 jours d’absence en neuf ans »). Par ailleurs, il convient de souligner que la cour fédérale a également jugé dans cette affaire que l’absentéisme excessif constituait une contrainte excessive.

DESORMEAUX

La plaignante dans cette affaire était un chauffeur d’autobus pour la Commission de transport régionale d’Ottawa-Carleton (OC Transpo) qui avait souffert divers problemes de santé, notamment des migraines, la bronchite, des problemes de vésicule biliaire, des grippes, des maux de dos, des kystes ovariens, des calculs rénaux et une cheville cassée. Le médecin de la plaignante avait avisé OC Transpo que les migraines étaient les seuls problemes qui pouvaient avoir des conséquences a long terme. Le médecin avait également indiqué qu’il était probable que les migraines ne generaient pas de façon importante la capacité de la plaignante d’exécuter ses fonctions a temps plein, mais il n’avait pas précisé si la plaignante souffrait d’une déficience.

Devant le Tribunal, OC Transpo a soutenu que la plaignante n’était pas atteinte d’une déficience au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et que si elle était atteinte d’une déficience, ce n’était pas la raison de son congédiement. L’employeur a prétendu que la preuve qu’elle souffrait de migraines était insuffisante, car le diagnostic avait établi non pas par un neurologue mais par un médecin de famille. En outre, les autres problemes de santé qui avaient causé ses absences étaient de nature transitoire et ne constituaient pas des déficiences.

Le Tribunal a rejeté ces arguments, et a jugé que le médecin de famille avait la compétence voulue pour établir un diagnostic de migraines, et que meme si la plaignante ne souffrait pas de migraines, le fait que ses maux de tete étaient chroniques et incapacitants permettait de les assimiler a la notion de déficience au sens de la loi. Le Tribunal a également jugé que la plaignante avait été congédiée en raison d’une déficience, et que l’employeur n’avait pas rempli son obligation d’accommodement.

COUR FÉDÉRALE : LES MIGRAINES DE LA PLAIGNANTE NE CONSTITUENT PAS UNE DÉFICIENCE

Dans son jugement qui renversait la décision du Tribunal, la cour fédérale a noté que pour établir une preuve prima facie de discrimination, il incombe au plaignant d’établir les faits suivants :

  1. il a été soumis a un traitement différent;
  2. ce traitement différent se fonde sur un motif interdit de discrimination (en l’espece, la déficience);
  3. le traitement différent a eu pour effet de nier au plaignant ses droits.

La cour a jugé que la décision du Tribunal quant au deuxieme volet du critere avait été déraisonnable, et que la plaignante n’avait pas établi qu’elle souffrait d’une déficience. La cour a exprimé l’avis que le Tribunal avait fait erreur en acceptant le témoignage du médecin de famille pour fonder la conclusion que les migraines de la plaignante constituaient une déficience. La cour a noté que le médecin avait été qualifié comme expert en tant que médecin de famille, et non en tant que neurologue. Par conséquent, la cour a donné raison a l’employeur.

PARISIEN

La cour a également annulé une autre décision du Tribunal, Parisien c. Commission de transport régionale d’Ottawa-Carleton, qui avait trait a un autre employé d’OC Transpo congédié apres pres de 1700 jours d’absence en douze ans. Dans l’affaire Parisien, la cour a jugé que bien que la conclusion de discrimination prima facie ait été raisonnable, la conclusion selon laquelle l’employeur n’avait pas accommodé le plaignant jusqu’au seuil de la contrainte excessive ne l’était pas.

L’employeur avait soutenu que dans les cas de congédiement pour absentéisme involontaire, il peut etre superflu de tenir compte de l’accommodement dans l’analyse de la discrimination, puisque l’employeur tient implicitement compte de la possibilité d’accommoder l’employé jusqu’au seuil de la contrainte excessive lorsqu’il évalue  le pronostic de l’assiduité réguliere de l’employé.

Le Tribunal a rejeté ce point de vue, et a jugé qu’il y a deux étapes dans l’examen d’un congédiement pour absentéisme involontaire : premierement, selon le droit du travail, deuxiemement, selon le droit en matiere des droits de la personne. Le Tribunal s’est dit d’avis que l’arbitre qui avait rejeté le grief a l’origine avait omis de traiter de la question de la contrainte excessive et n’avait fait qu’une « déclaration générale » a l’effet que le plaignant avait « [TRADUCTION] amplement fait l’objet de mesures d’adaptation par le passé sans que cela ne donne de résultats » et qu’il ne s’agissait pas, par conséquent, « [TRADUCTION] d’un cas ou l’employeur n’avait pas composé avec la déficience ».

Le Tribunal a souligné que tous les employeurs devaient etre prets a accepter un certain niveau d’absentéisme de la part de tous les employés, et a jugé que de « tolérer » l’absentéisme constituait en fait un mode acceptable d’accommodement. En outre, le Tribunal a déclaré que la tolérance  n’était pas la seule forme d’accommodement que l’employeur aurait pu envisager. Le Tribunal a blâmé l’employeur d’avoir adopté la position que le plaignant ne pouvait travailler que comme chauffeur d’autobus, sans explorer la possibilité de lui offrir d’autres fonctions. Enfin, le Tribunal a jugé que meme si la tolérance de l’absentéisme futur du plaignant était le seul accommodement possible, les mesures que l’employeur devait prendre pour remplacer le plaignant en cas d’absence ne représentaient pas une contrainte excessive.

COUR FÉDÉRALE : L’ABSENTÉISME CONSTITUE UNE CONTRAINTE EXCESSIVE

La cour fédérale a renversé la décision du Tribunal selon laquelle il ne suffisait pas pour l’employeur, une fois établi un mauvais pronostic d’assiduité, de soutenir qu’il avait rempli son obligation d’accommodement. La cour a jugé que la relation d’emploi est soumise aux lois sur les droits de la personne – en autant que la relation ne soit pas minée par l’incapacité de l’employé d’exécuter ses obligations contractuelles :

    « [TRADUCTION] Le fait est que le contrat entre les parties est a l’effet que l’employé se présentera au travail de façon réguliere et que l’employeur paiera pour ce service. Un absentéisme involontaire excessif risque d’annuler la relation (…) Il arrive un moment ou l’employeur peut légitimement dire que le contrat n’est pas completement exécutable. »

La cour a donc jugé que le Tribunal avait fait erreur en obligeant l’employeur a tolérer « [TRADUCTION] l’affreux » taux d’absentéisme du plaignant.

Notre point de vue

Cette décision sert a rappeler que la qualité de la preuve médicale peut toujours etre contestée par l’employeur. Il convient de souligner que la cour n’a pas abordé la conclusion du Tribunal dans l’affaire Parisien a l’effet que le plaignant avait montré qu’il était disposé a collaborer pour qu’on le réintegre a temps plein dans un autre poste, sans que l’employeur donne suite a cette possibilité. Si un autre emploi productif avait été disponible et que le plaignant avait été capable de maintenir une assiduité acceptable dans ce poste, on peut supposer qu’il aurait été accommodé en deça de la contrainte excessive. Toutefois, l’idée qu’une assiduité constamment irréguliere – malgré son caractere involontaire – ne devrait pas etre tolérée semble solide et généralement conforme a la jurisprudence en matiere d’accommodement.

Le 24 janvier 2005, Mme Desormeaux a déposé un avis d’appel de la décision de premiere instance dans l’affaire OC Transpo. Nous tiendrons nos lecteurs au courant de la suite des événements.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Carole Piette au (613) 940-2733.

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